I am hell-bound - Sukuna/Yuji.

Tsumiki c’est tout ce qui importe.
La pluie s'abat lourdement sur sa silhouette en marche forcée, ses mèches brunes cascadent sur son visage ombrageux. Il ne fait aucun geste pour dégager son regard noir comme le ciel ou pour remettre en ordre sa tignasse échevelée, il se contente d'avancer. Détruit jusque dans ses fondations, il avance. Sans rien y comprendre, il avance. Il ne devrait plus être maître de son corps mais cette ville a rebattu les cartes. Fushiguro ne sait pas ce qu'il est advenu du monde tel qu'il le connaissait. Mais il sait deux choses : premièrement que des morts sont revenus à la vie sans contrepartie, deuxièmement qu'Itadori est venu frapper à sa porte.

Ou peut-être que c'était lui. Un élan de rage aussi froide que brutale lui fait serrer le poing jusqu'à blanchir ses jointures, sa mâchoire se crochète et, paradoxalement, le vide menace de s'ouvrir de nouveau sous ses pieds. Tout est de sa faute, il a été faible.
Il se ressaisit sur le fil.

Il ne devrait plus être mais il est encore alors il avance, parce que sa sœur est peut-être revenue, là, quelque part. Parce que son ami est sûrement en grande difficulté - il ne peut plus perdre un proche. Surtout pas à cause de Sukuna, à cause de sa propre incapacité. Megumi incrimine les deux férocement. Peut-être de manière trop indiscriminée. Mais c'est sûrement ça qui le fait avancer, comme une coquille vide suivant une lumière brûlante. Peut-être qu'il veut se venger mais, avant tout, il veut retrouver Itadori.
C'est bien ça qui le fait tenir.

Il n'a rien dit à son géniteur avant de quitter ce qui leur sert, ironiquement, de lieu de vie. Même si cet homme est à peine plus qu'un inconnu à ses yeux, même s'il a des griefs à son encontre, le jeune exorciste ne veut mêler personne à cette affaire - il ne se l'admet pas mais il n'est pas en état de le voir succomber, même pas lui. Et plus pragmatiquement, il ne lui fait pas suffisamment confiance.
L'énergie occulte se fait rare dans cette ville, on est loin des taux de la capitale nippone. C'est plus simple de détecter la présence d'un fléau au cœur de ce terrain dégagé - Megumi sait que Sukuna doit s'attendre à être repéré, mais il avance. Un arsenal est dissimulé dans son ombre, prêt à être dégainé.

L'Interstice est une zone de non-droit mais Fushiguro n'en est pas à sa première visite. Il a déjà exorcisé ici, à la recherche de réponses. Et cette fois il a quelques indications qui - si Toji dit vrai - viennent directement de son meilleur ami. Sa stature noiraude se fond discrètement dans les recoins et il évite les coupe-gorges qui n'annoncent pas ce qu'il recherche, mains dans les poches et col de veste remonté.
Il n'ose pas imaginer dans quel état doit se trouver Yuji s'il est resté longtemps dans ce lieu de combats perpétuels. Ou plutôt, il ne se l'imagine que trop bien. Sukuna doit tout faire pour briser ses résistances en lui faisant commettre des atrocités. Il connaît ses méthodes de près, désormais. Yuji est venu chercher son aide, lui a donné une raison d'avancer. Fushiguro ne l'abandonnera pas aux mains de ce monstre. Il suit sa piste et s'éloigne des zones encore habitées, il ne s'est jamais aventuré aussi profondément dans les boyaux de ce monde souterrain.

Quelque chose de presque indiscernable arrive dans sa direction, il ressent un décalage dans l'air annonciateur du mouvement d'une masse lourde. Megumi se projette de côté, se réceptionne le torse replié et joint immédiatement ses mains pour former le signe de Nué. Deux familiers surgissent de son ombre et bondissent vers les yeux du fléau bicéphale qui se dévoile, langue pendante, devant lui.
Sa main empoigne le pommeau en forme d'anneau de son arme maudite qu'il dégaine et il taillade d'un coup franc l'abomination à la peau blanchâtre. C'est facile. Beaucoup trop facile.
Cela ne colle pas avec le niveau de l'énergie occulte qu'il ressent jusque dans ses chairs.

L'espace est gorgé d'une odeur rance, qui ferait monter la bille aux lèvres de qui ne serait pas aussi obstiné et décorporé que Megumi - malgré les allures macabres de ce charnier ouvert, l'exorciste n'infléchit pas son avancée. Il connaît le maître des lieux pour avoir été forcé à la cohabitation alors qu'il était piégé dans son propre corps, au fond d'un gouffre de désespoir, il sait à quel point Sukuna est mégalomane et la théâtralité de sa tanière d'ossements et de putréfaction ne le surprend pas. Megumi a peut-être trop contemplé l'abîme pour ne pas être imprégné par celle-ci car il avance en faisant craquer les os sous ses semelles sans être profondément capable de s'émouvoir des vies arrachées et démembrées. Il savait peut-être trop bien à quoi s'attendre, peut-être est-il trop détruit pour ressentir encore comme un humain fonctionnel. Il pense à celles et ceux qui ont trouvé une fin atroce sous la houlette du roi des fléaux mais c'est distant. Ce qui l'obnubile c'est d'y mettre fin et c'est imprégné à la fois de vengeance et de personnel ; il sait que Sukuna ne doit rien lui épargner des horreurs de cet endroit, il sait qu'Itadori est une bonne personne, une meilleure personne que lui-même et sa colère ne cesse de croître à mesure qu'il découvre ces cercles infernaux qui servent de geôles à son ami.
Sa silhouette noiraude avance, portée et soutenue par les ombres, il sait qu'il touche au but. Il sait également qu'il est attendu - qu'il se jette dans le jeu malsain de l'ennemi. Il ne ressent aucune peur, il ne ressent presque rien si ce n'est ce filament de devoir à l'égard de Yuji. Et cette rage qui ne restera sûrement pas froide même s'il se force à la contenir.
Seuls ses battements de cœur, stables et concentrés, sont audibles dans ce silence trop lourd. Artificiel, autant que cette haie d'honneur qui lui est ouverte - le chemin est bien trop dégagé. Il doit être guetté, son hôte doit bien s'amuser à ses dépends. Il ne veut pas lui donner ce qu'il attend de lui. C'est peut-être sa seule carte. Parce que Sukuna a l'habitude de tout avoir et qu'il trompe l'ennui avec des lubies ; Megumi se sait en être une même si ça le dégoûte et vrille le peu d'émotion qui l'anime encore. Il n'hésitera pas à s'utiliser lui-même pour réussir.
Il serait naïf de penser que dans cette antre quoi que ce soit puisse lui échapper ; Fushiguro sait que ses ombres ne suffisent pas à couvrir sa présence. Il se sait être sous la loupe du mal incarné.
Et soudain la voix de Sukuna souffle à son oreille, un frisson irrépressible - que Megumi maudit aussitôt - vibre le long de son échine. C'est viscéral, c'est presque désarmant et donc incandescent sous sa peau ; cette voix qui lui susurrait de céder à la lisière de sa conscience qui perdait pied, cette voix toujours doucereuse tandis qu'il sombrait dans un océan de vide, cette voix qui paradoxalement était devenue sa seule et viciée compagne, cette voix qui déformait celle de Yuji... Qui le manipulait comme un pantin. Cette voix qui appartient à celui qui l'a poussé à prendre la vie de sa sœur.
Tsumiki. Des images s'abattent sur lui. Mais tout se succède trop vite.
Nué ? Les yeux de l'invocateur s'agrandissent alors que son familier est dissipé par sa copie d'obsidienne corrompue.  Sukuna a conservé ses techniques... C'est la pire chose que l'exorciste pouvait redouter. Car il ne lui sert pragmatiquement plus à rien, la possession de son corps n'est plus une monnaie d'échange possible. S'il maintient les apparences par dignité, pour ne pas s'offrir à l'ennemi, Fushiguro est perdu.
Tsumiki. Yuji.
Il ne doit pas abdiquer. S'il est encore en vie c'est que le roi des fléaux veut encore quelque chose de lui. Sinon cette mise en scène n'aurait aucun sens.
Un élan de conscience perfore le choc et Megumi reprend pied brutalement, s'ancrant sur ses appuis, confrontant la présence invasive du roi des fléaux en lui rétorquant un regard noir de haine glacée. Fushiguro se met en garde le plus stoïquement possible, repoussant sa rage et se retenant de fuser sur l'objet de son aversion. La promiscuité physique le rend pourtant malade de colère, de malaise. Il ne doit pas voir le visage de Yuji, il ne doit voir que ce rictus malveillant qui dénature tout. Son souffle se bloque pourtant, son regard se durcit lorsqu'il se perd sur les traits adverses. Il ne répond rien à ses railleries, refusant de jouer son jeu. Il le salue comme s'ils étaient de vieux amis, ça suinte l'obscénité mais ça ne l'intimide pas. Megumi sent ce souffle méprisé contre le sien sans ciller, se cramponne, il reconnait le démon avec lequel son esprit était piégé. Ce n'est pas Yuji.
Il ne faut qu'un geste à Sukuna pour le projeter. Fushiguro se réceptionne sur son épaule autant qu'il le peut et se hisse farouchement sur ses jambes, les dents serrées sous l'effort mais il n'a pas le temps de bouger, l'ennemi est déjà sur lui et saisit son col comme s'il n'était qu'une marionnette.
Il n'abdiquera pas. Pour Tsumiki. Pour Yuji qui doit assister à tout ça.
Ce que le fléau lui murmure poignarde sa cage thoracique.
C'est impossible. Yuji... Yuji ne peut pas être mort. C'est inconcevable pour Megumi qui se raccroche à cet unique espoir comme à un fil d'Ariane. Yuji mérite de vivre.
Yuji est fort et s'est déjà défait de l'emprise de Sukuna. "Désolé ça ne prend pas" Qu'il lui crache au visage, aussi monolithique qu'il puisse l'être. Les yeux dans les siens et le ton méprisant. Je connais tes méthodes. Yuji est encore là." Il continue avec ferme conviction. Le fléau essaie de le détruire et, puisqu'il s'est insinué dans sa tête, il sait combien il tient à son ami. Ce n'est qu'une technique pour lui retirer toute volonté de se battre. "Il est plus fort que toi."
Il peut tenir tête à Sukuna contrairement à Fushiguro qui se méprise pour lui avoir cédé.
Le roi des fléau essaie de se repaître de sa douleur, c'est ce qu'il veut, c'est ce qu'il ne lui donnera pas.
Il doit penser à une autre version de lui-même, purgée de sa faiblesse, une version qui pourrait également lui tenir tête. Une meilleure version de lui-même. Il l'a déjà fait.
Ses mains s'assemblent et sa voix rauque murmure. "Extension du territoire : jardin des ombres."
Les lieux se couvrent d'une épaisseur ténébreuse et le sol devient meuble, son ombre se répand partout. Une nuée de crapauds ombrageux fuse sur le corps de Sukuna tandis que l'exorciste lui assène un coup de genoux dans les côtes.

Il essaie de ne pas se laisser atteindre par ces rires qui lui vrillent les tympans et qui lui rappellent l'abîme dans lequel il s'est perdu, il essaie de garder la tête froide même s'il est conscient de n'avoir aucune chance contre Sukuna. Il n'a pas libéré son territoire en pensant gagner autre chose que du temps, Megumi n'a qu'un espoir : ramener Itadori à la surface. Il sait que son camarade doit être profondément brisé mais il espère que sa présence pourra provoquer un soubresaut. Le roi des fléaux a l'ascendant mais, comme l'exorciste s'y attendait, il se pavane et joue de sa supériorité - ce qui accorde un filament d'espoir : il ne le tuera pas tout de suite, chaque seconde est bonne à prendre.

Megumi, pragmatique, sait que c'est désespéré mais le désespoir l'habite si profondément qu'il ne regrette pas de s'être élancé dans la gueule du loup. Qu'a t-il encore à perdre ? Peut-être que quelque chose de moins noble le brûle, au fond, peut-être qu'il doit également se prouver qu'il est capable de lui résister mais ce n'est pas sur ça qu'il focalise ses forces. Itadori est devenu une quête entêtante.

Mais pourtant sa volonté est compromise par cette rage sourde qui gratte, par l'impulsivité qui menace toujours davantage. Il n'arrive pas à rester de marbre ; de sa vie il n'a jamais autant eu l'envie de tuer. Et c'est tellement paradoxal de plaquer cette pulsion sur le visage que le fléau vole à son meilleur ami.

Pourquoi ce monstre s'amuse t-il autant ?! L'exorciste ne comprend pas ce qu'il trouve à ce jeu sordide. Ou peut-être qu'il préférerait ne pas comprendre. Parce que son sang bouillonne bel et bien. Megumi ne s'amuse pas, mais il n'est pas stoïque pour autant malgré la froideur qu'il s'échine à exhiber.

Mais quelque chose lui dit que c'est exactement ça que Sukuna veut, obtenir de lui la dernière des compromissions après lui avoir déjà tout volé. Pour la seule beauté du jeu car un monstre de son espèce n'a pas besoin d'un motif plus profond.

Il lui lance une œillade torve tout en maintenant sa garde. La réaction paternaliste et amusée de son adversaire lui arrache un regard noir comme la mort. Sukuna le connait intimement, a muselé son esprit et a volé son corps, alors Megumi sait qu'il ne peut pas lui cacher la brutalité de ses émotions, qu'il doit se douter que la mention de la mort de Yuji a fissuré quelque chose en lui. Alors il se garde de dire un mot de plus qui pourrait être retourné contre lui : il doit lui en donner le moins possible, de pas le laisser s'immiscer en lui.

Le roi des fléaux se décide enfin à rendre les coups - Fushiguro sait pertinemment qu'il n'y met aucun effort - et se défait de la nuée de grenouilles ombrageuses qui saisissait ses jambes. Il sait que son territoire est à peine une ébauche mais sa mâchoire se crochète d'amertume lorsque l'ennemi le fait reculer sans la moindre difficulté et, surtout, une bile rageuse lui monte aux lèvres lorsque Sukuna perfore encore une fois son espace personnel. La manière qu'il a de susurrer son prénom court sous sa peau comme une nuée ardente. Il maudît ce ton mielleux et malsain qui le réduit à l'état de jouet. ”Quoi que tu veuilles de moi tu ne l'auras plus.” Dans sa colère le mot glisse, il dit "plus" alors qu'il aurait dû dire "pas", il se trahit et admet à demi-mot avoir capitulé une fois. Son regard tangue un instant avant de se durcir de nouveau.

Ce n'est pas à ça qu'il veut qu'Itadori assiste. Il doit prétendre être confiant. Il doit rester en contrôle.
Et pourtant c'est une rage presque bestiale qui a commencé à se frayer un chemin sur ses traits, Megumi perd pied. C'en est trop ; Sukuna prétend que sa seule raison d'avancer n'est plus et il vient de lui arracher un aveu cuisant. Son extension s'assombrit drastiquement, les ombres s'étirent de manière menaçante, prêtes à dévorer.

La rage dévale son visage et, tout à coup, son corps se dissout dans les ombres - Megumi disparaît, se dissimulant dans l'opacité de son territoire. Au cœur des ombres il récupère l'arme maudite qu'il a dérobée à son géniteur, un sabre imprégné d'énergie occulte et profite de l'ouverture laissée par le fléau pour foncer de nulle part sur son flan. Il est enragé, il en lâche un rire qui tient du grognement. Perdu. Totalité jaillit à son tour pour perforer les côtes d'un coup de griffes. Le chien de jade se fige in extremis.

Tout s'effondre. Du sang coule sur la peau de... Yuji. Il reconnait ses grands yeux clairs qui s'ouvrent difficilement vers lui.

Megumi se pétrifie, ses lèvres s'entrouvrent d'horreur.

Tout recommence, lui hurle son esprit traumatisé. Ses jambes tremblent. Il l'a tuée. Tsumiki. Itadori. Non.

L'exorciste tombe à genoux et s'empresse de poser sa main sur la blessure ouverte de son ami ; il ne peut pas le perdre. A cet instant la raison est absente, il devrait savoir que Sukuna ne se laissera pas abattre mais tout est confus dans son esprit ; peut-être a t-il décidé d'abdiquer du corps de Yuji et de réinvestir le sien.  "Ne t'excuse pas ! Tiens bon, Itadori." Lui ordonne t-il en passant une main derrière sa nuque pour l'aider à se redresser. “Tu ne dois pas abdiquer, ne le laisse pas te faire croire que tu es responsable de quoi que ce soit.”  Essaie t-il, la gorge nouée. Reste avec moi, d'accord? Itadori n'est peut-être pas plus fort que Sukuna mais il est plus fort que Megumi lui-même. Le brun est à deux doigts de s'effondrer. C'est moi.. Je... Je suis désolé.

i keep closing my eyes

Ryomen Sukuna & Megumi Fushiguro

« And if the birds are just all the words flying along, singing a song, what would they do ? If they just knew what they could do.  »

Itadori se demandait comment des êtres aussi sombres et horribles pouvaient exister. Il ne comprenait pas comment quelqu’un pouvait tuer sans ressentir le moindre remord. S’en amuser était encore plus quelque chose d’inconcevable pour lui. Ou peut être qu’il était trop gentil et qu’il avait tort, mais le gamin n’a jamais aimé tuer. Il aurait aimé ne jamais avoir eu à le faire de sa vie. Et s’il devait regretter quelque chose, même si sa colère était amplement justifiée, c’est d’avoir pu en avoir réellement envie une fois. Il en avait eu envie parce que cette monstruosité de ces personnes l’avait révolté au plus profond de son âme et y avait nourri un feu de justice si forte qu’il avait laisser sa colère prendre le dessus. Mais malheureusement, il ne peut pas avoir cette vie idéal où les seuls morts dont il aurait pu être responsable n’était qu’en dernier recours pour sauver une vie. Les évènements ont dépassé son contrôle depuis qu’ils sont ici. Il voyait à travers les yeux de Sukuna les morts s’accumuler, encore et encore. Des piles de corps qu’il n’arrivait plus à identifier, qu’il tentait de déshumaniser pour ne pas perdre la raison. Itadori était emprisonné dans une cage infernal, en fait, il était littéralement en enfer. Il vivait au jour le jour son pire cauchemar. Il arrivait sous ses yeux et il n’y avait rien qu’il pouvait faire pour l’arrêter.

Et il voulait que ça s’arrête. Que tout s’arrête, que quelqu’un arrive à l’arrêter. Il hurlait et hurlait dans l’espoir que quelqu’un perçoit ses appels à l’aide à travers Sukuna, c’était en vain et il en payait le pris à chaque tentative. Sukuna veillait à chaque fois à le punir, à détruire toujours un peu plus ce qui lui reste de volonté.

Et il en peut plus, le gamin. Il ne supporte plus ce rire qui déforme ses lèvres, il ne peut plus l’entendre. Il lui perce l’âme comme si lui enfonçait des milliers d’aiguille partout sur le corps. Il le voyait rire à chaque fois qu’il tuait quelqu’un, à chaque fois qu’il torturait quelque, à chaque fois qu’il tentait de sortir de la surface. Et il le voyait rire face à son meilleur ami alors qu’il jouait avec ses émotions, qu’il le poussait volontairement à bout. Il subissait la scène sans rien pouvoir faire pour l’arrêter, il voulait protéger Megumi de ce monstre. Il ne devait pas l’atteindre à nouveau, il ne pourrait pas l’accepter à nouveau.

La culpabilité le rongeait chaque jour toujours un peu plus et revoir son ami venir tenter de le sauver, en rajoutait une couche. Il ne voulait pas que Megumi meurt.

Ses mots arrivent à parvenir à ses oreilles malgré l’agoni qu’il subissait à cause de l’arme maudite dans son flan. Ses mains tenaient la plaie, appuyait pour tentait d’atténuer en vain la douleur et l’hémorragie. Ses yeux humides et embrouillés regardent son ami et il tente désespérément de lui sourire. Il essayait d’être fort mais au fond, il n’y arrivait plus. Il n’arrivait plus à rester fort face à la culpabilité qui le noie. Il fallait que ce cauchemar s’arrête.

« Megumi, c’est ma faute, j’ai échoué… » qu’il lui dit. « C’est ma faute tout ce qui arrive… j’ai pas su reprendre le contrôle… » Il grimace, il a mal. Il a si mal. Mais la douleur n’était rien face à tout le reste alors il tenait le plus qu’il pouvait pour ne pas juste s’évanouir. « J’ai rencontré ton père, il a l’air super fort, tu dois tenir ça de lui… » qu’il divague alors qu’il crache encore du sang et sourit un peu. Parce que Megumi était surement celui qu’il admirait le plus avec Gojo. Il a toujours vu Megumi comme une personne super cool et il l’adorait.

Puis il tent difficilement un de ses bras pour attraper sa main libre, il la sert fort et il se redresse un peu plus. « Megumi, il faut que tu me tues, s’il te plait… C’est le seul moyen pour le vaincre. » Une demande absolument horrible à entendre et même à demander. Il s’en voulait de lui mettre ça sur les épaules. Il aurait préféré ne jamais prononcer ses paroles.

Mais Yuji savait qu’il allait devoir mourir un jour. Il savait qu’une fois les doigts avalés, il était destiné à se sacrifier. C’était ce que Gojo lui avait dit. « Je suis désolé, je suis tellement désolé Megumi, rien n’est ta faute, absolument rien. S’il te plait, fais-le, je peux pas continuer à vivre en le voyant faire autant de mal. Je refuse qu’il te détruise à nouveau comme il a pu le faire… » Tout comme la fois où Sukuna a pris son cœur, il préférait se sacrifier pour lui, pour les autres.

« Merci pour tout, Megumi, merci d’avoir été mon meilleur ami… » qu’il rajoute alors qu’il tire sur sa main pour le guider sur l’arme qu’il avait encore à l’intérieur de la chair. Mais il n’avait pas la force de le forcer, alors il le laissait prendre cette décision qui était loin d’être facile, pour personne.

« S’il te plait. »

Libère moi. Libère le monde.

(c) DΛNDELION

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Il pensait que son humanité était anesthésiée, qu'il était devenu insensible, car cela fait des mois qu'il avance dans un brouillard lourd qui encrasse ses émotions et même devant le charnier putrescent qui l'a accueilli son cœur n'a pas été capable de s'emballer. Il n'a ressenti distinctement que le vide et la colère.
Pourtant l'état de son ami fait ressurgir les sensations les plus brutales et les plus enfouies - tout se réactive en un éclair. Comme si les digues venaient de céder, le traumatisme inonde. La peur panique frappe son esprit et les images du corps inerte de sa sœur se superposent à celui de Yuji, le vertige fait basculer sa tête. Il en aurait presque la nausée.
Le sang qui souille ses mains est brûlant et Megumi, hagard, ne parvient pas à contenir sa propagation. Il s'acharne à tenter de colmater même si son esprit rationnel lui aboie que c'est peine perdue. Le brun est comme foudroyé lorsque son camarade essaie malgré tout de lui destiner un sourire, un sourire qui chancèle et se tord de douleur mais qui persiste. Les yeux de Fushiguro s'écarquillent et soudain c'est un calme froid et presque décorporé qui le saisit, comme un garde-fou. La force d'Itadori est inouïe et le brun n'arrive pas à s'ôter de la tête, entre deux pensées encore erratiques, que son ami est une balise lumineuse au milieu des ténèbres. Qu'il a besoin de lui même si c'est trop lui en demander après tout ce qu'il a subi. Son camarade est infiniment plus fort qu'il ne le sera jamais mais Megumi s'apprête à lui en demander trop. Encore une fois. C'est toujours en pressant la plaie qu'il lui répond et même s'il peine à le faire il le regarde dans les yeux, il le lui doit, il doit l'accompagner. Il doit rester maitre de lui-même pour lui. "Je n'ai pas pu reprendre le contrôle non plus, Yuji. Est-ce que tu penses que c'est ma faute pour autant ?" Murmure t-il avec autant de douceur qu'il en a ; il utilise son prénom et c'est une première fois, cette proximité s'insinue d'elle-même parce qu'il lui parle à cœur ouvert, parce que le moment est critique et que les formes ne servent à rien. Il veut le détromper en s'utilisant comme exemple, il veut le retenir et retenir son attention même s'il sait à quel point Itadori doit lutter pour la maintenir. Lui provoquer une réaction parce qu'il se doute que Yuji ne le laissera pas s'accuser. Il n'y a pas une once d'hésitation dans son ton, qui est presque ferme.

Le compliment que lui glisse son camarade lui provoque une tension inouïe ; qu'il essaie de dissimuler en serrant la mâchoire. Il ne mérite en aucun cas l'admiration d'Itadori alors qu'il l'a mis dans un état pareil et que tout, absolument tout, est de sa faute. Alors que son ami a réussi à combattre l'influence de Sukuna à tel point que le roi des fléaux s'est rabattu sur lui, plus faible. Un voile s'abaisse sur ses yeux mais il s'efforce de ne pas détourner le regard. "Il m'a dit que tu étais venu. Economise tes forces." Répond t-il du tac au tac, en lui ordonnant presque de tenir cette fois. Parce qu'il est estomaqué par la lumière qui émane de son camarade alors qu'ils sont plongés dans les ténèbres jusqu'aux tripes - son territoire ombrageux est d'ailleurs toujours étendu mais semble figé. Pourquoi ne l'a t-il pas dissipé ? Il connait très bien la réponse. Il n'a pas assez de déni.
Parce qu'il est une infiniment moins bonne personne que l'est Itadori. Parce qu'il sait que Sukuna pourrait réapparaître à tout instant, c'est d'autant plus certain que les blessures de Yuji sont sans doute... mortelles. Cette pensée est presque impossible à avaler mais son esprit rationnel sait que le roi des fléaux va resurgir pour un chantage comme il l'a fait quand il a arraché son cœur. Il se méprise pour ces pensées froides.
"Ne dis pas de bêtises. Il ne te laissera pas mourir." Lâche t-il avec une virulence non contrôlée. Ses mots sont tranchants comme un couperet. D'une part parce qu'il ne veut pas entendre ça, d'autre part parce qu'il sait que la chance - si on peut seulement le dire ainsi - de porter un coup fatal ne se reproduira certainement pas. Megumi préfère rétorquer, assurer à Yuji et surtout à lui-même que cette chance n'existe pas.
Et pourtant, un instant Fushiguro observe différemment la blessure de son camarade. Il voit le corps de Sukuna et la rage qui était dissipée toute entière remonte de quelques crans. Il a rêvé de voir le fléau agoniser. Il y a une latence infâme, qui souille encore plus son âme. Il hésite.
Il y aura forcément un sacrifice. Il le sait.

Mais la réponse qui s'exhale hors de ses lèvres était certaine. Parce qu'il l'a déjà dite une fois. Parce qu'il ne pense qu'à lui-même.
"Je refuse de te tuer. C'est une décision égoïste mais je la regretterai pas." Il est incapable de le regretter et sait beaucoup trop bien à quel point Yuji compte plus pour lui qu'il ne le faudrait. "J'engage ma responsabilité." Il se penche légèrement sur son camarade en le lui assurant toujours les yeux dans les yeux, une main glissée derrière sa nuque avec précaution. Il prend cette décision à sa place et veut que Yuji l'entende, il veut l'en décharger autant que c'est possible.
"Arrête de penser à moi pour l'instant. On est pas censés être des héros mais si je devais croire qu'ils existent... ça serait de ta faute. " Il sait que son ami ne l'entendra pas facilement mais c'est dit avec une émotion qu'il ne refreine volontairement pas.

S'il était seulement possible d'abattre Sukuna ici et maintenant - une hypothèse à laquelle Megumi s'efforce de ne pas croire - de nombreuses vies seraient assurément épargnées et Yuji pourrait connaître le repos. Peut-il seulement lui ordonner de rester après tout ça ? Megumi lui-même voudrait la mort une fois sa vengeance accomplie. "Je sais que je t'en demande trop après ce qu'il t'a fait vivre mais... J'ai besoin de toi. Pour ne pas me perdre." Il essaie de rationaliser. Pour eux deux. "Tu es le seul à être arrivé à le combattre... J'ai besoin de toi et le monde a besoin de ta force. Sukuna t'a donné le contrôle volontairement, il s'est laissé faire. Tout ça fait partie de son petit jeu. Je ne pourrais pas le tuer. Il faut que tu le combattes, Yuji."  En le disant Fushiguro retire son t-shirt et le déchire en bandes qu'il enroule aussitôt autour du torse de son ami, pour mieux comprimer le saignement. Il surélève ensuite Yuji contre son torse pour ralentir le trajet du sang vers la plaie. "Je connais un médecin clandestin. Je vais te porter sur mon dos. Tu t'en sens capable ?"

Est-ce que Yuji tiendra ? Megumi en doute à voir l'état d'avancement de l'hémorragie et les marées de sang qui engloutissent ses lèvres. Par sa faute. Itadori peut lui assurer qu'il est une bonne personne, jamais il n'aurait dû commettre une telle erreur.  Mais il n'en dit pas un mot, la mâchoire serrée, ne contre-argumente pas. Il ne veut pas que Yuji se soucie de lui.
Par réflexe ses doigts coulent le long de la mâchoire de son camarade dans une vaine tentative d'éponger le sang et il redresse sa tête contre lui - il est conscient que c'est trop tard. Il sait que son acharnement est improductif et qu'il en demande trop à son ami, une partie de lui considère même l'idée d'implorer Sukuna de soigner les plaies du plus jeune lorsque celui-ci serre sa main dans la sienne. Fushiguro n'est plus en capacité de perdre qui que ce soit et certainement pas cet ami si précieux, celui qui lui donne encore la force de vivre. Il aimerait lui dire à quel point il compte à ses yeux, mais ce n'est sûrement pas le moment d'être à ce point égoïste. Parce qu'il a commencé à comprendre, Megumi, que les sentiments qu'il porte à l'autre exorciste impliquent plus que de la simple amitié. C'est difficile de le nier maintenant qu'il voit à quel point l'idée de le perdre est insoutenable,

Itadori essaie de le convaincre mais finit par accepter d'essayer et ça lui perce un peu plus le cœur même si Fushiguro essaie de ne rien en montrer, parce que si l'autre garçon parvient à lui décrocher un sourire aux portes de la mort alors il lui doit au moins de tenir le coup. Il s'apprête à déloger l'arme afin de réaliser un garrot. Mais...

La voix sadique qui se susurre à ses oreilles, il la reconnait immédiatement. Ses tripes se retournent et son cœur manque un battement. Sukuna scande son prénom de manière effroyable, intimiste et perverse. S'il essaie de fuser sur le pommeau de son sabre c'est déjà trop tard ; l'ennemi retire l'arme maudite de son flan et la brise avec une facilité déconcertante. Les yeux du brun restent de marbre, il s'attendait à ce que le Fléau ressurgisse à tout instant et ne compte pas lui faire un plaisir supplémentaire. Il n'a pas le temps de monter sa garde qu'il est projeté dans les airs brutalement. L'exorciste, sonné, joint ses mains pour convoquer Nuée afin que son familier le réceptionne mais les coups pleuvent sur lui à vive allure et, c'est avec fracas que le Fléau lui fait traverser un mur. Sa conscience vacille, un voile brumeux devant son regard, son crâne saigne et il crache un filet de sang dans une toux rauque. Megumi rampe sur ses avant-bras et essaie de stabiliser sa vision. Devant lui un trône macabre s'élève.

Il essaie de réfléchir même si le fil de ses pensée est flou, il s'accroche au sourire que Yuji lui a destiné pour trouver la force, celle de suivre son modèle. Avec difficulté il tente de se redresser sur des jambes flageolantes, mais retombe aussitôt.

C'est paradoxalement la prise que Sukuna vient exercer sur son visage qui maintient la cohérence de l'instant en place, c'est en se focalisant sur ses yeux rubis qu'il lutte. Il combat ce contact indésiré en tâchant de projeter sa tête vers l'arrière mais rien n'y fait ; il ne peut pas s'extraire. Il mord sur ses dents et lui lance un regard noir.

Fushiguro est impuissant et il en est pleinement conscient - qu'est-ce que Sukuna attend de lui ? Qu'est-ce qu'il attend pour le terminer ? Il se doute que le Roi des Fléaux veut jouer avec lui, il y a toujours eu dans la manière dont il s'adressait à lui quelque chose qui transpirait le malsain. Pour une raison inconnue il veut encore se divertir à ses dépens.  La déclaration de Sukuna lui glace le sang. "Qu'est-ce que tu attends de moi ?" Lâche t-il acerbement en plongeant dans le regard adverse malgré que ses joues soient comprimées et son visage maculé de sang. C'est du sadisme, Fushiguro. Son coeur s'insurge du sort qu'il réserver à Yuji, il brûle de le combattre de toutes ses forces mais il a déjà essayé et cela s'est avéré inutile. Il n'est pas assez fort pour le défier. Il ne lui reste plus qu'à essayer de jouer son jeu même si cela doit le compromettre davantage. Ce n'est que comme ça qu'il pourra essayer de trouver une faille, de trouver un moment où Yuji sera libre pour l'aider à reprendre le contrôle.

Dans tous les cas Sukuna fera ce qu'il veut de lui, il s'est jeté dans la gueule du loup. Il doit essayer de retourner la situation même si cela signifie de ramper dans la corruption.

Il ferme puissamment les yeux en pensant à ce que Yuji sera contraint de voir, quoi qu'il en coûte il doit le protéger autant que c'est possible, retenir son dégoût et sa détresse. "..." La langue de Sukuna contre sa peau lui provoque un frisson indéchiffrable et indésirable. Il se tend au-delà des mots mais ne bouge pas, pas cette fois, pour tenter de fuir le contact. Ses yeux se plantent dans ceux du roi des fléaux. Si tu le mérites, c'est ce qu'il a dit.  C'est à cette condition que Yuji pourra revenir, guéri.

Son esprit chancèle, vacille. Il le prendra à son propre jeu. "Je te donnerai tout." C'est dit avec fermeté, sérieux, sans ciller. Megumi doute qu'il veuille de nouveau prendre le contrôle de son corps puisque Sukuna a déjà ses techniques. Il veut sans doute jouer, alors ils joueront.
Ses deux mains viennent agripper les épaules du fléau et il se redresse vers lui, combatif mais résolu au pire, pour combler la distance qui les sépare. Souffle contre souffle il ajoute. "Prends ce que tu veux."