I keep closing my eyes [PV Levi]

Sa main était en suspens, repliée face à la surface vernie de la porte qui lui faisait face. Les centimètres qui séparaient sa peau et le bois semblaient s’étendre bien plus loin qu’une simple coudée, longue et profonde distance. Le visage d’Eren disparaissait sous les ombres de son visage marqué et renfrogné, les pupilles fébriles fixant l’entrée comme si elle allait l’engloutir tout entier. Une goutte de sueur glissa le long de sa tempe et ceux qui passaient au pas dans les couloirs près de lui le regardaient d’un air méfiant. Il fit même peur à une jeune recrue en tournant la tête un peu trop brutalement vers elle, ses documents lui échappant des mains avec un hoquet.



Quel était son droit d’être sur ce palier ? Où était la liberté qu’il leur avait promise, celle qui devait naître de l’enfer dans lequel il les avait plongés ? Non… L’enfer existait déjà avant lui. Il avait juste… il… Il se prit la tête entre les mains en serrant les dents, sa mâchoire craquant au rythme de ses mouvements erratiques. Il sentait la colère prendre racine dans sa frustration alors que toute la situation se déchaînait dans son esprit et qu’il était juste une barque au milieu de la tempête sans l’amarre d’un objectif.



Est-ce qu’il pourrait lui faire face ?



Peut-être pas. La caporal Levi était le supérieur qui avait le plus perdu à cause de lui. A cause de ses choix. De son incapacité à utiliser sa propre force. Tellement de sacrifices pour lui.



Ses baskets commencèrent à faire leur route vers l’escalier alors qu’il soupirait.



Et qu’est-ce qu’il leur devait ? Non… Il se mentait à lui-même. Il s’en foutait de ce qu’il leur devait. Il voulait juste les revoir. Les membres du bataillon d’exploration… Il voulait les revoir voler.



Le revoilà à la porte. Il était pitoyable. Eren s’accroupit en posant son front sur ses genoux, ses doigts serrant son crâne et dispersant ses mèches dans tous les sens.



Il voulait les revoir. Il avait simplement voulu qu’ils vivent. Est-ce qu’il avait tort ? Peut-être qu’il pouvait juste tout reprendre du début. Oui peut-être ! Il voulait juste les protéger.


Alors...





Son souffle se bloqua alors que la pensée fugace le traverse comme un courant glacial. Il se redressa d’un mouvement vidé d’énergie. Ses yeux verts délavés se posèrent sur la porte. Après tout, c’est vrai qu’il leur devait quelque chose. Il avança sa main vers la porte et fut surpris de voir la porte s’ouvrir avant même qu’il n’ait eu l’occasion de toquer.

L’ordre le pris au dépourvu presque autant que ce visage contrarié revenant d’un passé normalement révolu. Son pied amorça de lui-même le mouvement vers le centre de la pièce, sans vraiment qu’il ne sache quel visage renvoyer au caporal à travers la cascade de mèches filasses qui couvraient une partie de sa face. Quand la porte se referma dans son dos, il sentit son sort se sceller. A travers la fenêtre en face de lui, il voyait le ciel bleu et nuageux s’étendre à perte de vue. Il aurait pu totalement les englober s' il n’était pas tranché par le mur de pierre froid qui les contraignait, comme du bétail dans leur enclos.  

Son aîné entra dans son champ de vision et les yeux usés d’Eren se baissèrent pour capter son regard effilé. Son visage portait les marques de ses batailles et le regard intimidant qu’il avait pour habitude de rétorquer était brisé par l’asymétrie d’un œil aveugle. Pour autant, il n’en restait pas moins l’homme que Jäger avait connu, suivi, admiré et apprécié. Le coup ne l’étonna pas, il s’y attendait, il le prit pour ce qu’il était ; une frappe karmique qui n'équivalait qu’à un retour minime des offenses qui lui avaient été imposées. Eren s’attendait à tomber au sol, les membres désarticulés par un manque de détermination évident, mais le caporal le rattrapa sans mal et le jeune adulte se pencha sans opposer de résistance qu’il savait futile. Malgré tout, l’aura du plus gradé était toujours aussi intimidante.  

Évidemment qu’Hansi était morte et quand sa vie avait cessé il l’avait sentit. Comme une goutte d’eau dans l’océan déchaîné, sans pouvoir dire exactement quand, le temps n’étant plus dans son état total d’omniscience. Comme toutes les vies eldiennes ; dans la peau de l’originel il avait pu toutes les compter, toutes les connaître, sentir chaque souffle, chaque dernier moment, sentir à quel point ils ne voulaient pas mourir. Ils avaient rejoint l’axe, ils ne l’avaient jamais quittés, ils étaient tous là, comme les ancêtres du bataillon, comme les anciens porteurs de titans, comme les futurs morts à venir, ils étaient des fantômes dans l’immensité de cet espace indescriptible.

Et alors, est-ce qu’il devait se sentir coupable de ne même pas réussir à pleurer leurs morts ? Il avait l’impression que les torrents étaient endigués par la fatalité. Eren était un fantôme entre ces murs, un fantôme dans ces rues animées, un fantôme dans cette ville nouvelle, juste une silhouette qui était déjà sortie du monde concret que vivent les êtres vivants et n’avait pas réussi à s’y réincorporer.

Eren se demandait si Levi se souvenait des derniers mots qu’il lui avait adressés personnellement dans l’axe, ou plutôt dans l’illusion qu’il avait créé dans son esprit avant de libérer les eldiens de la condition de titans. Et est-ce que ça comptait ? Après tout ce qui s’était passé. La chaise devant lui lui sembla presque dangereuse tant elle était irréelle. Un cachot aurait été plus à propos, au vu de leur passif. D’un mouvement dégingandé il se mit devant elle et s’assit en silence, s’attendant presque à la voir disparaître alors que le bois dur tassait bien ses fesses.

Il s’interrogeait également sur la vision que son supérieur avait de lui. Le caporal levi lui avait dit après la bataille de Revelio qu’il n’aurait jamais pensé voir le regard des rats de la ville souterraine dans ses yeux. Était-ce toujours le cas ?

Les excuses le prirent au dépourvu. Plus qu’au dépourvu, c’était comme une balle de carabine qui passait dans son crâne à toute vitesse. Elle touchait tellement d’émotions en lui. Ses paupières dévoilèrent son regard brillant d’incompréhension, alors qu’il se redressait contre le dossier de son assise.

« Caporal... » Il fixait son dos alors que la vapeur de l’eau commençait doucement à s'élever au fond de la pièce.

Autant de temps loin du bataillon, il avait presque oublié à quel point ils pouvaient être bons. Comme si la vapeur de la bouilloire avait réussi à parvenir à lui, il sentait son visage s’humidifier.  Il ne voulait pas être misérable, il avait choisi d’avancer, c’était son choix. Et pourtant, sans la carapace qu’il s’était forgée en voyant le futur, tout lui tombait dans la gueule. Il déglutit et serra ses poings sur son pantalon de toile.

« … Ce n’est pas de votre faute. Le capi-le commandant et vous, vous avez combattu pour défendre tellement de gens. Aucun des sacrifices du bataillon d’exploration n’a jamais été vain… Je l’ai vu, chaque interconnexion de chaque décision, de chaque pas, de chaque parole. Le bataillon était comme une chaîne solide dont chaque maillon à amené à la liberté. Vous n’avez pas à vous en vouloir… »

Il soupira et regarda ses mains avec lassitude. « J’ai tout vu jusqu’à ce moment précis où tout s’est arrêté, après la dernière bataille. Et maintenant ! Maintenant on est enfermé ici, rien n’a fonctionné Caporal ! Ca n’a servi à rien ! On est juste du bétail, c’est ça le monde ?! Je… J’ai fais ça et… » Eren redressa ses yeux vers le plus âgé et regarda son uniforme avec nostalgie. « … J’imagine que rien ne changera jamais. »