Lost souls - ft. Gwen

Killian & Gwen

lost souls

Cela faisait plusieurs mois déjà que cette histoire durait. Ça avait commencé à l’automne, alors que Killian était lancé dans une quête pour retrouver... Il ne se souvenait plus tellement de ce qu’il cherchait, quand il était tombé sur elle. Elle était là, sur un pont, visiblement à deux doigts de sauter. Durant toute sa vie sur les mers, le capitaine en avait vu. Marins à bout qui sautaient du bateau sans demander leur reste, pauvres paysans qui se jetaient dans la mer tout habillés quand les récoltes s’avéraient insuffisantes ou que l’un ou l’autre des sorciers, magiciens ou tout autre méchant s’amusait à décimer leur famille pour les laisser seuls, perdus et tristes... Les histoires se ressemblaient toutes et se terminaient de la même façon : un corps au fond de l’eau. Alors quand il l’avait vue là, à deux doigts de commettre l’irréparable... Son égoïsme légendaire s’était enfui à toutes jambes. Il était arrivé pile à la bonne seconde, alors qu’elle venait de lâcher la rambarde, le corps plongeant vers l’avant. Réflexe rapide d’un Capitaine surentraîné par trois cent années passées à attraper les cordages qui s’échappaient au gré des vents, il avait attrapé son bras de sa main valide, puis avait agrippé son haut avec son crochet. Il lui avait fallu fournir un certain effort pour la hisser de nouveau en sécurité, mais rien qu’il n’ait déjà eu à faire dans la forêt enchantée. Ils étaient tombés en arrière sous la force de l’action et après s’être débattue quelques secondes, la jeune femme avait fondu en larmes dans ses bras. Le cœur bien sombre du pirate s’était serré face à la détresse visible de la jeune femme et il s’était contenté de la tenir contre lui, tandis qu’il gisait là, sur le sol, la blonde au-dessus de lui. Il avait glissé sa main valide sur son crâne, l’avait caressé doucement tandis qu’elle se calmait petit à petit. Tout ça lui avait rappelé avec une violence inouïe ces moments de son enfance durant lesquels Liam avait dû le rassurer, après le départ de leur père. Killian n’avait eu de cesse de s’endormir sur le torse de son frère, épuisé par ses larmes et sa colère à l’égard de l’homme qui les avait vendus pour s’offrir la liberté. Empli d’une compassion qu’il pensait perdue depuis longtemps, il s’était donc contenté de serrer la jeune femme contre lui, jusqu’à ce qu’elle se retrouve parfaitement immobile, la respiration calme et profonde. Il avait constaté qu’elle ne dormait pas quand il s’était levé, mais qu’elle était visiblement trop épuisée pour dire ou faire quoi que ce soit. C’est donc sans un mot qu’il l’avait soulevée de terre, puis qu’il avait marché jusqu’à l’hôpital le plus proche. Une fois la jeune femme entre les mains compétentes des docteurs, il était parti... Mais était revenu sur ses pas presque aussitôt, afin de s’assurer qu’il lui serait possible de venir lui rendre visite. Difficile de l’avouer à voix haute, bien sûr, mais il était réellement touché par elle, par cet acte qu’elle avait tenté de commettre, par... Par la douleur et le vide qu’il avait discerné dans ses yeux.

Il était revenu le lendemain, puis le surlendemain, et deux fois par semaine depuis. Gwendolyn – Gwen – était un genre de constante dans sa vie, désormais. Il allait la voir, passait un peu de temps avec elle, disputait une ou plusieurs parties de cartes, s’assurait que son état ne s’aggravait pas. Il n’était pas idiot au point de penser qu’elle pourrait un jour aller bien. Qui, dans ce monde, ou dans les autres, allait réellement bien ? Il ne croyait plus en ce genre de choses. Le bonheur n’était qu’une chose abstraite, qu’on vous arrachait sitôt qu’on vous l’avait donné. Lui avait eu les quelques années avec son père, puis avait été vendu au capitaine d’un bateau en échange d’une simple chaloupe. Il avait ensuite eu le bonheur de devenir officier de la marine royale avec son frère pour Capitaine, puis son frère lui avait été arraché à son tour. Milah avait bien sûr été le soleil de sa vie, celle qui avait fait à nouveau battre ce cœur déjà si endolori, mais elle avait péri de la main du crocodile et il était retourné à sa noirceur. Baelfire avait été la dernière étincelle de bonheur dans son existence si morose, mais cette fois c’était lui-même qui avait tout détruit, puisqu’il était à l’origine de l’abandon qu’avait connu le garçon. Non, décidément, Killian savait pertinemment que le bonheur n’était pas une chose qui s’obtenait facilement. Alors le trouver quand on ne savait plus qui on était, en ayant atterri dans un monde inconnu, et en étant enfermée dans un hôpital... Il n’y croyait absolument pas. Il s’assurait donc qu’elle ne plongeait plus tête la première dans ses idées noires, quitte à utiliser un peu du charme qui avait fait sa réputation dans la Forêt Enchantée. Il ne l’aurait pas avoué à n’importe qui, mais il s’était attaché à elle, au fil du temps, et ne voyait plus son quotidien sans ces visites. Il n’avait pas de jour précis, passait quand il en avait le temps, en essayant de ne pas laisser trop de temps entre deux rencontres. Aujourd’hui, il n’avait ni besoin d’aller à la librairie, ni de se lancer dans la quête d’un objet perdu. Il avait donc décidé d’aller voir Gwen, armé de son fidèle jeu de cartes et de quelques sucreries. Il commençait à se faire à toutes ces choses qui n’existaient pas dans les divers Royaumes qu’il avait pu visiter, et devait avouer que certaines modernités étaient bien utiles et parfois fort agréables. Les bonbons et le chocolat en faisaient partie. Il salua le personnel de l’accueil de son habituel sourire charmeur, et prit la direction de la grande salle où la blonde se trouvait généralement. À force, plus personne ne lui posait de questions. Il la repéra assez rapidement, assise dans un fauteuil et probablement le regard dans le vide, et se dirigea aussitôt vers elle. Il posa une main sur le sommet de sa tête pour signaler sa présence, puis s’installa dans le fauteuil vide à côté du sien.

« Bonjour, love. Je t’ai apporté quelques… Choses ? »

Il haussa un sourcil confus, ne se souvenant plus réellement de ce qu’il avait acheté, et lui posa le paquet entre les mains. Un mélange de sucreries un peu dépareillées mais qui ferait probablement plaisir. Du moins l’espérait-il. Contrairement à la première fois qu’il l’avait vu, il tâchait de lui rendre visite en laissant ses diverses armes chez lui, et en s’habillant à la mode moderne, en gardant tout de même son long manteau de cuir. Bien évidemment, son crochet était toujours remplacé par sa prothèse lorsqu'il venait.

« Comment te sens-tu, aujourd’hui ? »

Lost souls

Une journée de plus pour Gwen. Ce constat ne faisait que creuser un peu plus le gouffre qui habitait son être, qui aspirait son âme (si tant est qu'elle en ait vraiment une). C'était mécaniquement que la jeune femme abordait son quotidien au sein de l'hôpital, incapable de trouver une réelle motivation pour mettre du coeur à l'ouvrage.

Aujourd'hui, au moins, Gwendolyn n'aurait pas à se retrouver en thérapie, la séance qu'elle avait eu deux jours plus tôt avait été particulièrement éprouvante, et le personnel de l'hôpital semblait penser qu'il valait mieux la laisser se reposer et digérer ce qui s'était passé. Comment aurait-il pu en être autrement, quand Gwen s'était rappelé un moment des plus terrifiants de son existence ?

Il était encore frais dans sa mémoire, ce monstre dont elle avait dû se dissimuler pour des raisons qu'elle ignorait encore, un lézard géant qui, elle en avait l'intime conviction, était humain en dépit de son apparence horrible. Et l'homme en question la cherchait. La traquait. La peur de ce souvenir avait débordé sur le présent, et c'était une panique viscérale qui s'était manifestée.

Assise dans un fauteuil au sein de la grande salle, là où les patients étaient généralement réunis pour des temps communs sous surveillance, Gwen avait tenté de remplir son carnet de toutes ces formules qui lui étaient revenues en tête, mais la patiente s'était rapidement laissée distraire, son esprit accaparé par cette image du passé. Cette créature... Lui avait-elle fait du mal ? Pourquoi la cherchait-elle ainsi ? Est-ce que... est-ce que Peter l'avait sauvée ?

Tout finissait par revenir vers lui. Vers celui dont elle s'était rappelée avant même de se remémorer sa propre identité. Celui qui, elle le savait, le personnel de l'hôpital travaillait à retrouver, ne serait-ce que dans l'espoir de la faire progresser. Mais était-ce seulement possible, avec ce gouffre qui l'engloutissait à chaque instant ? Tout aurait été plus simple, si elle avait pu retrouver ses ténèbres dès son arrivée en ce monde.

Mais elle avait été sauvée. Et ce sauveur était devenu une constante dans son quotidien, lui rendant régulièrement visite. Dans un premier temps, c'était avec une colère viscérale qu'elle avait répondu à sa présence, convaincue qu'il aurait simplement dû la laisser tomber. Mais, au fil des visites, Gwen était parvenue à s'apaiser.

L'homme était patient, doux. Il était une stimulation nécessaire pour Gwendolyn, qui consacrait une bonne partie de son énergie à leurs rencontres. Une manière aussi pour elle de prouver qu'elle progressait. Qu'ils pouvaient la laisser quitter l'hôpital, même si elle ne savait que trop bien ce qu'elle ferait, si c'était le cas...

Ce fut son contact sur le sommet de son crâne qui la tira de ses pensées, la forçant à revenir à la réalité. Gwen battit des paupières, son regard s'animant légèrement, tandis qu'elle reprenait progressivement contact avec le moment présent, les mots de son sauveur faisant progressivement sens dans son crâne. Le vague sourire qu'elle étira tenait du masque, une mimique d'expression acquise en thérapie plutôt qu'une véritable preuve de ses émotions, de ses sentiments. Comment pourrait-il en être autrement, quand Gwen se sentait aussi vide ?

Un paquet fut posé entre ses mains, et Gwendolyn l'ouvrit maladroitement, pour en scruter le contenu. Des sucreries. La mémoire de Gwen avait été si affectée qu'elle en avait oublié le goût de tant d'aliments. Manger état certainement une expérience pour la jeune femme, mais mieux valait prendre les choses petit à petit, pour éviter une sur-stimulation.

"Merci... ?"

La gratitude était incertaine, hésitante. Des normes sociales qu'on tentait de lui ré-inculquer, mais qu'elle peinait à comprendre, à assimiler et à appliquer. Avec d'autres, Gwen préférait simplement s'abstenir. Mais elle savait que Killian ne la jugerait pas. Qu'il n'écrirait rien à son sujet pour déterminer si elle progressait ou régressait. Non, rien de tout cela.

Lorsqu'il s'enquit de son état, Gwen gratta inconsciemment son poignet, qui avait été récemment bandé. La panique qu'elle avait éprouvé lors de sa séance thérapeutique s'était manifestée par de la violence, principalement tournée vers elle-même. Elle avait refermé ses dents sur sa chair pour se faire taire, pour tenter tant bien que mal d'atténuer l'horreur du moment, pour supplanter la souffrance mentale avec une douleur physique. Cela n'avait pas été très efficace.

"Je me suis rappelée de certaines choses. Il paraît que c'est un progrès."

Sa voix était atone, comme elle l'était généralement. Insuffler des émotions dans sa voix était un processus conscient, qui nécessitait une énergie et une concentration que Gwen ne se sentait pas de manifester. Pas si elle voulait communiquer durablement avec Killian, comprendre ce qu'il lui disait, réciproquer ses paroles et son attitude. C'était frustrant à tel point tout ce qui semblait si simple aux autres était une épreuve pour elle...

Il n'y avait pas de vie dans sa voix, mais Gwen avait suffisamment avancé pour entretenir une conversation. Pour comprendre qu'une telle question devait être retournée, et pas simplement répondue. Serrant contre elle son précieux carnet, Gwendolyn reprit, avec une articulation artificiellement soigneuse :

"Et toi, comment te sens-tu aujourd'hui ? Est-ce que tu as sauvé quelqu'un d'autre ?"

Une tentative d'humour ou une pique envers Killian ? Difficile à dire. Gwen elle-même n'en était pas certaine. Parfois, Gwendolyn ne comprenait pas les paroles qu'elle formulait, comme si ces mots ne provenaient pas vraiment d'elle. Comme si une autre personne tentait en vain de retourner à la surface...