Reaching for the Red Sun - Gortash

C’était une après-midi doucereuse, le vent s’était levé et battait sa peau d’un souffle frais transportant l’odeur humide des lieux emboisés. Entre les espaces feuillus perçait un soleil qui éclairait par motifs disparates le sol feuillus, faisant du terrain un plateau de jeu qui se divisait en damier de lumières vivaces et ombre timides. Et il était debout sur sa case noir, fou sans pion à faire tomber, sans roi adverse à mater.

Sa voix était portée par la brise, rauque, grave ; elle maudissait l’investigateur de sa nouvelle perdition. Son nouvel exil. Toujours un peu plus loin des souvenirs auxquels il n’avait pas accès mais dont il savait que l’entrée se situait à la porte de Baldur. La dernière conviction qui lui restait car il était encore plus dépossédé alors même que son propre nom lui échappait à présent. Il passait sur son visage l’eau cueillit dans un cours d’eau dont le flux incessant permettait la pureté.

Les cités autour de lui étaient nombreuses, diverses, elles se dressaient dans leurs majestés respectives. Cependant lui-même s’isolait car il avait besoin de contenir ce désir malsain, cette envie aussi enivrante que révulsive de renverser l’ordre étouffant de la vie pour y faire régner la splendide mort et la beauté du néant. Ses escapades en villes étaient quotidiennes mais jamais durables car dans ces lieux son esprit baignait dans un bain de pulsions sanguinaires et il savait que ce serait le temps qui aurait raison de ses réserves et qui finirait par briser ses limites comme les freins qu’il mettait lui-même sur son corps.



Chaque discussion avec les habitants des lieux étaient lancées comme l’étape d’une quête générale, dans l’espoir que les informations glanées le porte vers l’accomplissement d’un objectif plus grand ; cependant le vanité de ses actions étaient sans cesse éprouvées. Rien ne comblait le vide qui dévorait son être ; pas une seule discussion ne lui laissait le goût rance du temps perdu. Plus, le sentiment angoissant et révoltant d’une vie de trop ; d’un besoin d’effacement. Un effacement fait avec moyens et ressources, permettant de mettre en valeur ces derniers moments dans une exaltante férocité.

Du moins, il y avait une seule idée qui, depuis la veille, ne lui donne pas cette nausée face au tourbillonnant manque de sens de ses actions. Une photo sur un journal, un nom sur un prospectus. Comme un écho ronronnant au fond de sa psyché. En ce matin nouvellement commencé, après s’être purgé de ses idées sombres de la nuit dans la clarté de l’eau, le dépossédé commença à ses diriger vers la cité de Nexus. Porté par cette promesse de son esprit dont il n’arrivait pas à saisir les contours.



Il passa dans les rues animées, où s’adonnait des apprentis inventeurs et des badauds attirés par la curiosité. Ses yeux glissèrent sur un engin qui ressemblait à une araignée par ses pattes fines et aiguisés et dont l’utilité était de fendre la roche. Son esprit vagabonda avec confort vers l’image de ce que cette machine ferait à un sternum et avec quelle précision elle pourrait fendre l’os jusqu’à atteindre les chairs musculeuses avant commencer à leurs tours. Il sourit avec douceur et l’inventrice sembla prendre cela pour un compliment car elle lui retourna un air ravi. Il balaya la tête et se dirigea vers un Hall dédié à l’invention, son flyer en main. Il analysa l’image en sépia et la figure qui était à quelques mètres de lui. Solide, plus rugueuse, plus vivante et pour une fois, cela ne le révulsa pas. Il s’approcha de l’homme au cheveux cendré, ignorant quoi dire, aimant laisser ses interlocuteurs lui donner leurs visions avant de s’adapter à leur discours et leurs répondre pour, souvent, récupérer leurs approbations. Il ouvrit la bouche pour attirer son attention. « Enver Gortash. vous ne me connaissez pas, mais je peux vous assurer que je vois un dessein se profiler à l’issus de notre rencontre. »

La Porte de Baldur devait être à lui. Il s'était frayé un chemin dans ses entrailles les plus sordides et avait détrôné les grands noms du trafic d'armes tout en ménageant son image publique. Il avait côtoyé et manipulé les basses strates et s'était hissé jusqu'à la politique pour atteindre le palais ducal. Il savait prendre le pouls de cette cité, il savait ce qui circulait dans ses veines et comment lui causer une hémorragie pour ensuite la garroter. Le culte de l'Absolu était son plan et il devait être le héros face aux hordes sanguinaires de Ketheric. S'il n'a jamais eu la faiblesse d'éprouver le sentiment d'appartenance à une terre, cette cité était sienne. Elle allait être le point de départ de la conquête globale de Faerun, qui devait initialement se jouer à quatre mains. La Porte de Baldur était sa cité car elle l'avait vu souffrir et réussir.

Cependant le Collapse se produisit et le manipulateur perdit ses pantins. L'inassouvissement était grand et les enjeux pavant ce nouveau monde bien différents. Il devait tout reprendre du bas de l'échelle, en solitaire. Un instant ses grandes aspirations - d'ordinaire vives comme un brasier - ne le portèrent plus.
Il ne fut pas déstabilisé longtemps, la voix d'outre-plan de Bane lui parvint en rêves pour lui rappeler la grandeur à laquelle il avait toujours aspiré, la vengeance qu'il voulait prendre sur la vie ainsi que son serment d'allégeance. S'il ne restait qu'un monde alors le dieu de la Tyrannie le voulait sous sa totale domination. Gortash se remit au travail, à la fois galvanisé et très conscient du sort que lui réserverait Bane s'il le décevait.
Il s'approcha de l'Académie de Piltover qui reconnut ses talents d'artificier et d'inventeur et qui lui octroya une chaire, contribua à sécuriser la prison de Stormvolt grâce à une version révisée de sa garde d'acier. Il devint un visage notoire, célébré par un groupe officieux de fidèles gravitant autour de sa personne. Par des biais indirects, il réintroduisit le culte du dieu despote dans les replis de l'Interstice comme il l'avait fait dans la cité basse.

Le Conseil scientifique de Piltover lui a accordé des fonds pour conduire l'évènement d'aujourd'hui. Enver se tient, dos droit et sourire de parade aux lèvres, au milieu d'une kyrielle d'inventeurs affairés à lui manger dans la main et à s'entre-écorcher pour obtenir son attention. Il navigue de stand en stand en ne daignant porter un œil que sur les travaux prometteurs - et ils ne sont pas légion. Sa garde rapprochée le suit avec discrétion, un œil non-exercé les confondrait avec des pairs et se ferait abuser par leurs accoutrements endimanchés. Gortash ne presse pas le pas, savoure l'aura dont il jouit et déguise ses rejets avec une voix de velours. Il recherche des esprits brillants à placer sous sa coupe et sait parfaitement comment susciter une admiration aveugle.
Et, soudain, on l'interpelle. Cela n'a rien à voir avec les approches obséquieuses de ceux qui se meurent d'attirer ses faveurs. L'une de ses sentinelles s'avance immédiatement pour évincer cette intrusion.
Gortash lève pourtant une main ferme pour éconduire son chien fidèle. Ses yeux se plissent en détaillant l'inconnu - son apparence ne lui dit rien mais sa voix remue quelque chose en lui, des vieux souvenirs. Précieux.
Il serait toutefois facile, à l'aide d'un quelconque charme, de contrefaire cette voix familière. L'élu de Bane connait ses propres points sensibles et sent grouiller en lui l'envie - si cet homme se prétend être ce qu'il n'est pas il sait déjà quelles douleurs il lui infligera. Gortash l'ausculte intensément et lui offre un sourire suave, intimiste. Ses yeux luisent et ce n'est pas qu'un mensonge. "Vous avez survécu." Lâche sa voix amicale. Il n'attend pas pour passer une main à l'effleurement du dos massif et l'entraîner à sa suite, vers une salle privatisée. Il avance sans lui laisser la chance de se soustraire car ses gardes encadrent le chemin. Enfin, s'il s'agit bien de lui, cette mesurette ne pourra pas le contraindre. Cette pensée convie un nouveau sourire à l'angle de ses lèvres.
Il le teste. Il connait les réactions de l'élu de Bhaal sur le bout des doigts.
Son apparence et l'amnésie apportent paradoxalement une certaine crédibilité, un faussaire à la petite semaine ne s'embarrasserait pas avec de tels chemins détournés. Lorsqu'ils sont enfin à l'abris des oreilles indiscrètes, Gortash pose une main sur sa hanche et replonge dans ses yeux, avec autorité. "Que pensez-vous m'apporter que je n'ai pas déjà ?" Sa voix sonne cette fois comme une mise à l'essai qui ne tolèrera pas l'échec. Il ne lui faut qu'un regard ; deux de ses gardes encadrent son invité pour bien signifier que toute mauvaise réponse entraînera des conséquences.

Survécu. Les lèvres fines prononçaient des mots qu’il révulsait d’entendre. Le concept de la survie ; grotesque, terriblement insatisfaisant ; la poursuite de la vie alors même qu’elle aurait pu laisser place à la beauté de l’étreinte de la mort. Cependant, derrière le discours et sa forme venait le fond ; cet homme semblait le connaître. Voilà qui était étrange. Plus que surprenant même. Car il semblait bien être le seul à saisir quelque chose de l’existence de l’oublié. La toute première personne. Également celle qui involontairement ou non l’avait appelé à travers cette image d’elle saisie sur un fin parchemin. La main de l’inconnu effleura son dos et s’y déposa mais il ne ressentit aucune pulsion s’emparer de son âme, saisir son cœur de son étreinte et broyer ses viscères d’anticipation. C’était comme une bulle de tranquillité, un espace vide où sa nature ne pouvait...ne voulait se manifester.



Stupéfait et intrigué il suivit le mouvement, ses pas le guidant là où l’homme au sourire élimé et aux apparats ostentatoires souhaitait le conduire. Il pénétra les lieux, en observa les liseraient d’or et l’architecture angulaire qui donnait une élégance volontairement lustrée pour transmettre toute la puissance de ses occupants. Alors qu’il en doutait, il eut la confirmation que la quiétude ne lui était inspiré que par l’homme face à lui et par personne d’autres ; s’imaginant sans peine pourfendre les gardes qui le surveillaient. Fermant les yeux alors qu’il entendait le bruit du fer et de la bataille, et qu’il sentait la dureté de la lame alors qu’il l’enfonçait dans un premier temps dans le ventre du premier, le plus menu, avant de traverser du même mouvement le torse de la plus costaud, les empalant sur la même lame dans une construction de chair brisée vouée à se nécroser.



Quand il rouvrit les yeux, il regarda rapidement ses mains, mais rien n’avait bougé. Il entendait seulement le bruit des moteurs à l’extérieur étouffé par les murs épais. Les gardes étaient debout, faisant parfois cliqueter leurs attirails, leur air de férocité feinte plaquée sur le visage. Et l’homme était proche, lui demandant de proposer un marché, un pacte, une récompense, peu importe comment l’appeler. Il cherchait rétribution. Et pourtant, pourtant ce n’était pas ce qu’était venu chercher le vagabond. C’était plus qu’une entente, plus qu’un intérêt qu’il avait entre ses mains ; c’était un destin. Il n’en connaissait pas encore la nature, volatile, mais il pouvait sentir ses fils s’entourer autour d’eux, prompte à se rompre ou à les emprisonner en fonction de leurs décisions. Est-ce que l’inventeur, Gortash, manquait de destiné ?



Il ouvrit la bouche. “Cette question est vaine. Si vous aviez la capacité de savoir ce qui vous manque, alors vous l’auriez déjà conquis. Avec ou sans mon aide.” Car il ne savait pas comment il le savait, mais il avait une certitude, c’était que l’homme d’or pouvait décrocher l’impossible d’une main pour peu qu’on le lui présente. “Vous me connaissez donc. Voilà qui est intriguant.” Intriguant car celui face à lui n’avait aucun mouvement de recule ou aucune révulsion. Il ne répondait pas à sa demande, l’ayant déjà balayé. Il n’avait qu’une question en tête. “Etes-vous ma complétion ? Quel est ce lien qui fait taire les voix ?”

S'il s'agit d'une mascarade alors elle est intelligemment ficelée. Tout est réuni pour faire croire à l'amnésie.
Gortash remarque le moment d'absence de l'autre homme et cette tension qui s'inocule en lui lorsque sa garde l'encercle. Il le voit ensuite ausculter ses mains comme s'il consultait la réalité. Ce qu'il a vu sous ses paupières fermées devait être à la fois sanglant et créatif et cette supposition soutire un sourire au tyran. Ca lui avait manqué.
C'est une réaction de ce calibre qu'il espérait susciter en prétendant l'hostilité ; le rejeton de Bhaal ne se laisserait pas intimider et son invité ne s'est effectivement pas adonné aux pourparlers. Quant aux sombres pulsions suggérées par son silence évocateur, elles ont été réprimées. Quelque chose qu'il a toujours apprécié chez son ancien allié, qui le différenciait d'Orin, était sa capacité à dompter ses passions et à les exercer au service d'un plan. Cela étant dit, à en juger par l'état d'égarement de son interlocuteur, Enver tendrait à penser que ses fantasmes noirs ont été jugulés autrement que par la réflexion. Si son compagnon intime avait toujours eu une vision, qu'il était à la fois porté par les préceptes de Bhaal et par leur alliance, l'homme sans mémoire qu'il semble être devenu est probablement dépourvu de ces deux aiguillages. Si ses déductions s'avèrent exactes le rejeton n'aura jamais été aussi malléable. C'est à la fois frustrant et intéressant.
S'il s'agissait de n'importe qui d'autre Gortash aurait saisi cette opportunité sans attendre, il aurait rempli cette coquille vide à renfort de promesses susurrées pour mieux lui mettre le collier au cou. Mais ce n'est pas ça qui lui a manqué. Le fils de Bhaal était une exception, consentie. Enver pourrait revenir dessus si l'intérêt était suffisant mais il ne le ferait pas sans ce regret que rien d'autre au monde ne pourrait lui faire ressentir. Il sait ce qu'il veut.

Aussi, la répartie de son invité lui provoque un rire validateur. Sa main sertie de dorures passe devant son torse et son expression faciale gagne en sympathie, en chaleur. Il commande à ses sentinelles de s'éloigner d'un simple mouvement de tête. Il apprécie de s'entendre dire que sa question a été vaine, parce qu'il y a effectivement plus grand. "Détrompez-vous. Je sais exactement ce qu'il me manque. Pour l'instant. Mais ce n'est pas votre cas. A l'évidence." Son assurance est féroce mais son visage s'abaisse sympathiquement de côté, un sourire charmant aux lèvres. Qu'il s'agisse de cette ville ou, plus intimement de son ancien partenaire, Gortash identifie parfaitement comment obtenir. Il avance d'ailleurs de quelques pas vers lui, suffisamment pour pouvoir le contempler de manière satisfaisante et sans se cacher de le faire. Il n'a plus rien de son corps de Drakeide et pourtant, à bien l'observer, Enver trouve dans ses yeux une couleur inchangée ainsi que quelques ressemblances au niveau de la physionomie du visage.
Sa complétion ? Le torse d'u tyran est traversé par une nuée ardente. C'est peut-être bien la complétude qu'il avait lui-même ressenti en sa présence, après des années de parfaite autosuffisance. Tous les souvenirs d'une vie passée s'amarrent à son esprit mais il parvient à réfréner cette marée. Il ne niera pas son affection pour l'élu légitime de Bhaal, ce serait improductif, mais tout doute n'est pas encore dissipé par rapport à l'autre homme et il ne compte pas exposer son flanc.
Les meilleurs mensonges étant tissés à partir d'un instant de vérité, il pourrait aisément utiliser ses propres émotions pour magnifier une manipulation. Utiliser le criant besoin de guidance de l'autre homme pour le placer sous son joug. Un instant, il hésite. Il pourrait avoir une influence toute-divine sur lui.
"Vous étiez mon plus proche et intime allié, Krane." Lui mentir n'aurait pas comporté autre intérêt que celui de nourrir son égo ; des pantins il en a à loisir et les murmures de Bhaal auraient bien fini par rétablir les faits. Il lui a donné son nom pour mesurer sa réaction. Il y a quelque chose de satisfaisant dans l'idée d'être le premier de cette nouvelle vie à le nommer.
Ses yeux plongent dans les siens avec intensité. "Nous nous connaissons depuis de longues années..." Bien qu'il n'ait d'ordinaire aucun mal à formuler de grands discours, il n'est pas si simple de définir leur relation, les mots semblent soit dénués de substance soit romantiques à en pleurer. "Vous ne vous souvenez vraiment de rien ? Vous ne reconnaissez pas même la voix de Bhaal ?" Avant de lui en dévoiler plus, Gortash le teste encore une fois.

Pas de doute, aucun. Il était évident que l’homme face à lui était capital dans son existence, une voute qui portait tout un pan de son histoire et qui lui permettrait peut-être de passer le seuil des ténèbres qui sommeillait en lui. Son esprit porté par le besoin l’avait trouvé et maintenant il sentait toute la puissance de ses paroles.

"Vous étiez mon plus proche et intime allié, Krane"

D’une simple phrase son corps fut parcouru d’un frisson, il ressentit à la fois la chaleur du foyer, l’exaltation de la solitude brisée et l’amer culpabilité, comme s’il bafouait ses plus profondes convictions. Krane. Ainsi s’appelait-il. Le nom lui était vaguement familier, mais bien moins que la voix qui le porta et lui donna un sens précis. Le porteur de sombres pulsions savait que ce n’était pas la première fois qu’il entendait ce timbre grave et graveleux prononcer ce nom, bien au contraire. Le vagabond ne remettait pas en doute les propos de son interlocuteur ; perte de temps, car il savait. Il le sentait.

Et il ne s’y trompait pas ; Gortash était bel et bien la clé qui le précipiterait dans l’ombre de ses mémoires et dans les bras de son innommable nature. Et Krane ignorait si cela serait la fin de tout ou le début d’une nouvelle vie. Ça semblait être une simple question mais c’était en réalité une invocation, libérant le pouvoir du nom qui était -peut-être trop- indolemment énoncé. L’homme sans passé sentit ses mains trembler et son souffle se faire plus erratique et hésita avant d’essayer de fouiller les recoins de son esprit pour se remémorer de Bhaal.

Fermant les yeux, il se concentra, balayant quelques filaments de confusion pour saisir ces connaissances dangereuses. Ses sourcils se froncèrent alors que le crâne de la mort se dessinait derrière ses paupières ; entouré d’un tourbillon de gouttes carmines qui dansaient dans un balai sublime célébrant la fin de l’existence sous les coups des enfants du dieu Funeste. Dieu du meurtre et des morts violentes dont les fidèles pratiquaient leurs arts sous le couvert de la nuit pour laisser au petit jour la ville tremblante et soumise à leur guide. La voix de Bhaal ; alors c’était elle qui dictait ses actes, qui influençait son esprit et le poussait vers l’accomplissement de carnage en son honneur ? Était-il maudit ? Erreur. Cela signifiait probablement qu’il était un de ses fidèles.

Pourtant, l’homme face à lui ne ressemblait pas à un fidèle du dieu noir, semblant préférer la lumière aux ténèbres pour faire appliquer ses volontés. Pourtant Krane ne pensa pas une seconde à ce que l’inventeur puisse se jouer de lui.
« Que chercherait un dieu comme Bhaal à agir à travers moi ? Vous n’êtes pas un suivant de Bhaal… Alors pourquoi forger une alliance ensemble ? »

Il aurait voulu donner autre chose que des questions à son homologue, seulement impossible. Sa confusion ne faisait qu’augmenter en même temps qu’un sentiment de malaise ; comme s’il était en tort d’ainsi converser avec Gortash. Il reprit.

« Est-il bien raisonnable d’ainsi parler aussi librement devant d’autres âmes ? » Ses paupières glissèrent sur le côté pour capter leurs spectateurs avant de revenir se fixer sur l’homme d’or et d’ébène. Combattant l’envie de lui-même régler le problème.

« Nous nous connaissons, c’est indéniable. Mais si je suis un enfant de Bhaal, alors comment se fait-il qu’il ne m’ait pas encore rendu la mémoire ? Est-ce que je suis tombé en disgrâce à ses yeux ? Est-ce là votre influence ? »

Tant de questions. Il est évident que Krane s'en remet à lui dans l'espoir de repriser les étoffes de son identité. Son assassin préféré s'offre à la manipulation sur un plateau d'argent et lui donne totale autorité. Les rejetons de Bhaal font de bons zélotes et le tyran pourrait devenir un dieu aux yeux de la seule personne ayant compté. Il pourrait assouvir sa soif de domination sur quelqu'un qui lui fait véritablement envie. La saveur serait incomparable.
Il pourrait le dévoyer. Un frémissement court sur son échine lorsque l'autre homme lui demande s'il est la cause de sa disgrâce car cette simple question démontre l'importance qu'il lui accorde. Gortash n'a jamais douté de sa capacité à influencer mais il sait que le Drakeide se vouait à l'extinction de toute vie en symbiose avec les préceptes de Bhaal. Ce qui, malgré la force de leur partenariat, lui faisait considérer son associé comme détaché du monde des vivants et au-dessus des envies. D'une certaine manière l'image prodigieuse qu'il se faisait de Krane change, il n'est pas déçu mais stimulé. Son égo est dangereusement flatté.

Il lui suffirait de confirmer qu'il s'est écarté du chemin de Bhaal pour lui, tout serait facilement étayé par des faits détournés. Cette désertion coûterait cher à l'assassin qui serait sans nul doute châtié et broyé dans l'après vie, mais cette partie de l'éternité ne concernerait plus Gortash. Et encore faudrait-il qu'il meure ; le tyran n'a pas prévu de se lasser de lui rapidement.
Il perfore davantage l'espace personnel de l'autre homme puisqu'il n'a esquissé aucun mouvement de recul et saisit sans réserve l'avant-bras de Krane entre ses doigts d'or, un geste à la fois intime et inédit. Sa main presse l'accolade et remonte jusqu'à son épaule. C'est une caresse impérieuse qui simule des retrouvailles. Comment l'amnésique pourrait-il déterminer que ce geste n'est pas habituel si le tyran le fait avec autant d'aplomb et de naturel ? Leur lien, si Gortash ne décide pas de l'expliciter autrement, convie bien assez d'ambiguïté et l'assassin s'est mis dans la position de celui qui écoute.

"Laissez nous." Il n'a pas quitté les yeux de l'assassin en s'adressant à sa garde. Lorsque ses sentinelles referment la porte de bois massif, le despote poursuit. "Bhaal n'aurait aucun intérêt à vous garder dans l'ignorance si vous étiez encore son élu." Son sourire en coin se fane comme s'il parlait avec gravité. "Après tout, nos dieux nous ont choisis pour étendre leur influence parmi les mortels. A travers nos actions leur puissance s'accroit. J'étais et suis encore l'élu de Bane." Il n'est pas certain que son interlocuteur resituera le dieu de la tyrannie cependant il ne doute pas du fait que Krane comprendra la valeur du titre d'élu. Il sous-entend également la présence de leur panthéon à Nowhere afin d'insinuer l'idée que l'amnésie pourrait bien être une punition et pas la seule conséquence de l'absence de Bhaal. "Notre alliance était une évidence. Elle était même brillante. Vos meurtres causaient la terreur et je me chargeais de rassurer le peuple afin de le conquérir. C'est ainsi que nous avons commencé et puis nous avons vu plus grand, bien plus grand. Peut-être vous êtes-vous trop attaché à moi au goût de votre dieu ? " Il y va avec audace. Ce n'est pas de la simple prétention, il le teste. "Vous n'avez pas besoin de lui si vous m'avez moi. Je peux vous offrir les mêmes choses et plus encore pour un moindre coût." Ses doigts glissent à l'effleurement du menton de Krane. "Du sens. Un objectif. L'assouvissement. " Malgré toute l'emphase mise dans ses mots, malgré la caresse qu'il glisse presque contre sa joue, Enver ne cherche pas sérieusement à le convaincre. Il cherche à le faire réagir.

Seuls. Avec pour seuls témoins les dieux. Pour peu que cela les intéresse. La main de Gortash remonta le long de son bras et il en frémit, entre désir et retenu. La lumière qui perçait dans les lieux étaient étouffés par le vitrage presque opaque des vitres, les épargnant de rayon vivide et accusateur. Si d’ordinaire, il se sentait confortable loin de la lumière, il lui semblait aujourd’hui être jugé par les ténèbres eux-mêmes. Et le sentiment en était bien plus déchirant. Il écoutait les paroles de Gortash, acceptant chaque coup qu’elles portaient ; ne mesurant pas l’ampleur des séquelles qu’ils allaient laisser.

"Après tout, nos dieux nous ont choisis pour étendre leur influence parmi les mortels. A travers nos actions leur puissance s'accroit. J'étais et suis encore l'élu de Bane."

C’est en sentant la douleur, brûlante, vive, aussi féroce que si on épluchait sa peau à l’aide d’une lame chauffé à blanc, qu’il comprit que Bhaal faisait parti de ce qui lui manquait cruellement ; qu’il était une pièce qui, avant, comblait le gouffre de son existence insupportable. Bien qu’il n’eut même pas sa connaissance quelques minutes plutôt, il était à l’instant présent incapable d’endurer son désaveu sans se sentir perclus de plaies et de désespoir. Elu de Bhaal. Abjecte rôle pour le commun des mortels. Aussi abjecte que sa personne. Et pourtant, il n’était plus.

L’homme en face de lui était l’élu de Bane et il le savait, au plus profond de lui, que sa langue cinglait la vérité sur ce point. Même s’il ignorait presque tout de ce dieu brandit avec suffisance. Une seule question tournait dans son esprit ; pourquoi avait-il perdu les faveurs de son dieu, de son guide ?
"Peut-être vous êtes-vous trop attaché à moi au goût de votre dieu ? "

Ses yeux perçants s’écarquillèrent alors que le dévoyé redécouvrait l’homme devant lui. L’observant comme dans un renouveau. Son sourire effilé, son regard malicieux et dangereux.

"Vous n'avez pas besoin de lui si vous m'avez moi. "

Sa main remonta pour aller cueillir son visage et le souffle du Drakéide se coupa.

"Du sens. Un objectif. L'assouvissement. "
C’était tout ce qu’il avait toujours convoité. Ça et la fin de tout. Remettre son existence entre les mains d’un guide, avec dévotion, avec adoration. La main qui courra sur sa peau était comme une caresse interdite et il ferma les yeux pour y goûter. Les paupières closes, il sentait son sang frapper ses tempes dans un assourdissant vacarme.

C’était ainsi pour cet homme que Bhaal l’avait rejeté ; une alliance faite en dépit de la foi, deux mortels s’attelant à égaler les dieux. Et pourtant, l’inventeur n’était pas tombé en disgrâce aux yeux de sa divinité. Sa punition était douce, trop douce, pour sa trahison ; dépossédé de sa mémoire et d’un sens. Et pourtant déjà trop lourde pour lui.

Si Bhaal l’avait répudié pour cet homme alors peut-être que son meurtre lui redonnerait ses honneurs, sa mémoire, sa place. Krane posa sa paume sur le dos de la main envoutante parée de splendeur et d’un mouvement aussi soudain qu’imparable il l’attrapa et tordu le bras qui la portait pour en immobiliser son propriétaire. D’un jeu de jambe il le balaya au sol et leva haut vers le ciel sa dague, le regard fébrile et les doigts frémissant.

Face à lui, il y avait le visage du tentateur qu’il serait facile de démystifier. En l’honneur du dieu qu’il apprenait tout juste à reconnaître il pourrait découper cette face satisfaite ; fendre sa langue en deux pour en faire une plus juste langue de serpent et énucléer ses yeux charmeurs. Il ne le tuerait qu’une fois la voix de leur père le lui autorisant, gardant son corps éprouvé et le châtiant régulièrement.

Le souffle rapide, il resserrait sa prise sur sa garde, se faisant force pour maintenir la position. Il aurait voulu aller plus loin, se faire pardonner, car il avait besoin de combler ce vide. Si intense et assourdissant. Même ses cris les plus perçant ne parvenait pas à se frayer dans le silence qui avait envahi tout son corps et son existence. Et pourtant… il était sûrement le pire des fidèles car sa dague ne bougeait pas, ne donnait pas le premier coup qui serait suivi de centaines d’autres.

"Donnez-moi une voie, aussi sanglante soit-elle" quémanda-t-il entre les murs trop grands de cette salle vide. Un mot et il finirait son geste. Un simple mot de ce guide qui restait silencieux.

Une chose est sûre ; Gortash a été cru sur parole. Il voit pourquoi ses mensonges ont fait mouche en observant l'assassin épouser sa petite cajolerie comme un nécessiteux. Sa fronde n'était donc pas vaine, il est désormais convaincu de l'attirance qu'éprouve son ancien allié à son égard. Et cette attraction est suffisamment puissante pour qu'il puisse la croire responsable de son prétendu châtiment, Krane le place en rivalité directe avec son dieu. C'est grisant.

"Moi qui commençais à croire que vous vous étiez adouci." Cela n'aurait pas été à la hauteur d'un être tel que lui. Sa voix est donc approbatrice. Gortash est surplombé par le poids massif de l'autre homme et, pourtant, il arbore un large et sincère sourire. Il n'effectue aucun mouvement défensif qui trahirait une quelconque perte d'assurance et ses yeux ne reflètent aucun rejet.
Bien au contraire, il le contemple. Son regard court le long de ses muscles tendus, dessine le contour de son bras et s'arrête sur sa gorge battante. "Splendide." Commente sa voix suave et sûre, caressante. L'écartèlement de Krane n'aurait pas pu s'exprimer d'une manière plus directe. Gortash lui a servi une explication monocausale, un coupable idéal et pourtant l'assassin n'a pas encore abattu sa lame. Enver s'attendait à une réaction pareille, l'espérait, et n'est donc pas désarçonné.
Sa main gantelée se lève et se plaque avec autorité contre le torse du meurtrier. Comme il s'y attendait, sa paume recueille un rythme cardiaque haletant. Son sourire grandit.
"Le mal est déjà fait. " Son regard vient confronter celui de Krane, calmement mais fermement. "Tuez moi et vous perdrez deux fois." Le tyran laisse retomber sa main et se redresse sur ses coudes, rapprochant consciemment la peau de son torse de la dague. "Contrairement à Bhaal je suis capable de vous pardonner. De vous accepter. Et plus encore." Il compte lui dire la vérité concernant Orin mais pas maintenant, pas comme ça, pas alors qu'il peut gagner une joute aussi significative. Pas alors qu'il peut en apprendre autant. C'est également par fierté qu'il n'écourte pas. "Ensemble nous pouvons soulever des montagnes." Sa conviction est totale. "Nous pouvons édicter nos propres règles." Sans crier gare, Enver saisit le menton du rejeton de Bhaal entre ses doigts dorés et le tire fermement vers lui. Il le force à se courber et passe aussitôt son bras dans son dos, ouvre sa paume entre ses omoplates pour maintenir leur proximité dans un étau."Je sais exactement de quoi vous avez besoin. Ce que vous êtes. Je suis le mieux placé pour vous montrer la voie."

Il ramena son arme vers lui comme un fétiche protecteur. Alors que son corps était ramené dans l’étreinte maudite, sa lame pénétra la peau tannée de l’inventeur, fendant son torse et s’arrêtant contre sa barrière opaline. Cependant, il n’en avait que faire, s’enivrant de l’odeur fleurie de son opposant, accueillant son regard avec rancœur et envie. Démoniaque, arrogant, brillant, l’homme face à lui semblait ne pas douter une seule seconde de sa capacité à maîtriser ce qui échappait à leur condition ; à s’élever parmi au sein de la divinité et peut-être même à en dominer les domaines.

Il chuchotait à ses oreilles une belle promesse ; celle de ne plus vivre sa perdition, de laisser ses doutes tortureux derrière lui pour embrasser le chemin tracé devant lui. Promesse qui répondait à ses craintes, à celui du désavoeux, du rejet, de la solitude. Et Gortash en jouait parfaitement ; lui donnant le choix entre agir sans aucune assurance ou plier et recevoir un substitut qui promettait sûrement plus que ce qu’il pouvait donner.

Il aurait été aisé de refuser, de se dresser, de le tuer. Car voilà ; il sentait au fond que le seigneur en face de lui avait esquissé un tableau sur une toile déjà peinte. Si Bhaal l’avait répudié alors pourquoi continuait il d’entendre sa voix, de sentir son souffle et sa volonté guider ses mouvements ? Qu’attendait-il de lui ? Il aurait été encore plus aisé de céder, de ne plus chercher de sens profond à ses actions, de se laisser aller à l’aisance d’avoir un destin tracé, peu importe par qui tant qu’il y trouvait le sens et la voie qu’il avait recherchée. De fondre dans ses bras comme une brebis égarée.

Cependant ni l’une ou l’autre alternative ne savait conquérir le siège de son esprit. Il tourna légèrement le visage pour lécher la peau rugueuse de ces doigts fins et assena un coup de dent sauvage, ne lâchant la chair qu’au moment où le goût du sang avait enfin glisser sur son palet avec délectation. D’un mouvement adroit et élégant il fit pivoter sa lame, l’extrayant de la chair et essuyant le carmin qui maculait sa pointe sur l’intérieur de sa tunique sombre avant de la glisser dans son fourreau. « Peut-être avez-vous devant vous la personne que vous avez connu autrefois. Ou peut-être êtes vous en train de vous fourvoyer. » Assis sur son bassin, il passa ses doigts sur la plaie qui laissait perler de longues stries carmines le long du torse brillant de l’inventeur. « Je pensais trouver en votre présence les réponses à mes questions, mais voilà que je n’ai que plus de réponses auxquelles même un discours biographique ne saurait répondre. Car j’ignore encore si je veux être ce que j’ai été autrefois. Être un enfant de Bhaal. Un traître parjuré. Un fantôme en quête de son passé ou un amnésique faisant une croix sur ce qu’il a connu. Vous m’avez ouvert les yeux sur le fait que rien n’est aussi simple que je le pensais. » Du bout de son index, il joua à dessiner une arabesque jusqu’au son ventre, passant entre les lacets de sa veste finement décorée. « Qu’avant de connaître mon passé, je dois m’interroger sur ce que je souhaite en faire. Je ne doute pas que vous ayez été important ; l’outil de ma perte ou de mon élévation. Dans tous les cas un monstre qui a réussi à charmer celui qu’il s’agite en moi. Qui fais ressurgir ces pulsions sous une autre forme. Cependant cela n’est pas la solution. » Il hésita à se relever, regardant son homologue avant une douceur froide.

La lame qui le découpe lui fait mordre sur ses dents. La douleur est fulgurante mais il a déjà connu bien plus vicieux. Il a l'habitude de ne laisser paraître aucun grondement de souffrance. Ses doigts agrippent le vide alors que le sang chaud sculpte son torse. Il peut endurer. Mais pas pour rien.
Il est furieux. Son regard est noir. Pas à cause de la blessure qui lui est infligée ; il s'y était préparé et y avait consenti en ne le désarmant pas, il savait que Krane allait peindre sa détresse sur son corps. Il lui offrait ce moyen d'expression tant que les limites n'étaient pas dépassées et qu'il y trouvait rétribution, adoration.
C'est le manque d'adhésion de l'autre homme qui anime sa colère. Il lui proposait pourtant le monde. Gortash n'accepte pas la défaite, ne tolère pas d'être charcuté comme un vulgaire ensemble de chairs pour assouvir une faim prédatrice et sans intérêt. Il ne ressent pas l'intimité grouillante et l'écartèlement qu'il attendait vivre au revers de la lame de l'assassin. C'est peut-être bien de la frustration qui envenime son cœur, parce qu'il est profondément seul à se souvenir du lien qui les unissait.

Il ne faut qu'une seconde d'inattention de la part de Krane pour qu'Enver réplique. Il serre puissamment la gemme située au creux de sa paume d'or et aussitôt une lueur violette s'en exhale. L'armure de plaques mordorées qui trônait, inerte, au fond de la pièce s'anime : son cœur rugit d'un éclat mauve et ses membres métalliques se mettent en branle. La sentinelle d'acier, haute de plus de deux mètres, fond sur l'assassin et le saisit sous les bras pour le hisser brutalement sur ses jambes.
Gortash se relève en plaquant une main coléreuse contre son torse ouvert, ses yeux charbonneux suintent le dédain. Il s'avance d'un pas pour mieux toiser son ancien allié, désormais soumis à sa volonté. Il brûle d'envie de lui enseigner le respect. Sa main gantelée pivote sèchement et l'armure enchantée encercle de nouveau le corps de Krane, cette fois en passant ses bras autour de son torse. Enver ne relâche pas le regard de l'autre homme. Il lève son gantelet sans empressement et resserre de nouveau ses doigts autour de la pierre, l'armure comprime conséquemment sa prise. Gortash pourrait l'écraser comme un insecte. Il exposerait son cadavre comme un souvenir de ce qu'ils auraient pu être.
Cependant ce n'est toujours pas ce qu'il veut. Il le sait. L'hésitation traverse ses yeux sombres.

Il se remémore les paroles du meurtrier maintenant que sa position d'autorité vient calmer sa rage. Maintenant que le choix est sien.
Krane est indéniablement perdu. S'il s'était agi d'un autre, si Gortash le voyait comme une simple ressource, cette dysfonction lui aurait couté la vie. Le despote ne tolère pas l'instabilité à ses côtés car celle-ci n'a que trop vite fait d'enrayer les meilleurs plans. Cependant, il doit l'admettre, le discours et les réticences de l'amnésique font du sens. Sa méfiance prouve peut-être son instinct, qu'il ne s'est pas laissé convaincre par des mensonges.
Il pourrait aussi s'en défaire pour ne plus être confronté à la frustration, aux simulacres, à une coquille vide lui rappelant ce qu'il a perdu. Seulement une part de lui ne parvient pas à s'y résoudre. Peut-être est-ce paradoxalement le mordant de Krane qui le sauve, s'il s'était jeté dans ses filets comme une brebis égarée cela n'aurait fait que caresser son égo sur le court terme, cela n'aurait en rien émulé leur ancienne relation. Peut-être qu'il le reconnait trop, cet homme avec lequel il voulait défier les dieux. Peut-être que la morsure qui élance sa nuque n'aurait pas été déplaisante dans un autre contexte.

La main du tyran relâche sa prise et retombe près de sa hanche mais il garde le pouce refermé sur le joyau. Sa sentinelle, toujours éveillée et aux orbites étincelantes, laisse retomber l'assassin et effectue un pas de retrait. Gortash avance et ses doigts cueillissent le visage de Krane pour le soulever. La griffe dorée qui prolonge son index court sèchement dans le vide. "Qui que vous décidiez d'être vous feriez bien de ne pas rejeter mon aide." C'est dit avec un certain mordant. La menace est ambiguë car il laisse également entendre qu'il tolère son amnésie et qu'il pourrait à la fois le soutenir et respecter son choix. Il estime ne pas pouvoir lui laisser meilleure chance.
"Je vous testais. Laissez moi rétablir les faits : vous n'avez pas été renié par Bhaal. Vous avez été trahi par une Bhaaliste qui a usurpé votre titre." Ses lèvres affichent un certain mépris à l'évocation d'Orin.