Now I'll burn all the memories of you - Geralt

Les murs trop blancs. Les médecins et autres soignants qui déambulent dans leurs blouses immaculées. Les chariots de métal transporté d’une chambre à l’autre. Les bruits continuels émis par les machines dont Jaskier ignore toute fonctionnalité, et même jusqu’au nom. Tout cela aurait de quoi le désorienter, et même plus encore. Car rien dans ce grand bâtiment fait de verre et de métal ne ressemble à ce qu’il a connu sous le nom d’hôpital, synonyme de lieu terne, sombre, souvent même délabré. Un hôpital, pour lui, pour ceux de son monde, c’est là où l’on entasse les pauvres, les indigents, même ; oh, certes, on tentait bien de leur apporter quelques soins, mais il s’agissait plus alors de mouroir qu’autre chose, d’autant plus que ceux qui avaient réellement les moyens se payer des soins par d’autres biais, mêlant bien souvent la magie à l’acte physique. Mais ici, tout était différent et, comme pour beaucoup d’aspects, Jaskier est bien forcé d’apprendre à s’y faire. Ici, les hôpitaux lui semblent des parangons de ce que beaucoup à Nowhere appelleraient la modernitémodernité et cet hôpital avaient pu lui sauver la vie. Et c’était cet espoir qui le faisait presque courir dans les couloirs dans lesquels il aurait tout aussi bien pu se perdre, mû par une seule et unique idée : retrouver le Sorcelleur.

Il faut dire que le barde avait passé des mois à rechercher sa trace, des mois à attendre son retour. Des mois à faire le tour des refuges, des associations bénévoles, de tout lieu où Geralt aurait pu être ne serait-ce qu’aperçu et ce qu’importe le quartier, fournissant aux malchanceux devenus ses interlocuteurs une description comprenant moults détails de son ami disparu. Une démarche qui, pendant des mois et des mois, c’était avéré vaines, Jaskier ne rencontrant que silences et réponses négatives face à ses interrogations. Et si plus d’une fois il avait senti le courage l’abandonner, le désespoir s’emparer de son être, il n’avait cependant jamais accepté de baisser les bras. Parce que c’était Geralt. Et que, malgré tous les différents qui avaient pu les opposer au cours des années passées l’un au côté de l’autre, Jaskier refusait d’imaginer le reste de sa vie sans le Sorcelleur. Alors il passerait toutes les prochaines années, les décennies même, à le chercher, s’il le fallait. Mais s’il avait la moindre chance qu’il le retrouve, il la saisirait. Sans une hésitation. *

Et Jaskier n’avait pu que se féliciter de sa ténacité quand, enfin, celle-ci avait porté ses fruits. Quand on l’avait informé d’un nouvel arrivant à la chevelure d’argent, aux iris dorées, qui auraient vraisemblablement été blessé au moment de son arrivée – plus que récente – à Nowhere. Jaskier n’en avait pas attendu plus, oubliant même de demander la nature des blessures de l’homme en question, oubliant tout le reste, pour simplement se précipiter à l’endroit où l’homme était soigné, dévoré tout aussi bien d’impatience que d’inquiétude. On lui avait indiqué l’hôpital, la chambre 349 dans le service de neuro-quelque chose – il s’était empressé d’oublier le nom barbare de ce qui semblait être une spécialité de médecine, mais il aurait tout le temps de s’en informer plus tard. Pour le moment, une seule chose comptait : Geralt. Et Jaskier n’avait même pas encore pu se confirmer d’une quelconque façon qu’il s’agissait bien de lui que déjà le voilà poussant la porte de la chambre, assommant son occupant de son babillage incessant : « Enfin, je te retrouve ! Alors comme ça, on profite que j’ai le dos tourné pour faire une petite sieste ? Tu me diras, tu n’as pas l’air si mal installé, ici, et j’ai l’impression qu’il y a plus de personnes qu’il n’en faut pour s’occuper de toi. Mais ne t’amuse pas trop à faire tourner les têtes, on ne sait jamais ce qui pourrait arriver, n’est-ce pas ? Alors, comment tu te sens ? » Secrètement extrêmement soulagé de constater au premier coup d’œil, le reconnaissant immédiatement, qu’il s’agissait bien de Geralt, la tornade brune n’avait pas une seule seconde interrompue son monologue, allant même jusqu’à ponctuer sa dernière phrase en prenant place d’une façon totalement cavalière sur le lit de son ami, s’installant comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Ce qui aurait dû être le cas. Oui, Jaskier avait faillit partir de Kaer Morhen sans en informer personne, mais il ne l’avait jamais autant regretter qu’une fois arriver sur Nowhere. Alors, puisqu’il avait la chance de l’avoir retrouvé, il était maintenant hors de question qu’il le lâche de nouveau. Que le Sorcelleur soit d’accord avec cela, ou non.

Cela ne fait dix jours qu'il est réveillé -et quinze jours qu'il est ici d'après les soignants- et pourtant il en a déjà marre, il a envie de sortir, de bouger, de faire quelque chose de sa carcasse. Il est persuadé qu'il ne restait pas en place avant, une impression venant du fin fond de son crâne couplé au fait qu'il a eu tout le loisir d'étudier la tenue dans laquelle il a été retrouvé ; c'est une tenue de guerrier, de combattant ou quelque chose du genre, sans parler des deux épées allant avec. Pourtant, l'homme est contraint de rester tranquille, n'ayant le droit de se promener que quelques minutes à la fois dans les couloirs entourant la chambre où il se trouve. Même s'il a déjà réussi à aller jusqu'à ce qu'ils nomment une cafétéria. Les médecins n'ont pas tort, cela serait de la folie que de quitter l'hôpital alors qu'il a encore l'épaule abîmée mais surtout la tête, au moins n'a t-il plus de bandage l'entourant, une simple compresse pour protéger la plaie suffit. D'ailleurs il semble guérir plus vite que la moyenne, du moins physiquement parlant...parce qu'il a encore de violents maux de tête, des vertiges fréquents quand il ne perd pas tout simplement son équilibre.

Mais s'il veut tant sortir, c'est qu'en plus d'avoir envie de bouger, il se dit que c'est peut-être là dehors qu'il pourra trouver des réponses aux questions qu'il se pose. D'où vient-il ? Qui est-il ? Ou qu'est-il puisque son physique diffère tant des autres personnes l'entourant et surtout comment se nomme t-il ? Rien que de savoir comment il s'appelle pourrait l'aider, pourrait peut-être débloquer quelque chose. Surtout qu'il a fait le tour de ce qu'il a pu apprendre sur lui-même tout seul, outre la tenue, les épées et les fioles étranges retrouvés sur lui :  les cheveux blancs, les yeux dorés, il est à part il le sait mais en quoi ; les nombreuses cicatrices pouvant recouvrir son corps et qui ont elles aussi aidés à ce qu'il comprenne qu'il est un homme d'action normalement qui a déjà survécu à de nombreuses batailles il semblerait...et c'est à peu près tout alors que rien d'autre n'a pu lui revenir. De la frustration, voilà ce qu'il peut ressentir et il n'a pas eu besoin des infirmiers et infirmières pour s'en rendre mais elleux lui disent d'être patient, que sa mémoire finira par revenir, qu'il doit laisser le temps à son corps de guérir et peut-être à son âme aussi selon ce qui a pu lui arriver avant de finir ici.

Il est entrain de réfléchir un peu à tout ça -comme tous les jours d'ailleurs- tout en mangeant cette gelée verte qu'on a pu lui servir dans un petit bol, quand la porte de sa chambre s'ouvre pour laisser passer une tornade brune. Un jeune homme entrant et faisant comme chez lui et surtout lui parlant comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Sauf que sur le coup ce babillage via le débit de parole de l'inconnu prend le pas sur les possibles questions qu'il devrait avoir, cela l'empêchant de réfléchir correctement si bien qu'il ne peut en avoir qu'une seule réaction.

- Pardon mais vous êtes qui ?

N'esquissant pourtant aucun geste de recul, attendant simplement une réponse, ses prunelles dorées fixées sur le jeune homme. C'est comme ça qu'il ne peut que voir le visage de l'inconnu se décomposer à la vitesse de l'éclair et c'est comme ça qu'il termine, après de très longues secondes pour ne pas dire une minute, par reprendre la parole.

- Amnésie. Je n'ai aucun souvenir de quoi que ce soit.

Lâchant sa réponse dans un quasi grognement alors que cela ennuie profondément une partie de son être que de devoir fournir ce qui ressemble à des excuses. Voir même d'avoir à parler tout court, tout le service -et lui avec- n'a pu que remarquer qu'il n'est pas très loquace quelle que soit la situation. Un des infirmier plaisantant même sur le fait qu'il aimerait bien que tous leurs patients soit comme lui et il peut comprendre pourquoi alors qu'il en a déjà entendu plusieurs gueuler si fort que cela s'entend à travers les murs et les portes closes.

Depuis le temps que Jaskier cherchait Geralt, il avait eu tout le loisir de penser aux mille scénarios possibles de leurs retrouvailles. Du choc à la surprise, en passant par ces sourcils froncés si caractéristique de son impatience face à ses babillages sans fin qui avaient pourtant le plus grand intérêt, voir même l’abreuvage de reproches et de représailles bien entendu totalement infondé, Jaskier avait sans doute tout envisager – c’était cela, aussi, d’avoir une imagination sans faille. Il y avait même l’un de ces rêves, un fantasme même, diraient les plus mauvaises langues, où Geralt était simplement heureux de le revoir et où son visage s’illuminait de l’un de ces minces sourires qui amenaient la joie dans son regard d’or et que le barde n’avait pu voir qu’à trop peu d’occasions à son goût. Donc oui, Jaskier avait fait le tour, encore et encore et pensait réellement avoir pu considérer toutes les possibilités qui s’offraient à eux. Mais il faut croire que son esprit vif, grouillant de centaines d’histoire, n’avait pourtant pas penser à cela. A ces yeux vide de toute reconnaissance, de tout affect quand ils se posent enfin sur lui. Et à cette question qui franchit ses lèvres quand, enfin, Jaskier se tait quelques instants pour reprendre son souffle, lui laissant alors une infime possibilité de parler.

Peut-être que le barde aurait préféré qu’il ne la saisisse pas. Peut-être aurait-il préféré ne plus jamais entendre le son de sa voix, l’avoir juste là, à ses côtés – ce n’était pas comme si, de toute façon, Geralt avait jamais été un grand bavard – plutôt que d’affronter ces mots-là. Parce que ces mots-là blessent. Parce qu’ils font mal, plus profondément qu’une entaille de lame ou qu’une flèche plantée dans son corps. Parce que ces paroles, cette question, atteignent directement son cœur, son essence même : il est le compagnon inséparable du Witcher, le barde qui a fait sa renommée, sa gloire. Il est, surtout, son ami, depuis si longtemps que lui-même a du mal à se rappeler quand – enfin, non, ceci est faux, bien sûr, Jaskier se souvient à la perfection de chaque instant passé auprès de lui. Mais il est Jaskier, qui le suit dans ses aventures, qui les mets en chanson, qui le soutient, quoi qu’il arrive, ou presque et qui s’est mis depuis si longtemps sous sa protection. Sauf que ce rôle, cette amitié, cette relation si étrange, si unique, est balayée de quelques mots à peine. Quelques mots qui laissent Jaskier pour la première fois depuis si longtemps, sans voix. La bouche légèrement ouverte d’où ne sort plus aucune respiration, les yeux écarquillés, comme s’il avait du mal à réaliser – et, au fond, c’est bel et bien le cas. Jaskier est silencieux, pendant de longues, trop longues secondes. Tant et si bien que Geralt, pourtant d’habitude si avare de mots, a le temps de reprendre et d’expliquer un peu plus son état. Une amnésie. Une. Amnésie. Si Jaskier avait un peu moins connu le Sorcelleur, peut-être aurait-il pu croire à une blague, une plaisanterie, un très mauvais tour pour se venger d’il ne savait quel affront qu’il aurait pu lui faire et, aussi innocent que Jaskier pouvait se vanter d’être, peut-être accepterait-il de reconnaître qu’il pourrait y avoir quelques raisons pour cela. Mais ça n’est pas le cas. Ca n’est pas une plaisanterie. Geralt n’a aucune idée, visiblement, de qui il est. Ni de qui ils sont.

A la réalisation de l’énormité de la situation, Jaskier se relève aussi vite qu’il était entré, gestes vifs et presque désordonnés, pour se tenir à une distance à peu près respectable. Pas qu’il ait jamais porté une grande importance à l’espace vital de Geralt sauf en cas de nécessité vital dont il avait appris avec le temps à reconnaître les signes, mais se tenir trop prêt de celui qui le voyait comme un inconnu avait, aux yeux de l’artiste, un côté extrêmement malaisant. Alors le voilà, soudain un peu trop mal à l’aise, un peu plus gauche, face à ce corps d’habitude si musclé, si résistant, allongé dans ces draps trop blancs, branchés à des machines meublant un silence qui, dès lors que Jaskier en pris conscience, se fit d’autant plus oppressant. Il fallait qu’il le rompe. A tout prix.

« Venant de quiconque d’autre, j’aurai pu croire à une plaisanterie, mais par la magie tu sembles vraiment ne te souvenir de rien… Eh bien, je suis Jaskier, barde de profession, même si ici je commence quelque peu à diversifier mes activités. Et je peux t’en dire également beaucoup sur toi, bel inconnu amnésique, car nous avons longtemps chevauché ensemble et vécu mille aventures, si cela, bien sûr, t’intéresse. Enfin, cela dépend aussi de l’avis de tes soigneurs, je suppose, mais je serai d’avis que ta mémoire devrait être stimulée, n’est-ce pas ? Tu n’as qu’un mot à dire, et je puis tout te compter, dans les moindres détails. Et je puis même le faire en chanson, même si je n’ai pas mon précieux luth avec moi. » Et c’était reparti pour ce flot de parole, interrompu uniquement, une fois de plus et plus encore maintenant, par la nécessité de reprendre de l’air. S’il avait pu, Jaskier aurait pourtant continué toujours plus et, si rien ne l’arrête, nul doute qu’il le fera. Tout, pour ne pas laisser le silence s’installer de nouveau. Tout, pour ne pas entendre les bruits trop réguliers des machines de soin tout autour du Geralt. Et puis après tout, tel et son rôle, non ? Celui qu’il s’est octroyé il y a si longtemps sur un chemin de terre et malgré la mauvaise volonté de l’homme en question. Raconter l’histoire du Sorcelleur, voilà qu’il sait faire, le barde. Et il n’est pas dit qu’on puisse le voir faillir à cette tâche. Pas quand sa mission revêt désormais une telle importance.

Pendant tout le temps où cet homme se décompose devant son regard, il parvient à réfléchir où du moins à commencer de le faire, commençant à analyser les paroles qu'il a pu avoir et comprenant qu'ils se connaissent visiblement bien sinon il n'aurait pas réagit comme il a pu le faire en débarquant dans sa chambre. C'est peut-être pour ça qu'il termine par lui grogner ces excuses, lui expliquant en quelques mots la situation dans laquelle il peut se trouver. Le fait qu'il ne se souvienne de rien n'a jamais autant été une torture qu'à cet instant mais en même temps, la présence de l'autre homme va peut-être être une bénédiction s'il parvient à en apprendre plus sur lui-même.

Encore faut-il que le dit autre homme arrête de bouger dans tous les sens comme il le fait en se relevant vivement du lit, c'est un coup à lui filer une nouvelle migraine à le paralyser de douleur comme il a déjà pu en avoir depuis qu'il est ici. C'est bien pour cette raison, qu'il termine par détourner le regard, le posant sur son petit pot de gelée qu'il a toujours entre les mains avant de poser le dit pot sur la tablette à côté de son lit. Ce qui laisse le temps à l'inconnu de reprendre la parole et de recommencer son débit de paroles, le laissant chopper au vol les informations qu'il peut lui donner, essayant de les assembler du mieux possible.

- Jaskier...

Prénom murmuré dans un souffle à peine audible alors qu'il cherche, qu'il essaye vraiment de réactiver sa mémoire mais ce dont il est sûr en prononçant le prénom de l'homme c'est que cela sonne familier. Un nom qu'il a sans nul doute déjà prononcé et plus d'une fois. De là il se dit que c'est vraiment sa chance que de pouvoir enfin avoir des réponses à ses questions, n'ayant aucune raison de ne pas le croire. Un doute qu'il avait visiblement et malgré tout mais qui vient de s'envoler.

- Comment je m'appelle ?

Son regard doré revenant se poser sur le jeune homme en même temps qu'il lui pose cette question. Question qui lui montrera à quel point sa situation est sérieuse, qu'il n'a réellement aucun souvenir de quoi que ce soit, d'ailleurs les soignants l'ont enregistré sous le nom de John Doe, lui expliquant que c'est ainsi qu'ils nomment les inconnus dans des cas comme le sien. Et s'il aurait d'autres questions à lui poser, une lui vient à laquelle il n'avait pas pensé jusque là mais qui fait écho à la manière dont l'autre homme a pu lui parler.

- Est-ce qu'on a...est-ce qu'on est...ensemble ?

Cherchant un poil ses mots malgré tout, c'est délicat comme question après tout surtout que l'autre pourrait vraiment mal le prendre que la réponse soit oui ou non d'ailleurs. Mais oui à la manière dont ce Jaskier a pu lui parler, la question se pose, une question qu'il n'avait pas envisagé quand il se regardait dans le miroir et essayait vainement de retrouver des informations. Malgré le délicat de la situation, il ne lui faut que quelques secondes pour reprendre la parole.

- Et je veux bien avoir des détails sur ma vie, mais par pitié pas en chanson et pas en parlant aussi vite, j'ai de violents maux de tête par moments.

Autant que l'autre homme soit au courant n'est-ce pas mais est-ce qu'il aura seulement entendu ce qu'il vient de lui dire vu ce qu'il a pu lui demander juste avant.

Dire que Jaskier était nerveux en cet instant aurait été un doux euphémisme ; Jaskier n’était pas juste nerveux face aux mots de Geralt, il était l’image même de l’anxiété. Parce qu’il y avait la faiblesse de celui qui, même blessé par les pires des créatures, même à l’agoni face au plus terrible des poisons, lui paraissait toujours invincible. Parce qu’il y avait ce regard qui se posait sur lui sans exprimer la moindre once de reconnaissance, comme s’il ne croisait là qu’un inconnu. Parce que, tout simplement, Geralt n’était plus lui-même et que celui que Jaskier avait toujours connu n’était plus désormais présent que dans son esprit. Et dans ses souvenirs. Pour la défense du barde, on aurait été déboussolé pour de nouvelles bien moins importantes et le choc était assez important pour qu’il se sente totalement déstabilisé. Le problème, cependant, quand Jaskier était nerveux, anxieux, déboussolé, c’est qu’il avait tendance à parler. Encore et encore. Beaucoup. Trop, même, à n’en pas douter. Et il n’y avait pas grand-chose capable de le sortir de cet état.

Pas grand-chose, si ce n’est son prénom prononcé par cette voix, par sa voix. Par ce simple murmure, aussitôt emporté comme un courant d’air dans la chambre aux fenêtres pourtant parfaitement fermées. Pourtant, il l’a bien entendu. Pourtant, il sait que Geralt vient de le prononcer. Et si rien d’autre ne semblait pouvoir le calmer, il y avait de cela tout juste quelques secondes à peine, c’était comme si ce prénom pouvait tout changer. Enfin, non, ce n’était pas son prénom qui pouvait tout changer. C’était Geralt. Comme toujours, juste et seulement Geralt. Et le flot de paroles incessants qui jaillissait jusqu’alors de la bouche de Jaskier se tarit, non pas dans une attitude hébétée comme précédemment, mais bien dans un calme qui lui est pourtant peu coutumier. Parce qu’il se rend bien compte, Jaskier, que Geralt a besoin de ce calme qu’il a toujours appelé de ses vœux ; ça n’a jamais arrêté le barde, avant et cela lui a valu nombre d’exaspérations de la part de son ami. Sauf qu’aujourd’hui, c’est sa santé qui en dépend. Et s’il y a bien un élément que Jaskier est prêt à faire passer avant tout, c’est celui-ci. Parce que c’est Geralt. Et qu’il est plus important que son stress. Que sa propre vie.

Chassant aussitôt cette pensée, Jaskier prend le temps d’attendre les questions de l’homme aux cheveux d’argent pour y répondre, le laissant suivre son propre cheminement de pensées : « Tu t’appelles Geralt de Riv. Dans notre monde, tu étais un Sorcelleur, mais je suppose que cela ne te dit rien non plus ? » Est-ce qu’il aurait les mots pour expliquer exactement à Geralt ce que signifiait être Sorcelleur ? Malgré toutes ces années passées au côté de son ami et même s’il en connaissait bien plus la plupart des gens de leur monde – et si, surtout, il n'avait jamais eu les préjugés que certains pouvaient avoir à leur encontre – Jaskier restait conscient que bien des mystères lui restaient inaccessibles quant à leurs conditions, leurs natures, leurs vies. Mais il ferait de son mieux, évidemment, pour répondre à toutes questions que Geralt pourrait lui poser sur ce sujet. Et il est déjà en train de se creuser la tête pour savoir exactement quoi dire quand la question de l’autre homme le prend de totalement de court.

Ensemble ? Est-ce qu’ils ont été ensemble ?! La question pourrait être légitime, si ça n’était pas eux. Pas que Jaskier ait le moindre problème avec le fait d’avoir des relations, qu’elles soient amoureuses ou intimes, avec un homme, mais jusqu’à preuve du contraire, ça n’était pas le cas de Geralt. Et surtout, surtout, Geralt n’avait jamais eu la moindre inclinaison envers lui. Pas que Jaskier aurait été contre, certainement pas. Mais ça n’avait simplement jamais été à l’ordre du jour. Perdu dans sa gêne et sa confusion, les joues teintées d’une couleur rouge soutenue, une idée soudaine fait pourtant son chemin dans l’esprit de Jaskier. Et si ? Et s’il se permettait de le faire ? Et s’il se permettait de lui dire que c’était bien le cas ? Qu’ils avaient été ensemble, que leur longue histoire d’amitié était en réalité une histoire d’amour ? Que ce qu’il ressentait, lui, depuis trop longtemps, que ces battements de son cœur quand Geralt était trop proche ou lui montrait un tant soit peu d’attention – jamais, jamais assez – ou cet… agacement, pour rester poli, quand il le voyait trop près d’une autre, pouvait avoir été réciproque. Peut-être qu’alors ils pourraient. Vivre une histoire, une vraie histoire. Une de celle qui aurait dû être impossible, mais qui avait peut-être un avenir, dans ce nouveau monde…

Cette transgression avait clairement le goût de la tentation et Jaskier doit se faire violence pour la repousser au loin, malgré l’amertume de ce choix, et c’est d’un petit rire, d’un bref mouvement de la main que le barde tente de se sortir de cette situation : « Non, notre relation n’était pas de cet ordre-là. Mais nous étions amis et très proches, toi et moi. On est restés ensemble pendant plus de dix ans ! » Entrecoupé de disputes et d’une sérieuses rupture, peut-être, mais malgré tout, les mots de Jaskier ont toute l’action de la vérité. Car même lui, tout artiste qu’il soit, n’est même pas certain de pouvoir réellement trouver les mots pour décrire ce qu’ont été ces années passées ensemble. Elles ont tout été, pour lui, tant et si bien qu’il a cru se voire mourir quand Geralt l’a laissé au sommet de cette montagne – et cela n’a rien à voir avec le fait d’avoir dû descendre sur ces foutus cailloux avec des chausses glissantes. C’était simplement parce que Geralt était parti. Et désormais, il le retrouvait, encore. Pour la seconde fois.

Mettant un peu d’ordre dans le flot d’émotions et de pensées contradictoires qui n’ont de cesse de le traverser, Jaskier prend le temps de se saisir d’une chaise derrière lui pour la rapprocher du lit et s’assoir plus proche de l’autre homme ; ils en ont sans doute pour un moment, d’autant plus s’il doit s’adapter à l’état de santé du Sorcelleur et, quitte à ne pas chanter, autant être bien installé. « Je peux te raconter tout ce que je sais sur toi, si tu le souhaites. Dis moi seulement ce que tu veux savoir. Et promis, pas en chanson. » Et tout en sourire, rire et légèreté pour oublier le poids de cette situation. Parce qu’il y a des sujets que l’autre voudra peut-être esquivé et parce que le flot d’information peut-être un peu trop important pour son esprit fatigué pour être intégré en une fois. Alors pour une fois, le barde décide de ne pas agir égoïstement, de ne pas suivre ses propres envies, un peu comme celle de partir d’ici en courant pour ne pas affronter la situation, d’ailleurs. Parce que ce qui doit passer avant toute chose, c’est la santé de Geralt. Et Jaskier va tout faire pour se tenir à cela.

Il n'en a rien à faire de ce que le personnel soignant pourrait ou non dire sur le fait de stimuler sa mémoire de cette façon mais il ne pense pas qu'ils l'interdiraient, il partirait plus sur le fait de lui dire, de leur dire de faire attention à ne pas pousser trop loin. Cela ne fait que dix jours qu'il est éveillé et les premiers ont été compliqués mais ça ne l'empêche pas d'avoir compris comment les choses peuvent marcher dans ce lieu, sans oublier le fait qu'ils lui parlent souvent de tout et de rien pour voir si un truc ou un autre ne déclenche rien en lui. Tout ça pour dire qu'il ne pouvait que passer au dessus de ce que l'autre homme a pu dire là dessus. À la place il se concentre sur son prénom en le murmurant, savourant le fait que cela sonne familier, qu'il l'a déjà souvent prononcé. De là en reposant son regard sur Jaskier, il se permet de l'observer plus en détails tout en lui posant sa première question.

Geralt. C'est donc ainsi qu'il s'appelle, là encore ça sonne familier mais pour autant cela ne réveille rien en lui. Sorceleur ? Qu'est-ce donc ? S'il secoue la tête de droite à gauche pour signifier que non il n'a aucune idée de ce que cela veut dire, il a une image qui lui vient en tête ; celle de sa main tenant une épée face à une créature plus grande que lui. Image qui s'envole aussitôt est-elle venue. Pour sa seconde question, si ce sont les propos du jeune homme qui ont pu l'inciter à la poser, il y a aussi le fait qu'à force de le détailler là encore il y a quelque chose de familier en lui, il y a quelque chose de presque tendre qui passe en Geralt en le regardant ; aussi a t-il vraiment besoin d'une réponse. Visiblement la question entraîne une réaction bien marquée et qui ne passe pas inaperçue alors que l'autre homme se met à rougir comme une pucelle pendant sa nuit de noce. Non ? Pourtant la réaction de Jaskier indiquait autre chose mais bon d'accord, s'il le dit, amis et très proches cela lui va parfaitement de toute manière. Mais bon peut-être que c'est un non mais que Jaskier en a déjà eu envie, comment expliquer sinon qu'il est pu rougir ainsi. Geralt se contentant alors de hocher la tête de manière positive pour lui faire comprendre qu'il a bien entendu et bien assimilé les faits.

Continuant à le suivre du regard alors qu'il approche une chaise du lit puis s'installe dessus, ce n'est que là que sa propre expression peut changer, un fin et furtif sourire venant orner ses lèvres en réponse à l'air que Jaskier peut lui-même avoir. À cette manière de lui répondre comme si le sujet n'était pas de prime importance, comme s'il voulait que justement le ton de la conversation à venir soit léger. Léger sourire qui est aussi là parce qu'il en a envie, c'est limpide mais aussi un peu comme si Geralt voulait le remercier par avance. Son propre regard se perdant ensuite dans le vide pendant un bref instant, par où commencer, qu'est-ce qu'il voudrait vraiment savoir ? Hmm. Peut-être réagir en fonction de ce que Jaskier a déjà pu lui dire.

- Si vous...toi et moi on a jamais été ensemble, est-ce que j'ai eu quelqu'un dans ma vie ? Au moins cette question sera réglée enfin normalement. "Et Sorceleur tu m'as dit ? C'est quoi exactement ? Cela explique qu'on m'ait trouvé avec une armure et des épées entre autre ? Qu'avons nous fait pendant ces dix années, quel genre d'aventures avons nous vécu ? J'aimerais aussi savoir pourquoi tu as dit "dans notre monde", on y est plus ?"

Comme quoi, il a réellement tout écouté et peut-être qu'il pourrait lui poser d'autres questions mais celles-ci sont déjà assez conséquentes, du moins le pressent-il alors il ne dit rien de plus, regardant l'autre homme et attendant ses réponses avec presque de l'impatience perceptible dans les mouvements de son corps.

Nul doute que toute personne ayant connu Jaskier aurait pu être surpris par ce calme apparent qu’il affiche, d’autant plus en de telles circonstances. Nul doute qu’on se serait bien plus attendu à ce qu’il comble chacun des silences de jacasseries sans fin et que, même assit sur chaise, il occupe tout l’espace, comble chacun des silences. Pourtant, il fait montre d’une patience exemplaire, le jeune barde, de celle qu’on ne lui connaît que rarement. Qu’exceptionnellement, même. Alors oui, il y a bien ces signes qui ne trompent pas. Son pied qui bat discrètement, distraitement, même, le fantôme d’une mesure imaginaire. Ses doigts qui crissent et se crispent sur les plis de son jean, tissus découvert, pour Jaskier, ici même, sur Nowhere, et dont il apprécie la praticité à défaut du confort. Mais pourtant, il s’efforce d’être le plus calme possible, assit sur cette chaise inconfortable. De ne pas se montrer trop envahissant, conscient des effet délétère que cela pourrait avoir sur la santé de Geralt. D’être attentif à chaque signe que l’autre lui envoie. Et d’ainsi ne pas manquer, entre autre, le fin sourire qui vient fleurir sur ses lèvres, bien trop rare à son goût. Et même si certaines de ces questions – ou plutôt, une certaine question – aurait pu le faire mourir de gêne, il était même prêt à ce que cela recommence si cela pouvait amener de nouveau cette brève lumière sur les traits du Sorceleur.

Enfin. Ca c’était dans la théorie parce que dans la pratique, entendre Geralt insister en premier lieu sur ses possibles relations passées amena une tension nouvelle des plus désagréable chez le barde. Parce qu’immédiatement, forcément, c’est l’image de Yennefer qui lui vient à l’esprit. La couleur envoutante de ses yeux, son sourire plein d’un charme Geralt avait succombé. Et ce caractère proprement insupportable qui faisait d’elle une personne proprement insupportable dont Jaskier ne comprenait toujours pas pourquoi le Sorceleur s’était entiché malgré tout. Bon, s’il devait être tout à fait honnête, il avait commencé à l’apprécier un peu plus quand ils s’étaient recroisés de long mois après que Geralt l’ai abandonné, en haut de sa montagne. Mais il restait encore largement suspicieux à son encontre et, surtout, à l’encontre de ses intentions avec le Sorceleur. Plus ce dernier s’en tenait éloigné, mieux Jaskier se sentait. Alors devoir lui en parler lui-même ne lui plaisait clairement pas. Et cette contrariété devait très certainement se lire sur ses traits, même s’il s’efforce d’employer le ton le plus léger possible lorsqu’il lui répond, enfouissant en son sein cette brûlure bien trop semblable à celle de la jalousie : « Une relation ? Je t’ai plutôt connu papillonnant à droite et à gauche, hein… Bon, il y en avait bien une vers qui tu es revenu une ou deux fois, mais il s’agissait plus de magie que de sentiments, il me semble. Yennefer, ça ne te dit rien ? » Le barde tentait le diable en évoquant ainsi directement la sorcière et au fond, il le savait bien. Mais il s’était juré, il y a de cela quelques secondes à peine, qu’il ne lui mentirait pas et il ne pouvait revenir si vite sur sa propre parole. Et puis, il devait bien se l’avouer à lui-même, il espérait secrètement que ce nom n’évoque rien à son ami. Quel bonheur cela pourrait être de ne voir aucune once d’une quelconque once de reconnaissance dans son regard doré ! Nul doute que si cela arrivait, Jaskier savourerait le moment comme rarement il n’avait pu le faire jusqu’alors.

Fort heureusement pour lui et pour son surplus d’émotions, la conversation dérive très vite vers des sujets en apparence plus sérieux et pourtant bien moins dangereux à ses yeux. Le voilà donc qui devait désormais expliquer à un Sorceleur ce que signifiait être un Sorceleur et, il le savait, cela n’allait pas être vraiment de tout repos. Prenant le temps de peser ses mots, Jaskier décide d’aller au plus simple, préférant ainsi continuer à donner les informations de façon la plus simple possible afin de  ne pas trop le submerger : « Oui, c’est pour cela. En fait, tu combattais des monstres et les éliminaient quand ils menaçaient les populations, avec tes épées, mais aussi à l’aide de potions et de tes capacités spéciales de Sorceleurs. Quand aux aventures que l’on a vécu… Il me faudrait plusieurs jours pour toutes pouvoir te les compter. » Il ne peut s’empêcher de préciser, avec un petit rire amusé : « Cela allait des simples monstres à la protection ou à la destruction de royaumes entiers ! Ton nom a fini par être connu dans toutes nos contrées et, sans vouloir faire preuve de fausse modestie, je n’y suis pas totalement étranger. » Bon, c’était peut-être un peu trop visible qu’il ne savait décemment pas faire preuve de modestie, mais il avait bien assez conté les exploits de son ami pour savoir qu’il méritait largement sa réputation, même si Jaskier avait peut-être parfois un peu tendance à embellir la situation. Il savait trouver les mots capables de convaincre les plus réticents, il savait trouver les notes pour pouvoir les conter. Il savait donner à toute aventure du Sorceleur, même la plus insignifiante, la dimension épique que l’homme aux cheveux d’argents méritait. Il savait y transcrire, avec une justesse inégalable, chacune des émotions qui venaient toujours étreindre son cœur…

Est-ce qu’ils auraient encore l’occasion de vivre certaines de ces aventures, ici ? Est-ce qu’il pourrait de nouveau le suivre lors de ses combats et écrire à son sujet mille et une chanson ? Oh, nul doute pour lui que Geralt ne cesserait jamais d’être source de ses inspirations, mais que pourrait-il tirer de cette nouvelle vie ? Que se passerait-il, si jamais Geralt ne retrouvait jamais la mémoire ?... Il n’en savait rien, le barde et il préférait ne pas se poser la question en ces termes, désireux de plutôt voir venir ce qui viendrait au jour le jour. Parce que de leur monde, de toute façon, il ne semblait bel et bien ne plus rien rester. Et il devait aussi l’annoncer à Geralt. « Non, nous n’y sommes plus. Je n’ai pas eu le temps de trouver toutes les réponses sur ce qu’il s’était passé, mais nous avons été envoyés dans un… Nouveau monde. Avec pleins de… trucs, des machines, et des nouvelles technologies. Ca n’a rien à voir avec tout ce qu’on connaît, mais c’est plutôt sympa ! » Montrer de l’enthousiasme, oui, ne pas lui laisser voir ses doutes et encore moins ses peurs. Ses difficultés d’adaptation. Parce qu’il avait bien conscience que pour le moment, il allait devoir prendre les choses en main pour deux. Et qu’il se devait d’assurer pour la suite. Pour Geralt.

Il détestait cela, Jaskier. Il détestait devoir porter de telles responsabilités ; il n’était définitivement pas fait pour ça. Et c’est peut-être pour cela que l’esprit du barde, à défaut de se laisser écraser par ce sentiment, semble soudain se rappeler d’un détail important : « Attend, tu as dit que ton armure et tes épées étaient ici ? Donc tu dois aussi avoir le reste de ton matériel ! » Se relevant d’un bond, Jaskier avise la petite armoire dans un coin de la pièce et, toute idée de calme momentanément oubliée, se précipite vers le meuble en question dont il ouvre les portes sans délicatesse aucune. Et sans s’arrêter sur les armes ou les différentes pièces d’habillement ou de protection, c’est bien vers sa réserve de potions que le barde fond. Il ne lui faut que quelques secondes pour trouver celle qu’il veut et, aussi prestement qu’il s’est éloigné, il revient vers Geralt pour lui remettre la petite fiole entre les mains : « Tiens, c’est une des potions de ta composition, elle devrait pouvoir calmer un peu tes douleurs ! Je ne sais pas comment marche les médications d’ici, mais je suis certain que celle-ci sera efficace. Et normalement, je devrais pouvoir t’en fabriquer d’autres. Ca devrait aider à te remettre sur pieds. » Du moins, il l’espérait. Avec ou sans mémoire, il était hors de question qu’il continue de le laisser souffrir ainsi. Si c’était tout ce qu’il pouvait faire, eh bien, au moins le ferait-il et ce, du mieux qu’il le pouvait, évidemment.

Il se répète en boucle et mentalement leur deux noms, bon d'accord un peu plus le sien mais après tout quoi de plus normal alors qu'il y a encore deux minutes il ignorait comment il se nomme. Ce qui est sûr c'est que comme le jeune homme à ses côtés, ce prénom, Geralt, sonne familier et si cela n'éveille rien de plus en lui, cela lui offre une certaine tranquillité d'esprit. Un certain apaisement. Apaisement qui est sans aucun doute possible renforcé par le calme que l'autre lui offre, oh mais il n'est pas aveugle pas plus qu'il n'est idiot : il voit bien que ce calme n'est qu'apparent que Jaskier prend sur lui pour rester tranquille, pour ne pas bouger dans tous les sens et certainement pour éviter de repartir à parler de tout et rien à toute vitesse. Geralt ne pouvant, d'ailleurs, que l'en remercier intérieurement.

Ce qui ne l'empêche pas d'avoir de nouvelles questions qui lui viennent alors autant rester sur ce que Jaskier a déjà pu lui dire, autant commencer par aller plus loin dans cette histoire de relations. Ah. Visiblement il était un coureur de jupons, un peu gêné par ça, sans savoir pourquoi il s'en passe une main dans la nuque tout en écoutant le reste de la réponse fournie. Et s'il aurait une nouvelle question à lui poser quant à cette histoire de magie au lieu de sentiments, il la garde pour lui-même et cela parce qu'encore une fois il n'a pas loupé les réactions que l'autre homme a pu avoir. Comme si cela lui faisait mal au coeur de devoir en parler, comme si cela l'énervait au moins un peu. Cela couplé au rougissement d'un peu plus tôt, il en vient à la réelle conclusion que Jaskier aurait aimé avoir cette place là. Pour autant il a malgré tout une réaction à la question directe qui lui est posé, il secoue la tête de manière négative, un "Non" sur les lèvres. Non cela ne lui évoque rien, ne lui dit rien du tout même s'il a l'impression d'avoir une odeur dans le nez, celle de lilas et de groseille à maquereau mais cela ne peut qu'être un tour de son esprit. Ce qui est sûr et certain par contre c'est que sa réponse négative semble soulager le jeune homme et pas qu'un peu d'ailleurs.

Et puis, il a bien mieux à faire que d'avoir des réactions sur ce sujet là alors qu'il y a toujours les autres questions qu'il a pu poser et pour lesquels il peut le voir prendre un petit temps avant de lui répondre. Une réponse qu'il écoute attentivement. Éliminer des monstres, cela explique la vague image qu'il a pu avoir tout à l'heure lorsque Jaskier a prononcé ce mot de "Sorceleur". "Quel genre de capacités spéciales ?" Parce que forcément cela ne pouvait qu'éveiller cette curiosité là en lui. Plusieurs jours pour tout lui conter, il veut bien le croire s'ils ont vraiment passés dix ans ensemble, cela ne pouvait pas se faire en quelques minutes et peut-être que là dessus l'homme aux cheveux blancs est un peu déçu, peut-être qu'en écoutant une histoire ou deux cela aurait pu réveiller sa mémoire. Des montres, de la protection mais aussi de la destruction de royaumes, là il ne peut que froncer les sourcils, serait-il un monstre lui aussi ? La question qu'il n'ose pas poser ou peut-être n'en a t-il simplement pas le temps alors que le jeune homme poursuit et qu'il se laisse finalement prendre par ce rire entendu, par cet air joyeux que l'autre peut avoir. "Modestie, hein ?" Et il en a lui-même un sourire en disant cela et ce parce que cette idée sonne faux dans son esprit, il est persuadé que cette vertu n'est pas du genre à étouffer Jaskier mais peut-être se trompe t-il.

Pour autant à cette réaction ci, il n'attend pas spécialement de réponse de la part du jeune homme, pas alors qu'il reste encore une de ses questions en suspens. Une question dont la réponse ne tarde pas à arriver et qui le laisse perplexe, comment est-ce possible de changer de monde ? Qu'a t-il pu se passer pour que les choses en arrivent là ? Est-ce normal ce genre de choses de là où ils viennent ? Autant de questions qu'il a envie de lui poser mais pourtant il reste silencieux, il essaye de chercher dans sa mémoire manquante, à un tel point qu'avec les efforts qu'il fourni depuis tout à l'heure ses migraines se réveillent. Lui faisant porter une main à sa tempe et le faisant presque sursauter lorsque Jaskier se lève comme ça en ayant cette remarque là à la bouche. Il en a un vague grognement passant ses lèvres, pour lui dire que oui c'est bien ça sans pour autant savoir ce qui peut le prendre. Une réponse qui arrive en moins de temps qu'il ne faut pour le dire alors que le jeune homme est déjà de retour à ses côtés. Son regard doré passant de la fiole qu'il a maintenant en main à Jaskier, de l'un à l'autre plusieurs fois.

- Leur médication ne marche quasiment pas sur moi et ils ne veulent pas m'en donner plus, ils ont peur que j'en devienne dépendant. Ils disent que ma biologie les dépasse, que les résultats des analyses n'ont aucun sens pour eux. Tu sais pourquoi ?

Geralt ouvrant la fiole pour la sentir, l'odeur emplissant la pièce et son odorat, une odeur qui n'est pas forcément agréable mais qui ne le dérange pas du tout, bien au contraire même alors qu'il a cette impression de familiarité qui revient sur le devant de la scène.

- Tu es sûr que tu pourras en refaire ?

Il en a l'intuition que oui c'est possible, tout comme il a celle de la dose qu'il doit prendre et avec son début de migraine autant se lancer tout de suite, levant alors la fiole à sa bouche pour en boire la moitié. Une légère grimace sur ses traits et ce parce que le goût est affreux mais là encore le goût semble familier, lui envoyant une nouvelle image, une où il est entrain de trier parmi de nombreuses fioles celles qu'il doit ou non avaler. Son regard se portant alors sur l'armoire où est rangé le reste avant d'en revenir au jeune homme et contre toute attente, d'un mouvement relativement rapide, Geralt lui attrape la main, la serrant doucement.

- Merci pour tout. Tu me redonnes espoir pour l'avenir. J'espère que cela ne te dérange pas qu'on attende quelques instants avant de poursuivre.

Jaskier le connaissant bien pourra y reconnaître les signes que la potion vient de commencer à faire effet, qu'elle va le laisser légèrement vaseux pendant deux ou trois minutes.

Bingo ! S’il reste calme, Jaskier, si ne se manifeste de cette victoire soudaine dans ses réactions que l’ombre d’un sourire triomphant, il n’en est pas moins absolument ravi. Au milieu de toutes ses inquiétudes pour son ami et pour l’avenir, leurs avenirs à tous deux, l’entendre de sa bouche que le nom même de Yennefer ne lui évoque rien et des plus savoureux. Il a presque l’impression d’entendre dans son esprit résonner un rire, l’un de ces rires puissants que l’on associe en général aux êtres machiavéliques, son propre rire, en réalité, et pour cela, il n’en conçoit aucune honte. Il a bien conscience, pourtant, que si les souvenirs de Geralt finissent par lui revenir, ce qu’il espère, évidemment, de tout son être, l’existence de Yennefer finira par reprendre toute sa place dans l’esprit et le cœur du Sorceleur. Mais, pour le moment, elle n’y est pas, et Jaskier compte bien profiter de cette opportunité pour tenter de lui ouvrir les yeux. Il ne sait pas encore comment, mais il se sait lui-même rarement à court d’idées et ne tardera pas à trouver quelques solutions sans se faire, comme trop souvent dès qu’il s’agit de la Sorcière, envoyé sur les roses. Il prendrait grand soin d’y veiller.

Quoi qu’il en soit, Geralt ne pose pas plus de questions sur Yennefer et sans vraiment remarquer que ce sont ses propres réactions qui ont pu le pousser au silence sur le sujet, Jaskier ne peut s’empêcher de s’en réjouir un peu plus encore. Au contraire, il préfère visiblement s’intéresser à lui-même, un sujet sur lequel le barde peut se montrer intarissable. Il hoche donc la tête, rassemblant toutes ses pensées pour lui fournir une réponse la plus complète possible : « Tu es plus rapide, plus résistant, plus fort qu’un humain normal et tu as un instinct particulièrement développé qui nous a sorti plus d’une fois de mauvais pas. » Jaskier se garde bien de préciser que, la moitié du temps au moins, c’est lui qui avait pu les mettre dans ce type de situation ; Geralt avait bien, après tout, tout le temps de l’apprendre désormais. « Tu sais lancer des sorts, aussi, mais à ce sujet-là, ne m’en demande pas plus, je suis absolument incapable de t’apprendre quoi que ce soit sur comment ça fonctionne ! » Levant les mains en signe de désengagement, le barde admet volontiers n’avoir aucune connaissance à ce sujet et ce n’est pas comme si Geralt lui en avait appris beaucoup plus là-dessus. Ils ne pouvaient plus qu’espérer tous deux que le guerrier ait conservé dans ses affaires un carnet, une sorte de journal intime ou de mode d’emploi qui ait pu, tout ce temps, échapper à Jaskier – à vrai dire, il n’y croyait pas trop, mais sait-on jamais. « En tout cas, tu es un puissant guerrier, probablement le plus fort que je n’ai jamais vu. Ce n’est pas pour rien que je t’ai choisi comme sujet principal de mes chants. » Un sourire, un léger clin d’œil, tout pour rester sur une note positive et ne pas trop le décevoir.

Restant sur cette légèreté apparente, il a tout juste une grimace fortement exagérée à la petite pique de Geralt, retrouvant avec une pointe de chaleur le plaisir de ces instants. Oh, il n’est pas dit qu’en temps normal, il ne se serait pas vexé comme un pou ou qu’il en aurait au moins donné l’impression ! Mais pour le moment, il était juste trop heureux que ça puisse avoir lieu de nouveau pour seulement y songer. La grimace se fait par contre plus grave quand Geralt lui explique un peu plus en détail ses problèmes de douleurs ; quel idiot il a été de ne pas y penser plus tôt. Geralt, en effet, est bien plus résistant que la moyenne et puisque ce monde n’a fort heureusement pas altéré ses capacités de Sorceleur, il est normal que cela ait des conséquences sur les médications données, toutes parées de modernité qu’elles puissent être. Secouant lentement la tête, il confirme, encore contrit de n’avoir songé à cela avant : « Ce doit être parce que justement, tu es un Sorceleur, ils n’ont jamais dû en voir, ici. Tu étais aussi humain que moi, avant, bien avant que je te rencontre, mais lors de ta transformation, certaines choses chez toi ont changé. Alors autant les muscles, les yeux hypnotisant et les cheveux stylés sont un avantage, autant ça s’accompagne forcément de quelques petits inconvénients. » Il estime ne pas avoir à lui dire, Jaskier, que parmi les inconvénients, il y avait également dans leur monde tous ces regards de travers, ces remarques acerbes sur son passage, ces jets de pierres pour le chasser. Le barde n’a jamais compris d’où venait toute cette haine à l’égard des Sorceleur, si ce n’était à la stupidité humaine la plus crasse, à la méchanceté la plus appuyée qui pouvait pousser même au meurtre – et il ne se souvenait que trop bien du sort réservé à tous ces elfes qu’il n’avait pas pu aider. Mais puisque ce rejet n’avait plus lieu d’être ici-même, puisque l’on pouvait croiser dans les rues de Nowhere des créatures bien plus étranges que Geralt et que, de ce fait, personne ne devrait le regarder de travers pour ça, Jaskier n’avait pas besoin de lui en parler. Ca n'était pas vraiment un mensonge, de toute façon, puisque cela ne changerait rien à son quotidien. Juste une omission qu’il faisait sans aucune culpabilité, si cela pouvait un peu épargner son ami.

Ou peut-être est-ce ce que Jaskier veut bien se dire pour se donner bonne conscience, ça, mais peu importe, puisqu’il chasse déjà ces pensées par une nouvelle idée, bien plus lumineuse : les potions. Avec une énergie de moins en moins bien contenue, il hoche la tête avec enthousiasme : « Bien sûr que je serai en refaire, c’est toi qui m’as appris ! Et tu es peut-être un professeur particulièrement difficile et désagréable, mais crois moi, je n’ai jamais quitté une de tes séances sans savoir ce que tu voulais m’inculquer. Il faudra juste que je trouve les bons ingrédients, mais ça ne devrait pas être trop difficile. » Cette potion-là n’était pas forcément la plus compliquée et Jaskier voulait croire qu’il pourrait trouver cela, au sein de quelque apothicaire à Juggernaut ou même dans l’inquiétante Mirage. Peu importe où, au final, tant qu’il pouvait aider Geralt. Retrouvant sa place précédente, rapprochant peut-être un peu plus encore sa chaise, il hoche simplement la tête aux minutes demandant, lui accordant sans peine : « Bien sûr. Ne t’en fais pas. Je suis là. » Il savait les premières sensations compliquées, toujours et avait appris à rester aux aguets, mais silencieux, lors de ces prises. Et s’il ne dit rien, le barde, ça ne veut pas dire pour autant qu’il ne comprend pas l’importance du moment. Ni de tout ce que peuvent sous-tendre les mots du Sorceleur. Peut-être que plus tard, quand il réalisera l’énormité de ce que cela peut vouloir dire, des responsabilités qui pèsent désormais sur lui, il en sera effrayé et vivra l’une de ses plus importantes paniques, oui. Peut-être. Mais pour le moment, il est simplement heureux d’avoir entendu cela. Pour la première, et peut-être la dernière fois, connaissant le caractère d’ours de son compagnon de route depuis si longtemps.