If you don’t fight, you can’t win [PV Shoto]

D’un pas pressé, il sortait de Juggernaut, empruntant l’imposant pont de bois qui séparait ce quartier et celui étrange, fourmillant et claustrophobique de The Heart. Les larges rues laissant passer les engins motorisés et les grands bâtiments fait de pierre uniforme lui faisait penser au paysage urbain de Mahr. Un endroit où la violence du monde se drapait dans des costumes trois pièces et sous des couvres chefs apprêtés, mais où elle raisonnait dans chaque pavé. Un endroit qui n’était plus. Cependant, malgré tout le malaise que lui inspirait ce lieu, il avait besoin de cette piqûre de rappel. Loin de Sieg, de son raisonnement vicié, de son affection fraternelle détraquée. Sorti en trombe de leur appartement anxiogène, il retrouvait la cruelle vision du monde qu’il avait fait disparaître, s’en rappelant les raisons.

Il prit une grande inspiration en arrivant dans la banlieue de la ville. Vivre avec son demi-frère le rendait dingue ; la superposition de ses deux vies, il ne savait pas quoi en faire. Et Sieg agissait avec une banalité domestique révoltante. Comme si ils méritaient ça. Comme si ils étaient des simples résidents.

Le jeune adulte se mit à errer avec imperméabilité face au monde, se déplaçant dans les rues tel un fantôme. Ils étaient Prisonniers de cette ville, cette ville qui était à l’image des murs ; une cage où ils s’entassaient comme du bétail, dépendant du bon vouloir de ceux qui avaient montés les barreaux. Mais Eren laissait la fatalité emporter toute colère qu’il pourrait ressentir. Il y avait en Eren une source de colère intarissable, à l’image d’un incendie éternel, ce sentiment ne se dissipait jamais. Sa naissance avait était le début de son insurrection et même sa mort n’avait pas su l’arrêter, il existait ainsi. Mais elle pouvait être contenue par le constat de la vanité de leurs existences. Et dans ses moment là, l’Eldien ressemblait presque à son frère.


Eren était décidé à arpenter les lieux comme un spectateur sans matérialité, il se déplaçait dans les coins de la ville les plus éloignés de son centre, passant non loin de la crevasse de l’Interstice. C’est pourquoi, quand il croisa ce qui semblait être une altercation entre plusieurs personnes, il se résolu à détourner le visage, à laisser le feu crépiter doucement en lui sans le laisser s’échapper. Sauf que son regard pouvait se détourner mais pas son ouïe. « Allez, lèche mes pompes, rebut. On sait à quel point t’es un bon suceur. » Jäger leur lança un regard qui se voulait désintéressé. Il capta la silhouette d’un adolescent à quatre pattes devant la meute et d’un autre, les bras encerclés par ces animaux pour ne pas qu’il puisse intervenir et aider son compagnon.

Des chiens enragés. Parfois il arrivait qu’ils ressemblent à des hommes.

C’était tout ce qu’ils étaient. Des pathétiques, pitoyables chiens galeux et enragés.

Eren n’aurait pas dû intervenir, car il n’était même pas là. Pas avec eux, pas après tout ça. Pas après avoir tout vu, tout su, tout fait. Mais il ne put arrêter l’incendie de se propager dans ses veines. Et le voilà au cœur du foyer brûlant.

Eren senti sa joue cogner contre le crépit défraîchit du bâtiment usée et sa tête ricocha contre la surface avec un bruit sourd. Entre ses cheveux filasses qui formaient des rideaux ténébreux il regardait ses ennemis d’un œil indolent alors que son corps recula de quelques pas pour qu’il reste debout.
Alors ils étaient énervés, ils voulaient maintenant repartir avec leur fierté, celle qui dépendait du fait que ce type aux cheveux longs et au traits androgynes reconnaisse leur supériorité. Le deuxième coup vint alors qu’il était encerclé par leurs corps fébriles. Hanche. Sûrement dans le but de le faire tomber. Le jeune adulte recula encore une fois après le coup sans dé-pâtir de sa position.

Les muscles gaînés, le garçon indomptable se jeta sur un de ses agresseurs, arrachant presque son oreille d’un coup de dent. La bouche et le nez sanglants du jeune adulte dégoulinaient sur la tronche dépassé de son ennemi alors que les autres lui donnaient des coups de pieds pour le faire lâcher.

De son regard verdoyant Eren saisit l’éclat d’une lame qui arrivait sur lui. Les lâches...

Alors qu’Eren se préparait déjà à la douleur brûlante de la lame s’enfonçant dans sa chair, réfléchissant à récupérer le manche une fois que le couteau serrait planté pour le retourner contre ses adversaires, il fut balayé par une onde de choc glaciale. Devant ses yeux volaient des éclats brillant dans lesquels la lumière se réfractait, créant des dizaines d’étincelles à la beauté froide. Ses mains sur le bitume maintenant froid, il observait un jeune adulte à la chevelure blanche et rougeoyante maîtriser ces animaux d’un seul mouvement de main, les enfermant dans une prison de glace aux angles resplendissant sous l’effet du soleil. Il semblait manier les élément de sa simple volonté.

Le spectacle qui se reflétait dans les yeux vibrants du brun était beau et mystérieux. Mais comme tout ce qui était beau, la part d’horreur dessous restait inconnu... A l’image de la mer, qui derrière ses étendues insondables cachaient un monde plus cruel et hostile encore que celui qu’ils avaient connu. Il répondit à la main pâle tendu vers lui d’un air désillusionné, ses pupilles  troubles se voilant derrière l’ombre qui recouvrait continuellement son regard.

Le sourire que lui renvoya ce garçon était sincère. Il n’avait rien des visages dévoilant sans fard de grandes rangées de dents pour mentir, pour simuler l’affection ou la gentillesse. Rien non plus des sourires traumatisés, qui étiraient les visages dans une dernière tentative de garder le cap, de ne pas sombrer totalement. En répondant, Eren aurait presque peur de le voir se briser. Alors il prit appuie sur le sol plein de gravillon et d’une impulsion, il releva son corps dégingandé qui vacilla quelque seconde, laissant la paume ouverte vers lui sans réponse. Il pouvait mieux le détailler à sa hauteur. Il y avait évidemment ses cheveux qui attiraient le regard, sûrement une coloration, très populaire en ville puisqu’elle permettait de totalement transformé les teintes capillaires en nuance extravagante grâce à des produits chimiques. Mais il y avait surtout cette cicatrice qui dévorait une partie de son visage, passant sur la peau de son œil droit. Tiens… Son regard n’était ordinaire non plus. Eren savait que ça existait, mais il ne l’avait jamais vu ; deux couleurs dans un seul regard…

Perdu dans ses pensées et peut-être également encore un peu éprouvé par la série d’évènement de la journée – Sieg, ces animaux, l’arrivée de cet homme, il fut pris au dépourvu par la question du garçon. Ses parents ? Pourquoi cette question ? Qui était ce jeune homme, il le connaissait ? Sa mère était morte et son père… Il ouvrit la bouche pour répondre d’un ton détaché « Pourquoi mes paren- ... » Et il compris. Que la question ne lui était pas destinée. Oh… C’était logique. Il se retourna vers le plus jeune et senti un sentiment un peu honteux passer fugacement dans ses tripes avant de disparaître aussi vite il était venu. Ca faisait longtemps qu’il n’avait pas été gêné. Encore plus que ses joues ne s’étaient pas parées d’autres couleurs que celle livide de sa peau. Il balaya ce petit malentendu et profita de la question pour changer de sujet. Il aurait préféré laisser le petit entre les mains efficaces de cet inconnu, mais la précipitation le fit oublier son envie. « Dépêchons nous avant la nuit. »

Il maudissait être sorti de Juggernaut, s’être aventuré ici, avoir réagit face à ce spectacle, ne pas s’être éclipsé dès l’arrivé de ce type. Il jeta un dernier regard courroucés aux agresseurs avant de se mettre en route en se penchant pour ramasser un sac. Ceux là... ils avaient de la chance d’être en vie… Et ils utiliseraient sûrement cette vie pour continuer d’être des tortionnaires.

Shoto Todoroki… Eren lui envoya un regard torve. Il n’avait pas envie de créer de lien.

« Il ne s’est rien passé. Ce sont des animaux. Et la seule façon qu’ils auraient d’aider le monde c’est en mourant de froid cette nuit. »

C’est avec cette attitude que tu n’as qu’un seul ami Eren

Faux. Aujourd’hui il n’en avait plus aucun. Car ils étaient tous… absents.
« Je m’appelle Eren. Jäger. J’étais juste de passage. » Et il aurait du en profiter pour partir maintenant. Pour l’informer qu’il rentrait chez lui, lui dire qu’il pouvait raccompagner le gamin tout seul. Sauf que le plus jeune était collé à Eren, alors même que le nouveau venu était bien plus rassurant que lui. tssss

Finalement le brun tendit à Shoto un sac arc en ciel, avec de nombreux bout de métal collés dessus représentant des personnages, des noms qu’il ne connaissait pas, des drapeaux aux couleurs pastels. « Ils sont devenus fous en voyant qu'il portait ça. » Il ne savait pas ce que ça représentait, mais il s’en doutait aux vus de leurs attitudes de prédateur. Il caressa du bout des doigts le tissus et releva le visage. Il ne devrait pas être curieux. Pas engager la conversation. « Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Eren avait face à lui un idéaliste, portant de belles idées qui semblaient attrayantes pour ceux qui ne connaîtraient pas la nature de ce genre de personnages. Changer c’était une question de volonté, Jäger l’avait eu et pourtant, il était toujours le même enfant ne ressentant aucun remord face aux  corps des hommes qui avaient essayés d’enlever Mikasa, n’en ressentant pas plus pour ceux-là. Car il savait, il savait au fond de lui que leurs actions n’étaient que le reflet de ce que leur lâcheté leur permettait de faire sans risquer de répercutions. Il ne doutait pas une seconde que si on leur en laissait l’occasion, les chiens galeux deviendraient bien plus hargneux et arrogant, transformant des bêtes sans âmes en monstres affamés de domination.  

Eren aurait voulu donner une deuxième chance. A Annie. Même à Berthold et Reiner. Sauf que derrière le pardon et l’espoir, il y avait la mort. C’était beau de penser qu’en lâchant les armes face à l’agresseur, celui ci n’en profiterait pas pour en finir, mais c’était faux. Un dernier regard derrière lui et une dernière phrase anonnée pour lui même.

Une seconde chance. « Eux n’en aurait donné aucune. »

Le garçon à la chevelure bigarrée était calme, une tempérance qui rappelait à l’eldien la sérénité d’Armin, mais il avait aussi cette distance émotionnelle dans ses paroles et ses actions que Mikasa avait envers le monde. Et enfin, il avait des idéaux et un air mélancolique qui lui était unique. Sa retenue transparaissait dans ses paroles alors qu’il expliquait les absurdes raisons derrière la haine que vouait une partie du monde à un enfant. Loin d’être communicative, Eren sentait ce flot incessant de fureur l’envahir de nouveau en serrant le tissus revenu entre ses mains tremblantes, le regard fébrile planté sur les reflets métalliques des décorations.

Tout ça pour de l’amour, tout ça pour vouloir vivre, tout ça pour vouloir être libre ; le châtiment était toujours si lourd. Le monde était un endroit absolument abominable… Ses dents grinçaient entre elles tant sa mâchoire était contractée. Le monde était un endroit infâme. Ils y étaient nés et pourtant, et pourtant… Que fallait-il pour être libre ? Jusqu’où devrait-il aller pour être libre ?! Comment supporter de nouveau ce chemin, comment-

Ses pensées se rompirent, comme une corde trop tendu au dessus du vide alors que le hoquet du plus jeune qui les suivait lui parvint au oreille. Il constata le sac malmené dans ses mains, les plaques de métal s’enfonçant dans ses paumes alors qu’il roulait en boule le textile dans sa poigne. Il releva les yeux et le gamin s’était éloigné pour aller se camper derrière Shoto, le regard assombrie et méfiant, comme si Eren allait prendre la place des bourreaux.
Ses doigts pâles se défirent de leur emprise et il lissa tant bien que mal l’objet multicolore froissé.

«Je vois » finit il par lâcher en balayant d’un coup de cil la fureur liquide qui perlait aux coins de ses yeux. Eren aurait voulu demander à ce jeune homme qui semblait informé si lui aussi, il dormirait mieux en sachant ces personnes mortes ? Si il avait déjà rêvé d’un monde où ceux qui mettaient leur chaîne autour des pestiférés disparaissaient et laissaient place à de grandes étendus de terre à explorer ? Mais il ne pouvait pas le faire devant le gamin.

Alors il se tut le reste du chemin. Il rendit son sac au petit qui semblait toujours prudent à son égard et le regarda partir, ouvrir la porte de chez lui. Ca… C’était un geste qui n’avait plus aucun sens pour lui, depuis tellement longtemps. Eren restait debout dans la fraîcheur du soir, observant les ombres se dessiner à la fenêtre avant de constater que Shoto était toujours présent. Et Eren se trouvait maintenant avec cette indécision. Plutôt mourir que retourner auprès de Sieg qui ne finirait que par le pousser toujours plus vers cette apathie généralisée, surtout en évoquant les évènements de la soirée. Et en même temps, la solitude. Elle était… dangereuse.

« J’avais un ami, il était très intelligent. Déjà enfant, c’était un génie et il était plus courageux que beaucoup de ses opposants ; il défendait des convictions et même si il ne pouvait pas le faire frontalement, il trouvait un moyens de rester en accord avec ses valeurs. La violence n’en faisait pas parti. Et ça… ça donnait le droit à tous les autres gosses de le maltraiter. Et rien, rien ne les arrêtaient si ce n’est la peur. La seule chose qui les faisaient s’arrêter c’était...  » Mikasa « … la contre-attaque. Mais c’étaient des enfants. Ils auraient pu changer.  » Il se tourna vers Todoroki, plantant son regard d’un verre vibrant dans ses yeux aux couleurs enchantés. « Sauf que… Les adultes étaient pires. Dès qu’ils avaient un peu de pouvoir ils frappaient, faisaient chanter pour la nourriture, ils se foutaient de notre gueule…  Enfin… pas tous.  » Il y avait tellement de gens qu’il avait aimé entre ses murs finalement. Tellement de gens qui valaient la peine de se battre.

Il balaya une mèche derrière son oreille avant de rester planter comme un piquet. « Désolé pour ma réaction. J’étais… en colère. Je ne veux pas leurs morts. Tout ce que je veux dire, c’est que mon ami a survécu. Il a survécut en encaissant. Il est la personne la plus admirable que je connaisse. Mais personne ne lui a donné raison et il aurait pu ne pas y survivre. Les forts détruisent les faibles. Et si on ne se bat pas, alors on ne peut pas gagner, tu ne crois pas ? Je refuse ce monde où les personnes différentes ne peuvent pas vivre, courir, voyager, aimer, respirer. Tu devrais le refuser aussi, tu fais partis de ce monde. »

Eren regarda le jeune aux cheveux contrastés tendre un papier à l’enfant avec son « numéro », sûrement celui d’un appareil téléphonique, si il avait besoin d’aide. Ça semblait sincère et ça rappela à l’eldien les engagements d’Historia après son couronnement, son envie de donner plus à des gamins qui n’avaient même pas pu bénéficier de la vision du ciel au-dessus de leur tête. Réconfort, soutien, précaution, c’était une façon de protéger les innocents qu’Eren n’avait jamais su maîtriser. Il n’avait jamais eu la vocation de s’arrêter pour donner une accolade ou un mot rassurant, avançant inexorablement sans avoir l’occasion d’offrir plus que son implacable besoin d’aller de l’avant.
Ses pensées furent interrompues par les paumes tendues vers lui, pâles et fines mais aussi aguerris. Le vert se teinta de confusion alors qu’il relevait le menton vers le visage réservé du garçon en face de lui. Il était d’un blanc de porcelaine et ses traits asiatiques aiguisaient son regard aux deux teintes inassimilables. C’était un beau discours, Eren voulait l’entendre mais il avait encore du mal à de nouveau y goûter. Aux sacrifices des héros contre les ennemis qui protégeraient les innocents. C’était tellement plus compliqués. Malgré son mépris pour les guerriers de Mahr, il avait lui même pris cette voie et il sentait encore sous ses pieds, sous ses mains, la sensation des os se broyant, celle des milliers d’âmes eldiennes se répercutant à tout instant à tout moment dans son esprit omniscient. Tout ça pour protéger quoi ? Sa démonstration de ses pouvoirs l’impressionna tout de même. Feu et glace au même endroit, formant un seul et même ensemble alors même que leurs natures étaient contraires. Lui venaient d’un monde où seul quelques personnes héritaient de capacité extraordinaire, et peut-être était-ce là le plus triste. Car dans un monde où chacun était capable d’utiliser la force qui avait été la sienne, peut-être que tout aurait été différent.
Mais malgré tout, même si on doit se battre, il faut arriver aussi à y vivre, dans ce monde. Parce qu’il peut être beau si on ne le laisse pas tout pourrir.


Ses yeux balayés par un rideau de mèche sombre retrouvèrent quelques couleurs, curieuses et attentives aux paroles du garçon en face de lui. Le monde. Fascination, passion, il voulait tellement voir le monde extérieur, partageant son rêve avec Armin, y recherchant une étincelle de liberté et son ami y cherchant la compréhension de ce qui les entourait. Ils auraient pu tous les trois le parcourir, il aurait voulu le voir avec eux. Si ils y avaient été le bienvenue. Si ils avaient pu s’envoler, avec la certitude de retrouver leur foyer à la fin du périple. Mais le monde… était beau. Cruel, mais beau. Eren l’aimait, dans son esprit ; vide et entourant son paradis sans cage, mais il l’aimait. Il aurait voulu y vivre, tout simplement. Et c’est bien parce qu’aucun eldien comme lui ne pouvait espérer y vivre libre et entier qu’il l’avait détruit.
Arriver à y vivre et ne pas le laisser pourrir. Ce n’était pas ce que savait faire Eren et il n’avait pas pu risquer leurs vie en acceptant de les laisser trouver une solution diplomatique en face de l’implacable et meurtrière violence d’un monde qui les haïssait. Seulement, aujourd’hui… Il n’avait plus personne à protéger. Et il n’en avait plus la force, quand bien même il aurait fallut s’y relancer. Les doutes qu’il avait réprimé jusqu’à arriver au point culminant lui retombaient dessus comme une grêle épaisse et sans coupure. Toutes les discussions avec tous ses amis avant sa mort également. Leurs regrets, leurs regards désolés, leurs colères et peines.


Shoto lui semblait avoir l’esprit acéré comme un membre du bataillon, loin de l’incompréhension que leur renvoyait les nouvelles recrues qui n’avaient pas connu la cruauté du champ de bataille. Mais également leurs idéaux. Les doigts anguleux d’Eren attrapèrent la bouteille en plastique avec une certaine douceur teintée d’hésitation. C’était gentil. C’était désintéressé. La dernière fois qu’on lui avait offert à boire, il avait été l’investigateur de la mort de ses hôtes peu de temps après. Ca le touchait autant que ça le mortifiait. Il ne put s’empêcher de lui renvoyer un sourire. « Merci… »

Il ouvrit la bouteille et but à son tour, profitant du goût clair de l’eau. « Tu es très perspicace... » Ce garçon semblait avoir des expériences mais également une vision du monde sans fard, juste avec la lueur de fascination nécessaire pour que les âmes se battent pour en profiter. « As tu une solution pour avancer malgré tout ? J’ai l’impression que les arcs en ciel remplacent les brassards et que chaque monde à sa propre conception du mal à éradiquer. Je ne sais pas si je suis prêt à avancer ici… J’ai fais des choses et j’ai mené une guerre aux lourdes pertes. Depuis bien avant ma naissance. Enfin… Peu importe… Tu as ce regard aussi. Celui qu’on nous attribuait, celui des soldats. Merci de ton aide, Shoto. »

Eren tourna son regard éclairé par les lumières artificielles des rues vers le jeune homme, surpris de sa confession. Évidemment, il savait qu’il n’était pas le seul déboussolé par son arrivée ici, mais l’entendre de la part de ce garçon si posé qui n’avait pas hésité une seule seconde à lui porter secours raisonnait en lui. Alors, le doute était en lui également. Et alors l’eldien commença à l’analyser du regard, à chercher cette confusion sous son visage de porcelaine brisée à l’expression douce.
Une raison ? Le brun avait arrêté de croire au destin à partir du moment où il avait eu accès au futur. Non, peut-être même un peu avant, quand il avait compris qu’il n’était pas plus spécial que quelqu’un d’autre. Et aujourd’hui il savait que tout ce qu’il avait accompli n’était pas le fruit de la destinée, ni d’un grand chemin tracé, ni de qualités personnelles, ça avait eu lieu car il avait fait en sorte que ça ait lieu. Même en étant la somme de tout ce qu’il s’était passé dans sa vie, il était à l’origine de l’équation. Mais malgré tout, ces mots étaient réconfortants, il aurait pu juste les accepter sans les remettre en question car c’était agréable de penser que quelque chose de plus grand guidait leur pas et que même le bonheur non mérité était en fait réfléchi et juste. Ce n’était pas le cas. Mais c’était agréable. Eren le fixa, le visage détendu, les lèvres closes.
Peut-être qu’il y avait une voie pacifique. Eren aurait voulu la connaître. Il ne savait pas faire beaucoup plus que détruire ce qui l’entravait. Sans résultat. Cependant, le cadet Jäger était d’accord sur une chose ; en l’état il ne pouvait pas changer le monde. Et surtout, il n’avait aucune envie d’y toucher.
Le regard de son père ? Eren haussa les sourcils. C’était rare que quelqu’un se confie à lui. Non… Pas forcément. C’était rare qu’il soit suffisamment proche de quelqu’un pour l’écouter sans l’interrompre. C’était arrivé avec Berthold et Reiner, mais il avait amèrement regretté d’avoir prêté une oreille attentive et admirative à ces traitres. Mais il n’avait aucune raison de craindre Shoto. Ce garçon semblait honnête. Et honnêtement, Eren n’avait rien à perdre. Il sentait que sans ça, il vacillerait.
Il avait réellement envie de l’entendre, de savoir qui il était, de juste goûter en pensée à une autre vie ; compatir, apprécier, envier ou au contraire plaindre. Juste être humain à nouveau avec quelqu’un. Alors il hésita et prit la parole.
«… Ton père à un regard différent du tiens ? » Tenta t’il sans réellement savoir comment aborder le sujet. Armin était plus doué que lui à ce titre. « Je ne veux pas être indiscret. Mais j’ai aussi mon propre bagage familial. » Oh oui. Un gros bagage.