Brotherhood - Eren.

Un mur qui enlace des ignorants dont, cette fois, il fait partie. Juggernaut est certainement la plus caustique des ironies.
Il ne pensait pas revêtir de nouveau un quelconque uniforme, retrouver l'esthétique de la guerre alors qu'il appelait sa fin de tous ses vœux - le brassard de Mahr le hante parfois mais Sieg n'en dit jamais rien.
Le voilà à conduire une expédition dans l'intérêt de la cité de pierre, enrôlant une poignée de cartographes décidés.
L'exploration s'est déroulée sans accroc, le contingent qu'il mène a cueilli les échantillons requis, ceux-ci seront examinés par la Tour de sorcellerie. L'opération s'est voulue discrète et Sieg dispose d'un quartier libre avant le retour au bercail programmé au lendemain. Son pas flâneur l'a tiré loin du campement, certainement mué par une envie d'introspection.

Tout cela n'est pas très compréhensible. Il admet, sans grande difficulté, que l'existence n'est pas justifiée par un but, si ce n'est la multiplication, ce qui a l'avantage de la rendre très explicable. Cependant, cette seconde vie qui lui est proposée l'est bien moins. Il s'était résolu, un peu à contrecœur sur le moment, à mourir - ce qui n'avait pas manqué d'arriver - et pourtant, à cet instant même, un filament de soleil découpé par la cime des arbres réchauffe son visage. Cela n'est pas conforme à l'idée qu'il se faisait de l'après-vie.

Cependant il n'aurait pas songé à ça. Un monde, que son esprit aurait eu bien du mal à façonner, même en proie au délire bordant la mort imminente. Un monde de technologies plus avancées que celles dont il avait connaissance, peuplé d'individus qui ne lui évoquent rien et qui apparaissent, a priori, mus par leurs propres instincts. Une véritable fourmilière de chemins parallèles, ou croisés, il n'en sait rien.
Bien sûr, l'Axe relie tous les points du passé, du présent et du futur. Mais, ce qui est curieux, c'est qu'aucun des résidents de cette étrange ville ne semble, jusqu'ici, faire référence au sang d'Ymir - ce qui, pourtant, devrait être le dénominateur commun. Et qui devrait animer les débats autour des Mastodontes.

La cigarette monte jusqu'à ses lèvres, rougeoie ; cette goulée laisse bel et bien une empreinte sur la langue. Le soleil est toujours haut et le vent léger, il exhale un soupire, une petite satisfaction. Ces moments futiles n'ont aucune ampleur, mais éventuellement de la saveur. Il l'a déjà concédé. Bien sûr, ces moments-là, il ne les mérite pas, pas après tout le sang très consciemment versé - pour rien, en plus, difficile de s'abuser. Il accorderait volontiers, à qui voudrait le point, que l'instant de contemplation qu'il dérobe actuellement n'est pas très juste. Mais la justice il n'y croit pas vraiment, au-delà de sa fonction de garde-fou social plus ou moins efficace, elle est bien moins palpable que l'est cette brise. Il en serait presque désolé. Mais, au fond, cela ne serait pas très utile.
Les êtres vivants sont préservés, souvent, par la peur de mourir. C'est peut-être ce principe qui l'enrobe dans une certaine forme de latence. L'incompréhension doit également y jouer un rôle. Ici, les règles sont illisibles, ce qui pourrait presque atténuer le déterminisme. Le privilège de l'ignorance, peut-être. Ignorant, il l'est. Mais, tristement il n'est plus si naïf.
Alors l'espoir ne le touche pas, mais il est là, à consommer un midi calme et ensoleillé.

Bien sûr, il se demande quelle a été la fin de son monde. Mais il ne sait pas trop si chercher à savoir avancerait à quoi que ce soit ; le Grand Terrassement doit être passé par là et maintenant, une chose est sûre ; il ne reste que ce qui s'observe ici. La nostalgie est un sentiment ordinaire, dont il ne prétend pas pouvoir s'absoudre et s'attacher aux souvenirs à l'orée d'une perte totale de repères est d'autant plus entendable. Il a pensé à Xaver, à ce qu'il aurait bien pu penser de ce monde un peu étrange, peut-être délesté de l'héritage d'Ymir, peut-être créé par l'activité électrique de son cerveau qui rend l'âme. Mais, si c'est ça, la dilatation du temps est vraiment prodigieuse.
Et étrangement, il a surtout pensé à Eren. Sans colère en réalité, car à l'instant il n'est pas trop mauvais perdant. Ou, plus honnêtement, il s'imagine à quel point Eren le serait, perdant, s'il était là, dans ce monde, avec lui. Enfin, si ce monde est bien autre que le leur, bien sûr. Ce qui n'est pas totalement inimaginable.
Ses pas le conduisent sans aucun but, le portent vers des alcôves boisées, peut-être légèrement animé par une impression.

Que faire désormais ? Il n'en sait rien. Il déambule entre les arbres, porte son regard sur le vide, repousse très consciemment le besoin de trouver une réponse à plus tard. Cette situation d'errance amène un presque confort, engourdit l'urgence, rend obsolète toute réflexion ou certitude bien construite. A quoi bon, au fond ?
Et il n'y a rien en lui qui, à cet instant, brûle de comprendre. L'inertie qui porte ses pas, la vague contemplation à laquelle il s'essaie, suffisent.
Et puis s'il devait être honnête, il l'admettrait : en réfléchissant trop, le risque d'éprouver du regret deviendrait vite important. S'il se sait coupable de nombreux carnages et qu'il n'amoindrit, pas vraiment, sa responsabilité, il n'a pas outre mesure envie de s'imposer un sentiment fort désagréable. Sans doute qu'il serait décent de le faire, mais faire repentance de ses fautes ne l'enchante pas vraiment. Ce n'est pas comme si cela pouvait changer les choses. D'ailleurs, même s'il déplore les morts causées, il regrette surtout de ne pas être arrivé à ses fins et donc de les avoir causées pour rien. Et maintenant tout cela ne rime plus à rien.
Un œil laconique sur les mouvements de la nature, de la fumée aux lèvres, il se contente de tourner en rond. Il se paiera encore ce luxe, un moment.
En vérité, il n'espérait pas vraiment survivre à son échec. Il n'avait jamais considéré que la vie était autre chose qu'absurde, cependant la mise en œuvre de son plan était une bonne raison de rester vivant, le temps nécessaire. Or, son plan avait échoué sans qu'aucun retour vers l'arrière ne puisse être envisagé. Ce plan répondait, qui plus est, aux besoins d'un monde que Sieg a perdu.
D'ici tout semble encore plus futile.
Il secoue lentement le visage à la négative, l'œil éteint et un sourire qui amalgame nostalgie et amertume aux lèvres. Le voilà déjà en train de réfléchir plus que de rigueur, alors que la journée s'annonce vraiment belle. N'est-il donc pas capable de profiter des plaisirs simples ? Voilà qui est assez contrariant.
Mais les contrariétés ne s'arrêtent pas là. Il ne l'avait pas aperçue tout de suite, cette silhouette prostrée. Ou plutôt elle ne s'était pas imprimée dans son champ visuel, peu lisible dans le brouillard qui imbibait sa marche aléatoire. Peut-être, aussi, que son esprit fuyait cette rencontre. Mais, maintenant, l'apparition s'impose à lui et il est impossible de s'en détourner. Il le reconnaît immédiatement.
Il est tourné dos à lui. Eren. Que fait-il ici ? Est-il seulement réel ? Est-ce lui qui, au final, est à l'origine de la création de ce monde étrange ? Les lèvres de l'aîné restent en suspens, ébahies. Indécis, il lui est difficile de s'arrêter sur une émotion bien tangible, bien déterminée.
Et pourtant il se rapproche, animé par le besoin de comprendre qu'il parvenait jusqu'ici à ignorer. Malgré ses allures de mauvaise blague, la situation vient de gagner en réalité. Sieg se sent légèrement plus concerné. Il avait, abstraitement, imaginé à quel point son petit frère détesterait ce nouveau monde - s'il n'en était pas à l'origine, bien sûr - mais c'était surtout pour consoler son propre découragement, il ne pensait pas vraiment le revoir un jour.
Il ne saurait déterminer si ce qu'il ressent en étant détrompé est bien positif mais c'est plutôt consistant. Il s'était attaché à Eren, ou plus exactement à ce qu'il avait voulu voir en lui, cela laisse peut-être des traces. Le fait d'avoir été trahi et désillusionné doit également en laisser. Peut-être que son cadet n'est là que pour se rire de lui - mais Sieg en doute, il n'y trouverait aucun intérêt. Eren est, peut-être, là par intérêt, justement. A-t-il besoin de lui, du sang royal, pour une quelconque raison ?
Il arrive à la hauteur de son demi-frère sans prendre de réelle précaution. A quoi bon ? Si Eren dispose toujours de ses pouvoirs, toute prudence est bien vaine, alors autant ne pas batailler inutilement si c'est pour se faire déjouer à coup sûr. Banalement, il s'accroupit face au jeune homme, trouve une position de confort, comme s'il était prêt à entamer une discussion.
La position de repli d'Eren l'a tout de suite interpellé. Et maintenant, il constate à sa main levée qu'il s'apprêtait à se mordre, ici, au milieu de rien. Sieg aurait pu penser à une mise en scène, pour prétendre la vulnérabilité, mais cela ne serait pas conforme aux méthodes de son frère.
Eren semble bel et bien perdu. L'aîné n'en fait pas encore une certitude. Oh. Je serais curieux de voir si ça marche toujours, ça. Dit-il, sans ardeur ni aigreur, comme si le commentaire était on ne peut plus naturel, anecdotique, en pointant la main d'Eren. Ce monde... Est-ce que ça ressemble à ce que tu voulais ?

La surprise qui saisit le visage de son frère n'a pas l'air feinte. Sieg remarque, aussi, son regard qui s'embourbe dans le vague. Au final et malgré tout ce qu'il avait espéré, il ne peut pas prétendre connaître Eren. Il les avaient pensés, trop fort et au mépris de tout réalisme, unis par un dénominateur commun, des souffrances partagées. Il s'était attaché à cet espoir et son cadet l'avait contredit sans une once d'affectif. L'aîné, avec le recul et plus de pragmatisme, voit à quel point la relation a été asymétrique. Pour autant, il ne lui en tient pas vivement rigueur. Relativiste, il comprend leurs intérêts contraires même s'il considère l'action de son cadet inutilement meurtrière. Il concède surtout qu'Eren ne lui a jamais réellement menti, c'est lui-même qui s'est abusé.
Malgré tout cela, il ne perçoit pas Eren comme un étranger, pas comme n'importe qui d'autre. Il n'a pas appris à le connaître, mais l'a connu à un instant de réelle sincérité - qui pourrait bien être qualifiée de monstrueuse. Et là, il a compris toute la puissance de sa soif de liberté, en lutte sur 2000 ans d'histoire. Eren, lui, a lu en Sieg comme personne n'avait eu la possibilité de le faire. Alors, à ce stade, inutile de se cacher ou de maintenir de quelconques apparences. Aussi ambiguë et amer soit-il, l'échange n'est pas difficile. D'autant plus que Sieg, ayant déjà perdu, n'a plus grand chose à risquer. Ce temps est celui de la trêve, un rien absurde et contemplative, après une guerre qui a tout dévasté.

La réponse de son frère lui apparaît d'une honnêteté crue. Les yeux de Sieg ne laissent transparaître aucun étonnement. Il se doutait que ce nouveau monde, pour peu qu'il n'en soit pas à l'origine, ne lui conviendrait pas. Quelque part, ce nouvel univers est plus conforme à ses espoirs qu'à ceux de son frère - plus aucun Eldien, semblerait-il. Il s'attendait à trouver plus de satisfaction que cela dans l'insatisfaction d'Eren, mais une fois encore, il n'est pas démesurément étonné. J'imagine que ça nous fait, enfin, un point commun. Rétorque t-il, sans réprimande ni emphase, seulement un brin d'ironie. Quelque part il se confesse un peu, aussi, une fenêtre sur ses états d'âme. Il n'espère pas vraiment créer de lien, cette fois, mais la sincérité est parfois utile. Il ne souhaite pas se poster en ennemi, cela serait bien futile.
La pique qui lui est adressée ne fait pas réellement mouche. Elle aurait eu le potentiel de le contrarier, si Eren ne semblait pas si défait et la situation bien contradictoire. Oh. lâche t-il, platement. Il gratte son oreille de l'index, un vague tic de réflexion. puisque tu me le demandes, j'imagine que tu es bien perdu et que ce n'était pas "censé arriver". ça doit être assez ennuyeux. Es-tu encore persuadé que tout cela avait du sens, si c'est pour finir ici ? Une pointe de condescendance, peu vivante, au début de sa réponse histoire de vaguement rendre la pareille et puis une question honnête. Sieg aimerait bien savoir, il est curieux de comprendre son frère, surtout à l'aune de sa propre perte de sens. Il l'a bien remarquée, la rage qui s'est emparée d'Eren. Il ne s'est pas gardé de la piquer. Je n'en sais rien. concède t-il. Mais je n'ai trouvé aucune trace de l'histoire Eldienne. Il observe son cadet et poursuit après un instant de fausse réflexion. Je ne vois qu'une façon de le savoir. Essayer d'atteindre l'Axe.