We could be heroes [PV Lois]

Si les premières heures sur Nowhere avait été particulièrement compliquées pour Loïs, l’arrivée de Superman avait, comme toujours, été un soutien indiscutable. Et cela ne s’était pas seulement compté en heures ; avec Kal-El, Clark à ses côtés, Loïs se savait capable de tout affronter. Cela lui avait permis de s’adapter bien plus facilement que la plupart des réfugiés, d’une part – et c’était la plus importante – parce qu’elle n’était pas seule et d’autre part parce qu’elle avait eu très rapidement accès à toutes les informations nécessaires pour essayer de comprendre au maximum ce nouveau monde qui l’entourait. Et elle n’avait pas pu s’en empêcher, Loïs : curieuse comme elle l’était, une fois les retrouvailles avec Clark dûment célébrées, une fois qu’ils s’étaient assurés de sa santé et de celle de la vie qu’elle abritait, elle avait passé des heures à lire tout ce qu’elle avait pu sur cette étrange ville, tant sur son fonctionnement que sur la société qu’étaient en train de bâtir ses nouveaux habitants, fascinée par les capacités de tous ces étrangers venant de tant de mondes différents à s’organiser. Et Loïs Lane étant Loïs Lane, elle avait refusé de prendre quelques jours de repos avant de pouvoir se remettre au travail, décidant aussitôt d’apporter sa propre contribution à l’information de ce nouveau monde.

Il était cependant difficile pour la jeune femme de faire valoir une quelconque réelle expérience, malgré les récompenses qu’elle avait pu recevoir pour son travail, puisque le Daily Planet avait disparu avec l’entièreté son monde. Et il était hors de question pour la journaliste de ne pas être reconnue en tout premier lieu pour ses compétences : elle refusait que l’on puisse penser qu’elle mente sur ses références, tout comme elle refusait de commençait par un poste au rabais le temps de faire ses preuves. Elle avait donc opté pour une troisième option qui la satisfaisait d’avantage pour le moment, à savoir faire des piges en indépendante pour le journal, nourrir un blog d’information en parallèle et une fois ses premiers articles rédigés, ses premiers reportages publiés, elle pourrait se permettre de postuler pour une place au Daily Nowhere Times. Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, elle voulait mener à bout sa toute première enquête, à savoir mettre en avant l’organisation des forces de secours et de cette agence de Super-Héros. C’était une de ses grandes surprises, d’ailleurs : dans son monde, il n’y avait jamais eu de telles organisations et les quelques héros qui avaient su faire leurs places ne s’étaient alliés que lorsque la Terre avait été en danger. Alors voir que certains, ici, avaient réussi à commencer à s’organiser, c’était une chose qu’elle voulait voir d’elle-même. Et comme toujours avant d’écrire, il lui fallait comprendre comment cela fonctionnait, de l’intérieur. Mais pas en mettant en avant ceux qui intervenaient, le faisaient-ils même en collaboration, non. En commençant avant tout par ceux dont la présence et le travail rendait tout cela possible. Et Loïs avait vite pu obtenir un nom et un contact : c’était bien pour cela qu’elle se retrouvait aujourd’hui devant la porte d’entrée de l’appartement de May Grant. Et que lorsqu’elle sonne, elle prépare, par réflexe, son plus charmant sourire.

Un sourire qui n’a rien de forcé, d’autant plus quand elle se rend compte de la nervosité de celle qui se présente à elle et qui lui tend aussitôt la main, que Loïs s’empresse de serrer : « Loïs, ce sera parfait. Merci de me recevoir chez vous, May. C’est un plaisir de vous rencontrer. » L’appartement dans lequel elle pénètre, loin du luxe de certains endroits qu’elle a pu visiter par le passé, est exactement à l’image de l’idée dont elle se faisait de la jeune femme qu’elle devait rencontrer, c'est-à-dire confortable, fonctionnel et probablement un refuge pour l’habitante des lieux. Sans faire plus de manières lorsque l’autre lui propose un siège, Loïs prend place le plus naturellement du monde, cherchant avant tout à mettre à l’aise son interlocutrice. Il y avait longtemps que Loïs n’était plus impressionnée par ce type d’entretien, elle qui n’avait jamais eu froids aux yeux en interrogeant des personnes hauts placées ou particulièrement dangereuses, mais elle pouvait parfaitement comprendre que l’on ne soit pas à l’aise face à ce type d’exercice. Aussi, avec un léger signe de tête, elle accepte la proposition, pour donner le temps à l’autre femme de se reprendre un peu : « Un thé, s’il vous plait. Malheureusement, je n’ai pas droit au café actuellement. » D’un geste presque réflexe, elle vient effleurer son ventre l’espace d’un instant, couvant comme toujours la vie qui y grandissait. Il ne s’agit pas là pour elle d’attirer l’attention et le sujet sur sa propre personne, mais de glisser quelques informations personnelles pour détendre l’atmosphère. Ce qu’elle s’empresse d’ailleurs d’ajouter : « Je comprends bien que cette situation puisse s’avérer nouvelle, pour vous, mais n’ayez crainte, tout se passera à merveille. Je veux juste en savoir plus sur vos fonctions actuelles, sur le rôle que vous occupez. Cela vous dérangerez-t-il si je vous enregistre ? »

Tout en parlant, Loïs sort de son sac un dictaphone qu’elle montre à son interlocutrice, en plus de son stylo et de son carnet. Elle n’est pas dans une enquête difficile, aujourd’hui, la journaliste. C’est juste le quotidien de Nowhere qu’il s’agit de renseigner. Et ce sujet était parfait pour commencer.

Loïs laisse le sourire sur ses lèvres se teinter de cette tendresse si particulière qui lui étreint le cœur à chaque fois qu’elle pense à cette vie qui grandit en elle. Sa main s’attarde une seconde de plus sur son ventre qui n’a pas encore jugé bon de s’arrondir, à sa grande satisfaction ; si elle sait qu’elle doit faire attention dès à présent, au moins est-elle encore malgré tout assez libre de ses mouvements. Elle ne se fait cependant pas prier pour répondre à la question de la jeune femme, comme un signe de confiance qu’elle lui accorde volontiers : « Normalement pour la fin de l’été, cela est assez récent. Mais on ne sait pas ce que l’avenir nous réserves. » Elle dit cela sans fatalisme aucun, d’autant plus qu’elle les sait surveiller, elle et sa grossesse de manière générale, comme du lait sur le feu. Mais elle sait aussi que ni elle, ni Clark, n’ont après tout aucune idée de comment peut se passer une grossesse comme la sienne ; personne, dans son monde, n’a jamais été mère d’un enfant issue d’un tel métissage. Si la journaliste n’en est pas inquiète outre mesure, cela ne l’empêche pas de se montrer particulièrement vigilante à toute possible évolution de son état. Mais, bien sûr, cela, elle ne peut en faire part à son interlocutrice, d’autant plus quand il n’en va pas que de sa seule sécurité.

Même s’il est hors de question de lui accorder une confiance aussi absurdement naïve, la journaliste, cependant, n’a aucune raison de ne pas accéder à la demande de May et elle approuve facilement, tandis que son hôte s’empresse de lui apporter la boisson demandée : « Bien sûr, je vous enverrai cela dès que je serai rentrée et je vous remercie de votre précaution. Bien entendu, aucun de vos propos ne sera déformé. » Car elle n’est pas naïve, Loïs, bien loin de là, même. Elle sait la méfiance que peut provoquer son métier, souvent pourri par des petits escrocs sans scrupules. C’est bien pour cela qu’elle a décidé de se faire un nom avant de proposer sa candidature au journal de référence de Nowhere. Parce qu’elle veut montrer sa probité, d’abord et avant tout. Et laisser chacun juger par la suite.

A son tour de boire une gorgée bienfaitrice, avant de reposer sa tasse pour mettre en marche le fameux dictaphone, s’apprêtant à prendre des notes et s’amusant une fois de plus, presque malgré elle, de l’étonnement exprimé par May. « J’ai déjà interrogé des super-héros, dans mon monde, je vois à peu près comment ils fonctionnent… Et j’ai tendance à préférer les prendre sur le fait. Si je leur laisse le temps de se préparer, ils seront beaucoup moins spontanés. » Car il n’est pas dit qu’elle ne finisse pas par les interroger à leur tour, bien sûr. Mais pour le moment, ce n’est pas ce qui l’intéresse. Pour le moment, ce qui l’intéresse, c’est surtout de savoir comment s’est monté cette coopération, inédite à ses yeux. Et si Loïs approuve son raisonnement, la pointe de son stylo courant sur son carnet pour noter quelques notes sur les mots de la jeune femme autant que sur les impressions que cela lui laissé, elle reprend rapidement, menant l’interview comme une simple, discussion, pour ne pas la brusquer dans un exercice trop nouveau pour elle : « Je penses que vous avez raison, mais tous ne voient pas forcément les choses comme vous. Parfois, les super-héros peuvent même être mal vus par certains services de secours, prétextant qu’ils ne sont pas à leur place ou, au contraire, qu’ils les rendent inutiles. Avez-vous rencontré des résistances, quand ce projet a été annoncé ? »

Un projet dont Loïs ne connait en réalité pas la source exacte, ignorant qu’elle se trouve en face de son initiatrice. Mais ce qu’elle sait, certainement, c’est que May est bien placée pour avoir eu accès à de potentielles réticences, paroles échangées en off entre collègues, mesquineries et autres râleries intempestives. Car le négatif peut aussi faire partie de l’aventure, et si ce n’est pas le point sur lequel elle veut insister, elle doit malgré tout être capable de souligner également qu’il existe, si tel est le cas.

Si les échanges informels de ce début de conversations s’étaient révélés agréables, entrer dans le vif du sujet allait s’avérer, Loïs en était certaine au vu des premières réponses données, passionnant. La future mère avait cependant évidemment pris le temps de remercier son interlocutrice pour l’aide qu’elle proposait de lui apporter, d’un poli : « Je vous remercie, je suis déjà suivie, mais quelques noms supplémentaires pourraient s’avérer précieux. Après tout, il est difficile encore de se faire une idée sur les professionnels que l’on peut rencontrer à Nowhere. », puis qu’elle avait accordé un signe de tête à cette ébauche de confiance qui naissait entre elles, elle devait se retrouver très rapidement emportée par l’enthousiasme dont faisait montre la jeune femme. Sur le calepin soigneusement calé entre ses mains, son stylo court au fil de ses notes, sans perdre une seule miette des propos de May alors que déjà, dans son esprit, le squelette d’un article semble prendre forme, comme prendrait forme l’esquisse d’une œuvre au fil du pinceau de l’artiste tracée à l’encre de Chine.

Elle ne peut s’empêcher cependant de rire doucement quand la jeune femme s’étonne de sa façon de faire et la rassure tout aussitôt : « J’ai toujours su m’en sortir, quel que soit le danger encouru. Et ne vous en faites pas, je fais toujours en sorte de ne pas gêner. Je suis journaliste, pas paparazzi, et j’ai toujours eu à cœur de bien faire mon travail. Mais c’est vrai que rien ne vaut le feu de l’action pour obtenir les meilleures informations. ». Pour la suite, cependant, elle ne peut que laisser May parler, impressionnée du niveau de conscience de la jeune femme sur les limites de ce système, sur les défauts et surtout les qualités que chacun peut amener à faire peser dans la balance pour améliorer plus encore l’existant. Et si elle n’en montre rien, elle ne peut s’empêcher de ressentir soudain ce poids dans sa poitrine, comme une pierre venue peser sur son cœur, alors qu’elle évoque les dégâts pouvant être causés par les superhéros. Parce qu’elle sait, ce que cela peut être. Elle se souvient de la destruction du centre-ville de Métropolis et de comment certains en ont tenu Superman pour responsable. Et surtout comment il a atteint, blessé, même, quand la population a pu perdre confiance en lui suite aux manipulations de Luthor. Elle se souvient encore de cette tristesse dont il ne semblait plus pouvoir se départir, de cette douleur qu’elle pouvait voir dans son regard. Alors peut-être que, pour lui aussi, un tel système pourrait être bénéfique. Elle ne savait s’il en avait déjà entendu parler, mais elle se promettait de lui en toucher un mot au plus vite.

« A vous écouter, ce système proposerait en effet un parfait équilibre pour le sauvetage de victimes, lors d’accidents, par exemple. Mais qu’en est-il quand il s’agit d’intervenir en cas de prise d’otage, par exemple ? Ne pensez-vous pas que la présence de personnes plus vulnérable supplémentaires sur le terrain pourrait être en quelque sorte une bride pour les superhéros ? » Si la question de Loïs semble volontairement provocatrice, elle n’est en réalité là que pour constater les réponses que May pourrait apporter aux failles qu’elle soulève. Car ce qui s’est mis en place semble presque trop beau et la journaliste, si elle veut – et qu’elle se doit, d’ailleurs – en faire une présentation honnête dans son article, elle doit pouvoir en présenter tous les aspects. Elle ne veut que croire, très honnêtement, que les rues de Nowhere ne peuvent être que plus sûres ainsi. Sauf qu’avec certains membres des forces de l’ordre se prenant parfois pour des cowboys biberonner au cognac, elle ne voyait pas vraiment comment cela pouvait bien se passer. Et si elle pouvait comprendre la plu value des secouristes, ce côté-là lui semblait malgré tout des plus obscurs.

Il n’est cependant pas question de fâcher la jeune femme qui semble si impliquée, si passionnée par ce projet qu’elle mène avec tant d’autres à bien et Loïs s’efforce de lui sourire et de reprendre, avant que ses propos ne puissent être potentiellement mal interprétés : « J’ai du mal à voir, je pense, toutes les applications que ce modèle couvre. Peut-être pourriez-vous me donner quelques exemples concrets ? » Car oui, même si tout le monde en a toujours doté, la brune sait parfois faire preuve de quelques talents de diplomatie. Et elle sait exactement quand elle doit en faire usage. Car malgré les doutes, malgré les zones d’ombres qui lui restent encore, ce que May lui expose lui semble une nouveauté particulièrement intéressante. Qui pourrait même se révéler complètement primordiale.

Touché. Le mot résonne dans son esprit, en français dans le texte, s’il-vous-plait, à la manière d’un point marqué lors d’un duel d’escrime âprement disputé. Il ne s’agit pourtant pas là d’un combat ne serait-ce que verbal, les deux femmes n’étant ni l’une, ni l’autre dans une logique d’affrontement. Mais un fait est certain, pour Loïs, la jeune femme aime réellement ce qu’elle fait. Plus que cela, même : les réponses qu’elle lui apporte sont réfléchies, argumentées, preuve s’il en est qu’elle ne se contente pas de simplement exécuter des ordres, mais qu’elle est totalement partie prenante des idées tout comme de leurs exécutions. Mieux, même, car Loïs est persuadée, à l’entendre parler ainsi, qu’elle a même bien plus envisagé les tenants et les aboutissants que la plupart des autres acteurs de ce dispositifs, Super Héros compris. Car ce n’est plus une explication qu’elle mène là, ni même un débat réfutant les arguments de son contradicteur, mais bel et bien un véritable plaidoyer, tant et si bien que Loïs a presque l’impression de ne pouvoir tout prendre en note – presque, bien sûr, parce qu’elle reste malgré tout une journaliste aguerrie. Mais alors que la jeune femme marque une pause dans son récit, Loïs se permet de relever : « Vous êtes complètement impliquée la coordination de ces secours et c’est tout à votre honneur. Vous avez déjà eu à affronter des situations particulièrement compliquées dans votre ancienne vie, n’est-ce pas ? Vous faisiez déjà parti des forces de secours, si je ne me trompe pas ? » Bien entendu, elle avait préalablement pris quelques renseignements sur May Grant, mais Nowhere ne disposait pas d’une grande base de données et Loïs elle-même manquait cruellement de contacts. Cependant, même sans être certaine de ce qu’elle avance, son instinct ne saurait la tromper. La jeune femme est bien trop au fait de ce qu’elle énonce pour ne pas être une professionnelle du métier.

Cependant, les propos de May attirent particulièrement son intérêt et la voilà qui, toujours aussi attentive, se permet de nouveau, non pas d’interrompre la jeune femme, mais de glisser une remarque, une question, lors de l’une de ses respirations : « Dans mon monde, il est difficile de considérer comme un héros quelqu’un capable d’ôter la vie sauf, comme pour les forces de l’ordre, en cas de seule solution, d’ultime recours. » Un instant, elle se souvient du cri de douleur, presque d’agonie, que Clark avait poussé quand il s’était vu dans l’obligation de prendre la vie de Zod et elle savait que plus jamais le kryptonien n’en viendrait à une telle extrémité. « L’agence avec laquelle vous travaillez n’observe pas ce type de règles ? » Si tel n’était pas le cas, clairement, Loïs les tiendrait à l’œil. Cela éveillait d’ailleurs d’autant plus son envie d’aller mettre son nez dans les affaires de la fameuse agence, la jeune femme toujours en prise avec sa trop grande curiosité. Et, bien sûr, elle savait très bien que si tel n’était pas le cas, elle ne serait pas la seule à les surveiller et que Superman le ferait également. Ce n’était pas parce qu’il avait pardonné au Batman de leur monde qu’il pourrait laisser passer toute entorse à cette ultime et si précieuse règle à observer.

« Cette histoire de dealer… Est-ce que vous pourriez m’en dire plus ? Comment cela s’est déroulé, exactement, pour vous ? Je ne doute pas de trouver des informations sur l’événement en lui-même dans la presse ou sur des blogs d’information, mais cela ne vaudra jamais votre point de vue. » Ca n’est pas une façon de la flatter, pas plus qu’un compliment en l’air ; au vu des propos de May, cette histoire pourrait être des plus intéressantes et être une illustration parfaite de ces propos. Après tout, Loïs ne demandait qu’à la croire et elle était déjà en grande partie convaincue par cet exposé. Mais si elle voulait un article complet, il lui fallait plus encore de détails.

Sauf que les détails, visiblement, attendront quelque peu et Loïs relève la tête, plus attentive encore, en entendant la variation dans la voix de son interlocutrice. Une fêlure, qui lui est familière. Une fêlure qu’elle ne connait que trop bien, pour l’avoir entendu trop de fois. Le poids des regrets. L’amertume de la culpabilité. Une culpabilité qu’elle peut voir dans l’humidité que May essuie aussitôt d’un geste rapide, mais qui ne lui échappent pas pour autant. Alors elle obtempère : « Bien sûr.   Et pour montrer sa bonne volonté, Loïs met en pause son enregistrement et repose carnet et stylo avant de se saisir de sa tasse de thé encore légèrement fumante. Par réflexe, elle souffle dessus, même si la boisson serait largement buvable en l’état, avant de reprendre la parole, d’une voix plus douce que celle de ses questions précédentes : « Je sais que vous avez déjà dû l’entendre, mais on ne peut malheureusement jamais sauver tout le monde… Si vous avez besoin de parler, je suis là pour vous écouter également. Sans notes, et sans article. » Juste elle, Loïs, sans la casquette de journaliste. Ca n’était pas vraiment son genre, avant, trop occupée, trop pressée. Trop solitaire, aussi. Mais sa relation avec Clark l’avait changé, oui – pour le meilleur, à n’en pas douter. Et puis dans ce monde où ils étaient tous réfugiés, déracinés, ils devaient bien s’entraider. C’était cette aide là qu’elle lui proposait aujourd’hui. En espérant que la jeune femme accepte cette main tendue.

Plus l’entretien avance, plus le portrait de May qui se dessine sous ses yeux plaît à Loïs. Altruiste, généreuse, sans pour autant manquer de caractère, modeste sur son apport et pourtant tellement consciente de la mission qu’elle s’est fait un devoir de remplir ; autant de qualités qui permettent à la journaliste, au-delà de la première impression, d’avoir une bonne opinion de la jeune femme. Bien entendu, Loïs est loin d’être naïve et elle ne croit pas le moins du monde sur parole quiconque se targuerait de bonnes intentions, encore moins si la correspondance d’actes. Mais May ne se vante de rien, pas un instant. Elle expose, explique, et les qualités que Loïs perçoit, elle les attrape au vol au détour d’une information ou d’une tournure de phrase. Comme le fait de choisir le 911 comme métier pour une année sabbatique, ce qui est loin d’aller de soi, même lorsque, comme May, l’on a baigné dans cet environnement dès sa plus tendre enfance – et d’autant plus, peut-être, avec l’inquiétude que l’on peut avoir alors pour les siens. Comme le fait également de ne pas reprendre ses études, alors que s’ouvrait à elle une nouvelle vie aux mille possibilités, mais au contraire de mettre une fois de plus sa vie elle-même au service des autres. Et elle attise en réalité assez la curiosité de la journaliste pour que celle-ci demande, non plus vraiment pour l’article, mais juste par envie de la connaître un peu mieux : « Si ce n’est pas indiscret, quel était votre domaine d’étude ? » Le flirt se fait entre le professionnel et le personnel, mais cela pourrait mieux encore l’aider à comprendre l’autre femme. Etait-ce, là aussi, en rapport avec les services à la personne, où May se destinait-elle au départ à toute autre chose ?

Les dénégations dans lesquelles May bafouille et se confond pendant quelques instants lorsque Loïs exprime son scepticisme sur l’agence provoque chez elle un amusement qu’elle dissimule, durant les quelques secondes où elle ne peut en retenir le reflet dans son sourire, en se plongeant d’autant plus dans sa prise de note. L’Agence en elle-même n’est donc pas forcément un danger en soit, même si toute apparition de nouveaux héros doit être traité avec une certaine distance, tant que l’on n’est pas sûr autant que faire se peut de ses intentions. Mais, visiblement, l’Agence ne rentre pas dans ces limites et Loïs ne peut s’empêcher de hocher la tête lorsqu’il est question de sombres univers. Elle n’a jamais considéré son monde comme globalement sombre et d’autant moins quand Clark, Superman, est arrivé, lui donnant l’impression d’illuminer sa vie toute entière ; elle sait, pourtant, que tous n’ont pas vécu toute leur vie de la même façon et que là où elle a trouvé sa place dans la pétillante Métropolis, d’autres n’ont jamais eu cette chance. Gotham, ville voisine, presque jumelle, a toujours été le théâtre d’affaires plus sordides les unes que les autres dont la violence de Batman n’a, au fond, jamais été qu’une conséquence des plus logiques. Mais ici, l’obscurité est loin d’être aussi présente que dans cette unique ville, si l’on excepte l’Interstice, et c’est à eux tous de faire en sorte qu’elle ne s’étende pas du quartier interdit au reste de la population, tel un fléau destructeur. « Je vois… Comment réagisse les secours, ou même les autres héros, dans ce cas ? Avez-vous déjà eu le cas directement sur le terrain ? D’un accident, ou d’un acte volontairement aussi destructeur ? » Elle se retient, pour le moment, de souligner qu’à son sens, une personne qui n’aurait pas la parfaite maîtrise de quelconques capacités surhumaines ne devrait rien à voir à faire sur le terrain, attendant d’abord la réponse de son interlocutrice à ses interrogations.

Cependant, lorsque May perd contenance, Loïs ne se fait pas prier pour tout mettre en pause, avec l’impression étrange que la situation se fige en même temps que l’enregistrement. Ou bien est-ce son cœur qui se fait plus sourd alors qu’un nœud vient se former dans sa gorge, devinant plus qu’elle ne comprend les tenants et les aboutissants de la terrible histoire que May évoque. Elle sait dont exactement le mal que peuvent faire ceux qui se prennent pour des héros sans en avoir la carrure et encore moins l’âme. Elle l’a vécu, presque dans sa chaire, tant sa réaction semble viscérale. Et la journaliste ne peut qu’imaginer le sentiment d’horreur auquel elle a alors dû faire face. « Je comprends, je crois. J’ai déjà eu à faire à ce genre de personnes, même si… Même si je crois que j’étais moins impliquée que vous. » Parce que Loïs a l’habitude de se mettre au-devant du danger, oui, de braver les pires risques pour faire triompher l’information et la justice. Mais face à May, elle se sent un peu honteuse d’avoir, la plupart du temps, eu une implication émotionnelle bien plus basse - même si, au fond, sa neutralité fait aussi partie intégrante de son métier. « Mais je suis certaine que vous avez fait tout ce que vous avez pu et que vous le faite encore. Et même si vous n’arrivez pas toujours à sauver tout le monde, vous n’en êtes clairement pas responsable. » Des mots qu’elle a déjà dits, de nombreuses fois, à Clark, quand le poids des responsabilités semblait trop lourd, même pour ses supers épaules. Des mots qui, quand elle les destine à May, sont empreint également de sa plus pure sincérité. La douleur, rien ne l’effacera jamais vraiment, si ce n’est le temps. Mais pour le reste, elle souhaiterait vraiment pouvoir l’aider.

Au signal de la jeune femme, Loïs attend quelques secondes pour être sûr, avant de relancer enregistrement et prise de notes, de nouveau pleinement attentive à chacune des réponses qui lui sont faites. Si elle ne cache pas une légère déception au manque de détails, elle ne peut s’empêcher de s’amuser de la modestie dont May fait preuve une nouvelle foi, ne cachant pas cette fois un léger rire d’où est pourtant absent toute trace de moquerie : « Je comprends bien, oui. Ils ont pourtant bien fait de vous désigner, car vous défendez tout cela avec brio. Pensez-vous qu’il me serait possible d’écouter l’un de vos enregistrements ? D’une affaire résolue, bien sûr. Cela pourrait me permettre de me faire une idée plus précise de votre gestion de ces situations. »

Les appels au 911, Loïs en a déjà entendu des tas, dans son monde, mais avec cette organisation, elle est décidément très curieuse de savoir comment cela se déroule. Et puis, la conversation se déroule bien et si elle n’a surjoué la sympathie à aucun moment, elle espère bien que malgré tout ce courant qui passe bien avec l’autre jeune femme pourra lui être utile. Après tout, elle n’est pas du tout hostile, alors pourquoi ne pas tenter ?