Digging nails in to the walls [Pv Nico]

Raz s’éveilla en ce début de journée avec la marque de ses genoux imprimés en deux ronds rougeoyants sur son front. Il passa une main gantée sur son visage pour le défroisser en baillant bruyamment et déplia ses jambes sur le parquet abîmé par le temps. Derrière lui dormait Ceba sur le lit, immobile dans son sommeil de plomb. La jeune adolescente était une de ses âmes échouées en ville et récupérée par des mains avides d’en faire un outil aux services de leurs envies avant d’arriver dans ce centre où ils s’étaient rencontrés.  Le psychonaute passait la voir ponctuellement pour poursuivre leur travail dans cet esprit brisé ; créer des passerelles entre ses envies et son existence. Les nuits étaient consommées dans cette thérapie, l’évolution lente, mais sentir son esprit s’apaiser suffisamment pour que naissent des étoiles au dessus de son petit bout d’esprit escarpé au bord du précipice était une chaleureuse récompense  

Il se leva en faisant craquer ses genoux et jeta un regard à la silhouette endormie ; son visage était émacié et sa pomme d’adam ressortait sur la peau mordorée trop fine et trop pâle. On devinait chaque os sous son épiderme tatoué. La jeune femme ne se réveillerait pas avant des heures, elle n’avait gagné le sommeil que peu après minuit, alors le psychonaute décida qu’il était le moment pour lui de déjeuner et de repartir en quête de nouvelles aventures. L’adolescent attrapa son sac en bandoulière et en sorti un carnet bien rempli et un stylo. Il gribouilla rapidement un petit message pour elle sur une page et la posa sur sa table de nuit avant de s’engouffrer dans les couloirs le pas léger.  

Les lattes de bois grinçaient avec un cri lancinant sur son passage et il sentait même à travers son jean le vent froid qui s’engouffrait dans chaque fissure. Ça faisait presque trois ans qu’il arpentait ponctuellement ces mêmes corridors quand il ne choisissait pas de s’en libérer en allant cherchait un toit couvé par une nuit d’été. Évidemment il y avait l’agence de héros qui l’accueillait régulièrement mais moins comme un membre que comme un stagiaire, trop jeune pour les missions, trop habitué à elles pour être laissé sans surveillance. En arrivant à Nowhere il avait perdu le seul endroit où il se sentait enfin à sa place. Ici, il y avaient les encadrants, il y avait les obligations, les papiers, les rendez-vous, les cours… Tout ce qu’un mineur isolé comme lui haïssait, un carcan étouffant. Son seul et unique plaisir était d’arpenter les esprits nombreux et variés des habitants bigarrés de cette ville en patchwork. Les esprits consentants évidemment.

Il saluait les jeunes se mouvant dans les couloirs avec un sourire qui se voulait amicale mais était un peu trop large pour ne pas traduire de sa malaisance. Certains lui répondaient, beaucoup l’ignorait et certains l’esquivait. Méfiance envers quelqu’un qui ne s’était jamais caché d’avoir des pouvoirs pouvant mettre à mal leur plus grand secret et trauma, c’était une réaction logique et Raz ne s’en offusquait pas. Dans sa prime jeunesse, sa famille l’avait habitué à bien plus de défiance. Il fut surpris de trouver sur son chemin la porte ouverte de Nico Di Angelo, un garçon aussi livide que discret dans le décors. Depuis son arrivé, Razputin le voyait parfois passer tel un spectre, souvent absent, il n’avait jamais échangé un mot avec lui et peu de personne avait sûrement eu cet honneur. Le jeune psychonauts ne l’avait pas non plus vu lors de ses premiers jours de lycée (qui avait commencé il y a à peine une semaine, avec beaucoup … d’humour envers sa personne de la part des autres élèves, si on pouvait dire ça.) Alors que, sauf erreur de la part du plus jeune, le garçon aurait dû être dans le même établissement que lui.

Autant dire que tous les voyant de sa curiosité était actionner dans son esprit qui convoitait d’en apprendre plus sur cet étranger. Peut-être pouvait il l’aider avec un passé traumatique ? Ses yeux s’illuminèrent. Il était donc planté juste à côté de l’entrée, réfléchissant à sa prochaine action. Il serrait dans ses mains la lanière de son sac qui reposait sur les nombreuses couches de vêtements qui constituait son uniforme (auto-proclamé) de psychonaute. Sa longue veste et son col roulé de laine étaient parfois difficile à porter en été, mais devenait un irrémédiable atout lors des périodes plus froide, sans compter que c’était un parfait ensemble automne hiver de psychonaute branché.

Finalement il fit un pas dans la chambre, les mouvements lestes il chercha le garçon du regard et quand il le vit, sombre et indéchiffrable, le garçon lui renvoya un regard plein d’intérêt. Tellement perdu dans sa contemplation des lieux et de son habitant, il en oublia de s’exprimer, restant au milieu de la pièce. Puis soudain il prit la parole après quelques secondes interminables de profond silence.

« Coucou. » C’était un début. « Ta porte était ouverte, je venais voir si tu allais bien. » Il gratta le bout de son nez dans un mouvement d’embarras avant de poser ses mains sur ses hanches avec plus d’assurance.  « Mon nom est… Razputin. » Il laissa un peu de temps avant sa révélation, comme si son nom pouvait lui évoquer quelque chose. Bien sûr que non, mais c’était un certain sens du théâtrale. « Et je suis un psychonaute. Et tu es Nico Di Angelo, c’est ça ? Ca fait un an et deux mois que tu es là, et on ne s'est jamais parler. » Trop de détail ? Est-ce que ça faisait stalker ? Il avait le nombre de jours aussi, mais il le gardait pour lui, ça mettait les gens mal à l’aise. « Alors… On peut dire que j’ai profité d’une ouverture. » Son index pointa la porte pour expliciter son trait d’humour. « … … Je pensais te voir en cours, mais tu n’étais pas à la rentrée donc… je suis de nature curieuse. Pas intrusive !  Enfin… je voulais te connaître. » Ses grands yeux fixaient Nico en attendant sa réaction.

Nico & Razputin

digging nails into the walls

Nico était épuisé. Il passait son temps dehors, à parcourir des kilomètres et des kilomètres pour éviter d’être à l’arrêt. Parce qu’il le savait très bien, s’il était à l’arrêt, son esprit allait se mettre à tourner, encore et encore, et les pensées ne seraient absolument pas agréables. Il allait se mettre à penser à la Colonie, au Camp Jupiter, à Jason... À Will... Non, merci, très peu pour lui. Sérieusement, tout ça, c’était l’enfer. Pun intended. En fait, c’était même pas vraiment l’enfer. Parce que Nico, l’enfer, il aimait ça. Il aimait descendre dans le royaume de son père, traîner avec les esprits, marcher dans l’immense palais sombre... Ici, il détestait à peu près tout et tout le monde. Il passait son temps à fuir, comme durant les mois qui avaient suivi la Bataille de Manhattan. Il n’était pas à sa place ici et il le savait très bien. L’endroit qu’il détestait le plus était cet horrible foyer, où il était forcé d’habiter, entouré de dizaines de gamins paumés, avec lesquels il n’avait strictement rien en commun. Il ne comprenait pas les règles idiotes de ce monde qui le forcaient à faire des trucs dont il n’avait ni envie ni besoin. Il ne se pointait donc ici que pour dormir – même pas tous les soirs – et ne passait jamais de temps ailleurs que dans sa chambre, la porte fermée, lui-même fermé à toute tentative de discussion. Le lycée, il avait tenté l’année précédente, mais c’était pas son délire. Alors obligatoire ou non, il s’en foutait, et avait décidé qu’il n’y refoutrait plus jamais un pied.

Sauf qu’aujourd’hui, Nico était trop épuisé. Il s’était aventuré un peu loin hier et avait eu la mauvaise idée de faire un vol d’ombres pour se sortir d’une situation compliquée, ce qui l’avait vidé de ses forces. Heureusement, il connaissait maintenant ses limites et n’avait pas forcé au point de s’évanouir, mais il s’était endormi dès que sa tête avait touché l’oreiller. Quand il s’était réveillé, aux petites heures du matin, il avait entendu la voix de Will, lointaine mais définitivement agacée, l’enjoignant à rester se reposer plutôt que se remettre à courir partout. Vaincu par un souvenir, il avait soupiré et saisit le livre qui reposait sur sa table de chevet, l’ouvrant à la page marquée. Alors qu’il lisait sans réellement saisir les mots – l’esprit étant déjà parti complètement ailleurs – il sentit qu’on l’observait. Il releva donc les yeux, les posant sur un gamin qui s’était approché, se tenait debout dans l’ouverture de la porte. Quand il commença à s’approcher, Nico sentit la colère monter en lui. Mais qu’est-ce qu’il foutait, sérieux ? Il haussa un sourcil, continuant de le fixer tandis qu’il se mettait à parler. Razputin ? C’était pas le nom d’un type Russe, ça ? De la colère, le fils d’Hadès passa à la curiosité. Étrangement, le comportement du gosse lui faisait penser à lui-même, quand il était petit. Toujours surexcité, à sortir un millier de faits sur les monstres à la seconde à qui voulait l’entendre. La plaisanterie sur l’ouverture de la porte lui tira même un léger sourire – fugace, bien sûr – et il se redressa, s’asseyant en tailleurs tandis qu’il déposait son livre sur sa table de chevet.

« Je fais pas ce genre de trucs. La rentrée, là. Pas mon délire, ils peuvent aller se faire voir. »

Il aurait préféré se faire mordre par un chien des enfers que de rester assis sur une chaise pendant des heures. Il avait besoin de bouger, d’être toujours en action, et pas de perdre son temps à apprendre des trucs inutiles. Son corps était câblé pour le combat, pas pour l’école.

« Razputin, hm ? C’est quoi au juste, un psychonaute ? Et comment tu connais mon nom ? »

C’était bizarre, les sentiments qui se mélangeaient sous son crâne, mais il éprouvait soudainement une certaine affection pour le gamin. Comme un petit complètement apeuré qui serait arrivé à la Colonie sans avoir jamais rien su de son ascendance. Il n’était pourtant pas du genre sentimental, mais y’avait un truc dans son regard qui lui donnait envie de le laisser tenter sa chance. Et puis ça l’intriguait, le fait qu’il ait envie de le connaître. Parce que Nico savait très bien qu’il n’avait pas pu attirer l’attention à ce point. Il avait tout fait pour être invisible, alors pourquoi avait-il ainsi tapé dans l’œil de Razputin ?

Nico & Razputin

digging nails into the walls

Visiblement, il avait trouvé le truc qui lançait le gamin dans des explications interminables. On aurait dit lui, plus jeune, avec Mythomagic. C’était assez mignon à voir… Jusqu’au moment où il parla d’entrer dans l’esprit des gens. À cet instant, Nico perdit absolument toute envie de sourire et chaque sentiment positif qui avait pu l’envahir disparut aussi sec. L’idée le terrifiait tellement qu’il ne remarqua pas que Razputin s’était rapproché, trop occupé qu’il était à paniquer. Autour de lui, la température baissa tandis que la peur grimpait en flèche. Par réflexe, sa main trouva le pommeau de son épée – à côté de laquelle il s’était visiblement endormi – le geste l’aidant à faire redescendre légèrement son rythme cardiaque. Il aurait été attendri par le souffle court du gosse s’il n’était pas en panique totale à l’idée qu’il vienne fouiner dans sa tête, mais ce ne fut pas le cas. Il réussit malgré tout à se concentrer à nouveau sur ce qu’il disait... Grognant lorsqu’il eut la réponse à sa dernière question. C’était quoi, au juste, le problème des gens de cette ville ? Pourquoi est-ce que tout le monde se mêlait des affaires des autres, et cherchait à réparer les gens qui ne demandaient rien ? Et puis d’ailleurs, il était ni perdu, ni quoi que ce soit d’autre. Il n’était bien nulle part, certes, mais ça avait toujours été comme ça. Il n’avait pas de foyer à proprement parler, n’avait jamais trouvé sa place hormis aux Enfers. Il le savait et il s’y était habitué, c’était tout simplement comme ça, la malédiction des enfants d’Hadès. Sa sœur, Hazel, avait eu la chance de trouver un endroit qu’elle considérait comme un foyer, mais lui n’y était pas parvenu, c’était ainsi. Pour autant, ça ne le dérangeait pas. Il s’était habitué à bouger sans cesse, ne pas espérer trouver le moindre endroit où il pourrait réellement rester. Il fusilla le gosse du regard.

« Ça te regarde pas. »

D’un accueil chaleureux – du moins pour lui – il était passé à une attitude plus glaciale encore que la température qui ne cessait de diminuer autour de lui. Son aura toute entière se fit menaçante alors qu’il continuait de fixer le plus jeune.

« Tu n’entreras jamais dans mon esprit. Jure-le. »

S’il essayait, Nico était certain qu’il ne pourrait pas se retenir, et que tout ça finirait très mal pour eux deux. Il lui aurait bien fait jurer sur le Styx, mais entre le fait qu’ils ne viennent pas du même univers, et le fait qu’il ne savait même pas si le Styx existait ici... Mieux valait rester sur des promesses plus simples. Et puis, faire jurer un gosse sur le Styx, c’était probablement un peu méchant, même si entrer dans l’esprit des gens était probablement pire. Si c’était uniquement pour entrer dans sa tête que le petit avait voulu le connaître, il était tombé au mauvais endroit. Son esprit, c’était privé, probablement plus que tout au monde. Personne n’avait le droit d’accéder à ses pensées, lui-même s’y fermait parfois. Alors laisser un inconnu y entrer ? Il vivrait ça comme un échec cuisant et une agression des plus horribles. Hors de question. Ça n’arriverait pas.

Nico & Razputin

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Nico n’était pas rassuré. Ce gosse ne lui inspirait finalement aucune confiance. Et quand Nico n’était pas rassuré... Il redevenait sauvage. Il avait fallu un temps fou aux autres campeurs pour l’apprivoiser, il se sentait désormais un peu plus à l’aise avec les interactions sociales, mais ce qu’il venait d’apprendre l’avait ramené tout droit à la case départ. Il détestait cet endroit, y trouvait encore un peu plus d’angoisse et de haine chaque jour qui passait. Si on ajoutait en plus une personne capable de s’incruster dans son esprit au seul endroit où il pouvait espérer trouver un peu de repos, il n’allait pas s’en sortir. Il l’entendit promettre, jurer qu’il ne le ferait pas sans autorisation, mais Nico restait dubitatif. Il avait envie de lui faire jurer sur le Styx, d’entendre ce grondement si familier de la promesse inviolable... Mais il n’était pas délirant ; il n’y avait que peu de chances que le fleuve des Enfers se trouve dans ce nouveau monde. Il gardait espoir de retrouver une partie du royaume de son père quelque part, au moins une trace qui pourrait lui indiquer qu’il n’était pas entièrement seul et perdu dans cet univers inconnu, mais cet espoir était plus que mince. Il n’avait pas vraiment compris ce sur quoi l’intrus avait juré, mais imagina que c’était probablement quelque chose d’important là d’où il venait. Après tout, les humains ne juraient pas sur le Styx, et il se doutait que chacun avait sa façon d’exprimer un serment aussi important. Il renifla, le dédain tout à fait perceptible dans la grimace qui déforma ses traits, tandis que le plus jeune se comportait comme s’il était une biche dans les phares d’une voiture. Bon, d’accord, peut-être qu’il en avait l’air, mais hors de question de l’avouer.

« Je n’ai pas peur de toi. Tu penses vraiment que je pourrais avoir peur d’un gamin ? »

Il avait vécu tellement de choses horribles, de la mort d’êtres proches à la famine, de l’humiliation complète à la trahison, qu’il n’avait réellement plus peur de grand-chose. La seule chose qui pouvait l’effrayer, c’était bel et bien ce qui était en train de se jouer dans cette chambre, cette possibilité qu’on entre dans ses pensées les plus profondes. Mais ne rien montrer, toujours se cacher derrière un détachement général, c’était devenu une seconde nature pour lui. Il fit claquer sa langue en l’entendant parler de consentement et secoua la tête.

« C’est ça. T’es jamais entré dans l’esprit de quelqu’un sans lui demander. Bien sûr. Et moi je suis la Reine d’Angleterre. »

Sarcasme, bien évidemment, puisque c’était sa façon préférée de s’exprimer. Il doutait réellement du fait que qui que ce soit de normalement constitué ayant accès à ce genre de pouvoir ne s’en serve pas sans autorisation. Ça n’avait absolument rien de réaliste, il ne fallait pas se voiler la face. Le changement de sujet soudain, alors que le silence avait pris sa place entre eux, lui fit hausser un sourcil.

« Je ne vois pas de quoi tu parles. »

La température revint à sa normale puisqu’il s’était calmé – du moins en apparence – mais il profita du moment pour envoyer une vague de peur dans la direction Razputin, cherchant à le déstabiliser autant que lui l’avait été ; ce n’était après tout que justice. Lorsqu’il estima que c’était assez, il arrêta cette poussée de peur et continua à fixer l’intrus intensément, sans pour autant reprendre la parole. S’il avait été intrigué au début, l’avait trouvé plutôt drôle, il voulait désormais le voir partir au plus vite, retrouver sa solitude. Ce n’était pas toujours la chose la plus facile à vivre, mais il préférait ne prendre aucun risque. Être seul, c’était ne prendre aucun risque, c’était la sécurité absolue. Toute variable extérieure n’était pas la bienvenue dans sa vie, et ce gamin-là ? C’était la variable imprévisible à souhait. Hors de question qu’il le laisse s’approcher.

Nico & Razputin

digging nails into the walls

Grimace peu convaincue du côté du demi-dieu. S’il aurait pu se laisser convaincre par l’idée qu’il avait réparé les erreurs commises, la suite du discours de Razputin l’agaça à nouveau. Donc il le faisait. Entrait dans la tête des gens sans leur demander leur permission, s’autorisait lui-même à s’insinuer dans leurs pensées les plus profondes... Mission ou non, rien ne justifiait ce genre d’actions. Il en avait connu, des situations compliquées, et même plus que ça. Pourtant, s’il avait eu ce genre de pouvoirs – et il était presque certain que certains sang-mêlés en étaient capables – il pouvait affirmer sans doute aucun qu’il n’aurait jamais fait ça. Ce n’était pas quelque chose qui se faisait, c’était tout à fait inconcevable. Il se contenta de secouer la tête à ses paroles, n’ayant ni l’envie ni le temps de se lancer dans un grand discours pour lui expliquer à quel point tout ça le dégoûtait. Concentré qu’il était pour rendre son aura aussi terrifiante que possible, cette discussion lui sorti de toute façon de l’esprit. La peur se fit si intense dans le regard du plus jeune que Nico put la lire sans aucun effort, et l’idée en elle-même le rendit presque... Heureux. Il était heureux de le terrifier, de le voir reculer. Tout ça était extrêmement plaisant... Et ça le terrifia à son tour. Il n’en laissa bien entendu rien paraître, mais la scène lui laissa un goût amer dans la bouche, après avoir planté dans son esprit une graine fort peu agréable qu’il ne voulait absolument jamais voir germer. Il n’était pas comme ça, ce n’était pas lui. Il était parfois insupportable, le savait parfaitement, mais il n’était pas du genre à se réjouir du malheur des autres, à leur infliger la moindre peine par plaisir. Non, il détestait même cette idée. Alors qu’est-ce qui lui prenait, tout à coup ? Le temps que tout ce débat interne se produise, Raz s’était débrouillé pour en remettre une couche, lui expliquer tout un tas de trucs dont Nico n’avait pas grand-chose à faire. Un terme cependant lui était resté en tête dans tout ce fatras d’informations, et il fronça les sourcils.

« Psychique... »

D’abord murmuré, il reprit la parole d’un ton plus assuré, le répétant.

« Psychique. T’as dit que t’en étais un. C’est quoi, au juste ? »

Il n’avait ni confirmé ni infirmé la supposition de l’autre à son sujet, mais cherchait à en savoir plus. S’il en croyait les mots de son propre monde, il n’avait rien à voir avec un psychique. Mais de là d’où venait Razputin, ça ne désignait peut-être pas la même chose. Autant en apprendre le plus possible, au cas où. Il se radoucit cependant légèrement en entendant les propos du gosse. Lobotomiser... Ça, c’était un mot qu’il connaissait. Le fait qu’il soit dans son esprit, qu’il ait probablement assisté à ce genre de choses ou qu’il ait failli en être la victime... Tout ça lui inspirait au moins un peu de sympathie, même s’il ne l’avouerait pas tout à fait à voix haute.

« Chez moi, on se fait pas lobotomiser. Probablement parce qu’on va pas se présenter à tout le monde en disant qu’on n’est pas normaux. »

À nouveau, il était plein de défi, d’une insolence certaine, d’une froideur et d’un détachement qui auraient fait pâlir de jalousie à peu près tous les Olympiens. Il voyait bien la naïveté dans ses yeux, dans son comportement, et il ne pouvait pas s’empêcher de vouloir le ramener sur terre. Il fallait qu’il apprenne qu’il ne pouvait pas faire confiance à n’importe qui. Qu’il ne pouvait pas faire confiance, tout court. Faire confiance, c’était se mettre en danger, peu importe qui on était.

« Écoute, je sais pas ce que t’attends, mais c’est pas avec moi que tu trouveras ce que tu cherches. Je suis pas un ami, j’ai jamais été bon pour ça. Je pensais que c’était clair vu le fait que je parle jamais à personne ici. Mais visiblement t’es pas très doué pour comprendre le messages de ce genre. »

Il se leva, attacha la ceinture qui retenait le fourreau de son épée autour de sa taille, et enfila sa fidèle veste en cuir. Sa main retrouva aussitôt le pommeau si familier et il se sentit en sécurité. C’était la dernière chose qu’il lui restait du royaume de son père, il y tenait bien plus qu’à tout le reste. Peut-être même plus qu’à sa propre vie. Chaussures aux pieds, il toisa Razputin d’un regard qui ne valait pas grand-chose de bon.

« Écoute, tu fais ce que tu veux. Mais je serais toi, je me ferais pas chier à aller dans leur école toute pourrie, là, et je sortirais plutôt explorer la ville. Sans dire à tout le monde que tu peux faire des trucs qui sortent de l’ordinaire. Ça, faut vraiment que t’arrêtes. »

Peut-être qu’il pouvait lui proposer de venir avec lui, maintenant qu’il était décidé à se tirer d’ici aussi vite que possible. Mais est-ce qu’il avait envie de se traîner un boulet pareil ? Pas vraiment.

Nico & Razputin

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Visiblement, Nico avait appuyé sur un nerf fort douloureux. Il haussa un sourcil intrigué en voyant la porte se claquer au geste de Razputin. Ce n’était ni la chose la plus étrange ni la plus surprenante qui lui ait été donnée de voir, aussi ne réagit-il pas beaucoup plus. Cependant, tout ça lui donnait une bonne idée de la puissance du gosse, et c’était assez plaisant à voir. Il y avait donc réellement quelque chose sous ce sourire un peu niais et ces airs de gentil petit garçon. Une colère assez sourde, quelque chose de puissant et d’encore inexploité. Il l’écouta parler, lui cracher toutes ces choses à la figure, comme s’il ne le savait pas. Tout ne faisait pas sens, mais l’idée était là. La norme n’avait jamais été quelque chose qui aurait pu faire partie de la vie de Nico. Après tout... Il était un demi-dieu, ce qui le mettait déjà hors catégorie. Non seulement ça, mais il était en plus le fils d’un des Trois Grands, le mettant de côté par rapport à tous les autres demi-dieux. Il aurait dû mourir, livré à la colère de Zeus qui imaginait que Bianca ou lui pouvaient être l’enfant de la prophétie... Déjà maudit depuis la naissance, donc. Si l’on ajoutait à ça les dizaines d’années passées au Casino du Lotus qui le mettaient complètement à l’écart de ses camarades qui avaient grandi dans la bonne époque, et le fait qu’il soit gay, on obtenait un bon gros mélange d’anormalité qui l’aurait sans hésité mis dans une situation plus que compliquée quand il était enfant. Heureusement pour lui – contrairement à ce que racontait Razputin – ses parents l’avaient protégé. Sa mère, d’abord, en faisant ce qu’elle pouvait en tant que mortelle pour faire en sorte que ses deux enfants ne connaissent pas le même destin tragique que la plupart des sang-mêlés. Son père, ensuite, en lui sauvant la vie puis en le cachant de la fureur de ce cher tonton Zeus. Il savait qu’il avait de la chance sur ce point. La plupart des enfants de Dieux tardaient à être reconnus par leur parent divin, n’avaient aucun lien avec eux, n’en entendaient presque jamais parler. Lui était proche de son père, autant qu’on peut l’être d’un dieu, et savait qu’il l’acceptait tel qu’il était. Après tout, il lui avait fait confiance et l’avait suivi dans la Bataille de Manhattan, ce qui n’était pas rien. Avant qu’il ait le temps de répondre, cependant, l’autre se remit à parler encore et encore, finissant par faire naître un fin rictus sur les lèvres de l’italien. Au fond... Il était attendrissant, ce gosse. Il lui faisait un peu penser aux campeurs les plus jeunes, qui arrivaient tout effrayés au camp, souvent après avoir été poursuivi par un monstre. Bon, tout le monde n’était pas Percy et n’arrivait pas au camp poursuivi par le Minotaure, mais la plupart n’étaient pas tout à fait sereins quand leur satyre les amenait jusqu’à la Grande Maison. Prenant son mal en patience, Nico laissa Razputin dérouler son petit discours sans faire de commentaire. Lorsqu’il vit enfin la porte s’ouvrir, le coin de ses lèvres s’étira très légèrement. Rictus fugace, pour ne pas montrer que le gamin commençait un peu à fissurer l’armure.

« Je n’ai pas honte de mes pouvoirs. Au contraire. Mais je ne les utilise pas devant n’importe qui. C’est comme ça qu’on reste en vie, chez moi. »

Et contrairement à ce que l’autre avançait, ça n’avait aucun rapport avec le fait d’être brisé ou ce genre de choses. Il savait juste qu’on ne pouvait pas montrer n’importe quoi à n’importe qui, que ça n’apportait en général rien de bon.

« Psychique, je sais pas, mais j’ai peut-être quelques tours dans ma manche. Et maintenant que je suis sûr que toi aussi, disons que j’en ai un peu rien à faire que tu les voies. »

Il s’avança, l’air probablement un peu menaçant – puisqu’il n’avait au fond que cet air là de disponible, sauf si Will était dans les parages – et s’arrêta à quelques centimètres de Razputin, posant un doigt sur son front quelques secondes.

« Alors si tu veux voir un truc cool, suis-moi. Ce serait toujours plus instructif que d’aller dans leur école, là. »

S’il n’avait au départ pas voulu se le traîner, le petit éclat de colère qu’il avait vu briller dans les yeux du plus jeune avait un peu convaincu Nico. Comme il l’avait pensé au début, ils se ressemblaient tous les deux, peut-être un peu plus que prévu, d’ailleurs, ce qui ne rassurait pas le fils d’Hadès. Il était bien placé pour savoir à quel point porter tout un tas de traumatismes et une colère sourde pouvait être terrible et briser quelqu’un. Y ajouter la solitude n’avait décidément pas été un bon mélange pour lui et il avait failli faire d’horribles choses... D’accord, il avait fait d’horribles choses, mais on ne pouvait pas revenir sur le passé. Et puis, pouvait-on vraiment blâmer un enfant qui avait tout perdu et s’était fait avoir par le fantôme d’un ancien Roi de Crète ? Il en doutait. N’empêche que pour le gamin qui lui faisait face, il pouvait encore intervenir. Will lui en aurait probablement mis une s’il n’avait rien fait. Alors il ne garantissait rien, se doutait qu’il en aurait probablement marre très vite, mais... Il fit le tour du jeune homme et commença à s’éloigner, se retournant très légèrement une fois dans le couloir, parlant assez fort pour être entendu.

« Tu viens, p’tite tête ? J’ai pas toute la journée, moi. »

Cette idée de trouver une place lui trottait dans la tête. Il en avait une, auprès des autres demi-dieux, à la Colonie. Mais ce n’était peut-être pas le cas de Razputin. Sans attendre de voir si le gosse le suivait, il se dirigea vers la sortie du bâtiment. À force, on n’essayait même plus de l’arrêter. De toute façon, il y avait ici trop de gamins perdus qui bouffaient l’attention de ceux qui étaient censés s’occuper de lui. Une fois dehors, il continua son cheminement, prenant une direction un peu au hasard. Il ne savait pas trop où il allait, mais il finirait bien par trouver. Ou peut-être que le gosse trouverait avant lui. S’il le suivait.