(open the fuckin door) Toji

Quel braillard. Toji était installé à même le sol de la petite studette, reposant sur son flanc, la joue posée sur son poing et le regard vissé vers la télé. Il bailla bruyamment en passant une main sous son sweat pour gratter son ventre du bout de ses ongles abîmés alors que ses yeux suivaient la course équestre. Il avait décidé de ne pas y répondre et de le laisser s’époumoner, mais l’insistance du gueulard parvint rapidement à finir sa patience déjà bien entamée par la perte magistral du favori de la course sur lequel il avait parié. ‘La pire course de sa saison !’ selon les commentateurs. Il ne mit pas longtemps à parcourir la distance qui le séparait de la porte dans le petit 10m², passant à côté de la kitchenette où reposait encore la bouilloire et l’emballage de ses ramens.
La porte ouverte, Toji toisa cet ‘Itadori’ de haut, le regard prédateur campé sur la carcasse frêle face à lui. ‘Itadori’… ça lui disait un truc, mais impossible de mettre le doigt dessus. Il avait déjà dû l’entendre quelque part. Il décida qu’il n’en avait rien à faire et posa sa main sur sa hanche avec un sourire paresseux inscrit sur le visage. « Heiiiin ?» Sa voix grave traîna en longueur alors qu’il le fixait d’un air presque joueur. Qu’est-ce qu’il voulait ce gamin ? Un copain de Megumi ? Après tout, c'était de son âge. Un petit copain peut-être ? Comme les Zen’in en brûlerait de dégoût et de rage, ça lui plaisait.
Il renifla avec amusement et soudain se crispa. Tout son corps se gaina et sa main sur sa hanche se nerva sous l’effet des muscles à l’affût. C’était quoi cette chose ? Maintenant il la sentait, cette chose sous la chair, cette odeur indescriptible qui se dispersait dans l’air. Un fléau ? Un humain ? Son esprit conciliait avec son instinct, se demandant quel serait son premier mouvement. Est-ce qu’il devait buter cette saloperie ? Il n’avait que ses poings, pas d’arme maudite pour l’exorciser et quelque chose… quelque chose lui disait de ne pas s’y risquer. Comme lorsqu’il avait affronté Gojo Satoru.
Et puis c’était le problème de Megumi, vraisemblablement. Pas le sien.
Son regard acéré se pencha vers le garçon aux cheveux clairs en même temps que le haut de son corps. Il passa une main sur son menton mal rasé et finalement laissa son corps se détendre.
« Tu viens voir Megumi ? Il est pas là… Il est... » Impossible de se souvenir d’où il était parti. Et puis, à bien y réfléchir, il n’allait pas lui simplifier la tâche à ce point. Son gamin était fort mais naïf, il ne faudrait pas que le maigrichon arrive par surprise et le tue sans sommation. Toji n’avait aucun intérêt à aider son rejeton. Il ne devrait même pas s’en soucier. « … aucune idée. Il devrait revenir bientôt. Rentre. » Alors pourquoi laisser le non-humain rentrer dans l’optique de l’avoir à l’œil ? « Je suis Toji Fushiguro. » Il lui fit dos et retourna vers le coin cuisine pour se refaire du thé, laissant la porte ouverte. Une fois sa tasse remplie, il retourna s’asseoir en tailleur au milieu de la pièce avec un soupir bruyant.
« Pourquoi tu es si pressé de trouver Megumi ? Vous avez rencard ? » Il apporta la tasse à ses lèvres en regardant le garçon paniqué, en sueur et visiblement désespéré. « Ou ça a à voir avec le Fléau que tu as en toi ? »

La description faite du rejeton par cet Itadori, à grand renfort de gestes et grimaces, était d’une parfaite précision. Quel physionomiste. Toji l’écoutait en sirotant sa tasse, ses doigts cornés tapotant la surface douce de la céramique chaude. Alors cet abruti avait avalé un doigt de Sukuna. Ca expliquait des choses. Difficile d’imaginer un tel fléau choisir de lui-même un type paumé comme ça. Les yeux sombres du plus vieux observait la tenue déchirée du jeune homme, les nombreuses marques sur sa peau pâle et la sueur qui roulaient sur les reliefs de son visage ; visiblement le fléau n’avait pas prévu de laisser à son hôte le contrôle de son corps et se libérer était une bataille en soit. C’était déjà étonnant qu’il ait pu reprendre ses esprits.
Par compassion, Toji devrait le tuer maintenant que le parasite qui l’habitait était encore muselé, comme on abattrait un animal infecté et rongé de l’intérieur. Ce gamin n’avait pas l’air bien méchant, ce n’était pas la peine de faire durer l’illusion d’un retour à la normal possible. L’achever rapidement et sans prévenir serait sûrement mieux que ce qui l’attendait prochainement. Cependant, il n’avait pas d’arme maudite sous la main et rien ne lui disait que Sukuna ne contre-attaquerait pas immédiatement. Le brun n’allait pas plonger à l’aveugle. En plus, ce n’était pas ses affaires… Il ne faisait pas la charité.
Il se gratta la nuque et posa sa tasse vide devant lui, à côté de son ticket perdant. Est-ce que Megumi allait bien ? Difficile à dire, ce n’était pas comme si le gosse lui parlait beaucoup, mais Toji n’avait pas besoin de le connaître pour dire qu’il était complètement éteint. Visiblement ravagé par un événement passé. Il avait le même regard que celui du fantôme qu’il était entre les murs des Zenin. « Megumi est indemne, si ça peut te rassurer. » Dit-il d’une voix traînante et désintéressée. Puis il lui lança un sourire aux dents acérées. « On peut dire qu’on est de la même famille. Je suis son paternel. » Toji était curieux ; est-ce que Megumi avait parlé de son connard de père à son copain ? Oh, il aurait des raisons de le faire…
Enfin… Peu importait. Il commença à se lever en posant la paume sur son genoux et attrapa sa tasse pour la poser dans l’évier. « Ca fait combien de temps que tu es possédé ? Ce salopard doit chercher ses doigts, je me trompe ? Et pourquoi tu as eu besoin de protéger Megumi ? Où était Satoru Gojo ? » Son regard devint glacial alors que la question claquait comme une accusation. Puis il soupira et regarda le garçon planté au milieu du salon, éclairé par la lumière qui venait de la baie vitrée. Il ouvrit un placard en hauteur et sorti un uniforme noir à Megumi avant de le jeter à Itadori. « Les voisins vont croire que je fais venir des prostituées chez moi, Megumi ne va pas aimer. » Il lui envoya un regard moqueur.
Il fallait qu’il s’arme rapidement.

Deux doigts. Sans se dépatir de son expression neutre, les yeux sombres de l’homme de marbre s’écarquillèrent alors qu’il fixait le garçon en face de lui. Il manquait deux doigt à ce fléau pour retrouver sa pleine puissance ; le gamin en face de lui ne devrait même pas être en mesure de prendre le contrôle, pas une seule seconde. Toji se mit tout de suite en alerte ; était-ce la volonté de Sukuna de le voir rappliquer ici ? Fushiguro avait bien fait de ne pas l’attaquer ; sans armes et préparation, c’était la mort assurée. Il doutait même de pouvoir lui faire face un jour. Et ben, quel merdier, son fils ne le décevait pas sur sa capacité à s’attirer autant de problème que son paternel.

Et Gojo Satoru était enfermé par la lisière des supplices … Pas que cette information l’attristait particulièrement ; Toji n’avait que modérément envie de mourir et l’absence de Satoru Gojo était un avantage non négligeable pour sa survie. Seulement, difficile d’imaginer cette situation finir autrement que comme une victoire écrasante pour le fléau et les desseins qu’il avait pour le monde. Toji soupira et se gratta l’arrière de la nuque de ses ongles rongés. Ca lui prenait la tête.

Compliqué de savoir si il voulait vraiment donner ce papier qui reposait maintenant dans sa paume à Megumi ; il savait que le gosse était loin d’être à la hauteur et quoi que Sukuna lui réservait, il ne pourrait pas y échapper. C’était envoyer sa progéniture à la mort ou pire si cette saloperie de Ryomen Sukuna avait d’autre plan. Est-ce qu’il était aussi salaud que ça ? Il le prit tout de même et le rangea paresseusement dans sa poche en acquiesçant.


« Désolé ? Fallait peut-être y penser avant de bouffer un doigt de fléau. » C’était pas très juste d’en vouloir à ce gosse alors qu’en réalité, c’était Gojo Satoru qui avait merdé sur toute la ligne et qui maintenant se prélassait dans sa prison d’ossement et de désespoir en laissant ses ordures aux autres. « Tsss… je lui dirais. » Il aurait pu retenir le jeune, mais honnêtement, Toji n’avait aucune envie de se retrouver face à Sukuna dans l’immédiat. Alors il continua simplement en disant. « Bon courage gamin. Il en faudra… »

Il lui laissa la place pour sortir de l’appartement et avant que Yuji puisse passer l’ouverture il mit son bras en travers. « Petit conseil ; quand ton esprit cède, ne le retient pas. L’important c’est de survivre. » Il leva son bras et se décala. « Au plaisir de te revoir Itudari Yoji ! »