Espèce protégée en danger - Donnie

Mickey n’est pas vraiment connu pour être une tortue tranquille. Hormis lorsqu’il disputait face à ses frères une partie endiablée de l’un de leurs jeux vidéo préférés, il ne savait pas rester en place. Enfin, même comme ça, il avait du mal à rester juste sagement assit et il passait en général plus de temps à changer de position sur le canapé, assit droit, en tailleur, affalé, allongé, perché sur le dossier ou encore la tête à l’envers, qu’à simplement faire ce pour quoi il était là, à savoir : jouer. Et si l’on aurait pu penser que l’arrivée dans une nouvelle ville, si loin de leur monde d’origine, aurait pu calmer quelques peu son agitation constante, il n’en était rien, bien au contraire. Car avec cette apparence humaine dont il ne comprenait pas encore vraiment les causes – même si Donnie avait tenté de les lui expliquer, en tout cas, Mickey pensait vaguement se souvenir que ça avait plus ou moins était le cas – c’était tout un océan de nouvelles explorations qui s’offraient à Mickey. Parce que oui, il était absolument hors de question qu’il laisse passer toutes les possibilités qui s’ouvraient devant lui !

Comme toujours, Mickey était donc intenable. Il voulait tout voir, tout tenter, tout tester, curieux de tout et ne s’arrêtant jamais longtemps sur rien. Mais il y avait tant de chose à faire ! Comme aller au lycée – très peu pour lui, merci, deux jours, ça lui avait largement suffit – marcher les pieds nus dans le sable de la plage, parcourir les rues de jour sans se faire dévisager pour autre chose que ses exclamations de joie ou ses courses effrénées. Et puis il y avait les livraisons de journaux qui apportait un peu d’argent, dont il donnait la majorité pour qu’ils puissent vivre lui et ses frères et dont il gardait le reste comme argent de poche. C’était cool, de livrer les journaux, ça lui permettait de parcourir la ville de long en large, d’en arpenter la moindre rue – d’en profiter, aussi, pour tenter de retrouver la moindre petite trace de la présence de Léo, même si ça, pour le moment, c’était restait vain… En plus, Mickey était tellement rapide que jusqu’à maintenant, il était toujours premier du classement hebdomadaire des livreurs matinaux. Il avait hâte d’être un peu plus vieux pour pouvoir obtenir d’autres jobs intéressant, qui lui permettraient de varier encore plus ses activités, d’explorer d’autres aspects de la ville, de bouger, de voir le monde, même si le monde se réduisait à une ville qui les retenait tous prisonniers.

Alors oui, Mickey bougeait, tout le temps, partout. Il était même rare qu’il reste bien longtemps en place chez eux, même s’il ne pouvait se passer de passer du temps avec ses frères, d’embêter Raph jusqu’à ce que ce dernier l’envoie chier, de souler Donnie de parole pour ne pas l’écouter quand ce dernier finissait par lui expliquer dans un long monologue pourquoi oui, il lui faisait définitivement perdre son temps, de s’entrainer avec eux en espérant à chaque seconde que le dernier membre de leur quatuor allait finir par simplement pousser la porte, sans même forcément s’excuser de sa longue absence, mais qu’il allait simplement enfin être là. Donc oui, en général, quand Mickey était là, on le savait. Il était bruyant, remuant et quand il ne l’était pas, c’est que cela cachait clairement quelque chose.

Pourtant, aujourd’hui, leur chez-eux est particulièrement silencieux, tellement que l’on pourrait croire vide de la présence du plus jeune des Hamato. Mais si Donnie prend le temps de vérifier où se trouve son petit frère grâce au traceur GPS qui est capable de les localiser à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, il saurait que tel est bel et bien le cas. Que Mickey est bien dans sa chambre, qu’il ne l’a pas quitté depuis de nombreuses heures maintenant. Et que celle-ci est étrangement plongée dans le noir. De là à savoir ce que prépare Michelangelo…

Donnie savait quand ses frères étaient dans le repère. Oh, il ne les traquait pas à la minute, il ne
vérifiait pas tout le temps leur position exacte. Déjà, parce que s’ils l’apprenaient, Raph allait
vraiment avoir sa peau plus si écailleuse, cette fois, ensuite parce que ça lui aurait prit trop de temps.
Temps si précieux, qu’il devait passer à bien d’autres choses, comme fignoler les potentielles
défenses de ce repère, traquer Leo, qui manquait toujours à l’appel, imaginer toutes les tortures qu’il
allait faire subir à son jumeau quand enfin ils allaient remettre la main dessus pour les avoir inquiété
autant -Ils crevaient d’inquiétude, Donnie n’en pouvait plus de se réveiller en sursaut, persuadé
d’avoir entendu la voix de leur frère, désorienté entre la réalité de son réveil et l’illusion d’un rêve
qui s’estompait- et de façon générale, en apprendre plus sur leur environnement.
Sans compter que régulièrement, ses frères osaient le traîner hors de son nouveau laboratoire pour
des choses aussi futiles que dormir, manger, ou, et Donnie n’admettait qu’avec beaucoup de
mauvaise que ça lui faisait du bien, souffler un peu.

Donc, non, Donnie ne surveillait pas ses frères à chaque minute. Mais, parfois, souvent, il vérifiait où
ils étaient. Un simple coup d’œil pour voir si leur traceur n’avait pas disparu, et un autre frère avec.
Donnie vérifiait, très, très régulièrement.

Et ce jour-là, et bien, il savait que Mikey était rentré plus tôt dans l’après-midi. Et en regardant
l’heure, Donatello note à quel point c’était PLUS TOT. On parle d’heures entières, là. Un soupçon de
méfiance sort le génie des Hamato des théories quantiques sur lesquelles il travaillait, et il tend une
oreille vers le silence des lieux. Raph est sortit, il a prévenu qu’il allait essayer de trouver la meilleure
pizzeria de la ville, vexé que pour le moment ce soit Mikey qui ai découvert le pizzaiolo préféré de ses
frères. Mais Mikey devrait être là, il EST là, et il n’y a pas un bruit. Pas même une odeur de cuisine,
délicieuse ou suspecte, selon les expérimentations de son petit frère.

Donnie se redresse, sourcils froncés. Même quand Mikey se perd dans un jeu vidéo, ou un projet
artistique, il met de la musique. A fond, la plupart du temps. Il commente à voix haute. Il fait du bruit.
Un Mikey silencieux est un très mauvais signe. Alors Donatello se lève, et, inquiet du silence, décide
d’aller vérifier où traine le plus jeune de la fratrie. Il trouvera bien une excuse sur le tas à donner à
Mikey si jamais Donnie s’est flippé pour rien.

Mais plus il approche de la chambre de son frère, plus les pas de Donnie ralentisse, malgré lui. Il n’y a
pas un bruit, et quand il pousse légèrement la porte, l’intérieur est plongé dans le noir. Est-ce que
Mikey dort, à cette heure-ci ? Est-ce qu’il est malade, assez pour s’isoler et dormir plutôt que se
plaindre en semant des mouchoirs partout ?
Ooooh non, non, non, ce serait une très mauvaise nouvelle. Ils ont toujours été plus résistants aux
maladies que les humains, mais sous cette nouvelle forme, peut-être que…

- Mikey… ?

Oups, c’est chevrotant comme voix, ça, Donnie se racle la gorge et reprend, essayant de camoufler
son stress un peu mieux.

- Hem, je me suis dit que tu voudrais peut-être… Un soda ou grignoter quelque chose ? Je fais
une pause… Et si tu peux éviter de toucher à tout, je peux te montrer les avancées que…

Non, il a vraiment trop l’impression de parler tout seul, et il s’interrompt, cherchant des yeux la pièce
obscure, au fur et à mesure que son regard s’habitue à la pénombre.

- Hey, tu es là… ?

On pourrait la croire vide, cette chambre, alors que le seul bruit qui y résonne est celui des gonds de la porte grinçant à son ouverture, suivi des pas feutrés de Donatello – ça ne pouvait pas, définitivement pas être ce pas lourd, toujours énervé de Raph, quand à ceux de Léo… On pourrait la croire vide, d’autant plus quand l’appel du nouveau venu n’obtient aucune réponse. Pour autant, le silence n’est pas complet, pour qui sait tendre l’oreille. Il y a ce bruissement de tissus, qui démontre d’un léger mouvement. Il y a ce reniflement un peu plus prononcé, celui d’une respiration qui peine à s’extirper de poumons comprimés. Autant d’indices qui peuvent donner une localisation et plus encore, une position. Localisation : l’un des coins de sa chambre, juste entre le mur décoré de mille posters et le bureau couvert d’un capharnaüm indistinct et sans nom. Position : proche du sol. Trop, pour que tout aille bien. Mais rien ne pouvait bien aller quand Mikey restait aussi silencieux.

Pour autant, Donnie ne peut manquer les indices, surentraîné qu’ils le sont tous et d’autant plus que les yeux de son grand frère finiraient forcément par s’habituer à la lumière filtrant du couloir, laissant sa silhouette se découper à contre-jour derrière lui. Car Mikey est bien là, oui. Assit au sol, les jambes repliées contre son torse, les bras repliés autour de ceux-ci. Il est là, oui, le visage en partie dissimulé par l’immense capuche de son sweat-shirt trop grand. Il est là, les muscles ankylosés d’un immobilisme qu’il n’avait probablement jamais observé auparavant. Il est là, et le seul mouvement qu’il accepte de faire est celui de relever la tête, juste assez pour que son regard noir vienne se poser sur Donnie. Un regard noir qui est venu remplacer le bleu habituel de ses yeux. Car cela aussi a changé. Tout son corps a changé. Et si, après tous ces mois, Mikey a fini par s’y habituer, il y a des jours comme aujourd’hui où ces changements sont des poids toujours qui semblent presque impossible à porter.

Mais ce poids, justement, c’est bien ce qui lui manque. Et alors que Donnie approche, alors même que le silence s’est éternisé de longues, trop longues secondes, la voix peut-être un peu plus rocailleuses de Mikey finit par s’élever dans la pénombre de la pièce : « Ma carapace me manque… » La voix se brise un peu sur les bords au détour de cet aveux d’une faiblesse qu’il déteste. Oh, il n’a pas le tempérament orageux de Raph’, ni le manque d’égo mal placé de Léo. Pour autant, les mots ont du mal à sortir, l’idée plus encore. Parce qu’il aime bien ce monde, Mikey. Parce qu’il aime bien être comme tout le monde, justement. Parce qu’il aime être libre de ses mouvements, libre de sortir, libre de travailler, libre de tout. Parce qu’il aime vivre, pour la première fois, pour de bon…

Il a toujours été une tortue, Mikey. Il a toujours eu la peau recouverte d’écailles, il n’a toujours eu que quatre doigts à chaque main, il a toujours été d’un vert plus clair que ses frères. Il a toujours dû se cacher dans les égouts, parce qu’il n’a jamais pu se montrer en plein jour. Et surtout, surtout, il a toujours pu trouver refuge dans sa carapace, en toutes circonstances. Quand il faisait une mauvaise blague à ses frères et que l’un d’eux – Raph – en venait à se retourner contre lui. Quand il était à deux doigts de recevoir un mauvais coup et qu’il s’en protégeait en se repliant à l’intérieur. Quand il avait juste besoin d’un peu de tranquillité, même si cela n’était censé jamais arriver, parce qu’après tout, il avait une réputation à tenir ! Mais tout cela, c’était fini, maintenant. Tout cela, c’était du passé. Et si Mikey s’y faisait, à cette nouvelle vie, il y avait encore ces petites choses. Ce poids qui pesait trop lourd, ou plutôt, qui venait à manquer. Cette absence de carapace sur son dos, qui venait alourdir son cœur, sans qu’il n’arrive même à l’expliquer.

CRAAAAAAAC
C’est le bruit que fait le cœur soi-disant tout sec de Donatello en se brisant dans sa poitrine, quand cet aveu misérable lui parvient.

- Mikey…. ?

Il hésite en s’approchant, en tendant la main vers lui, en la posant maladroitement sur une épaule trop accessible, trop humaine. Il le voit bien, que ce n’est pas un caprice. Que ce n’est pas anodin, même s’il lute à comprendre pourquoi Mikey lui parle de ça.

- Ta… Carapace ? Tu parles d’être une tortue… ?

Il vient lentement s’assoir à ses côtés, comme s’il avait peur de l’effrayer. Comme si son petit frère était un animal fragile, blessé, terrorisé. Comment il en est arrivé là ? Pourquoi ça surgit maintenant ? Ils ont eu beaucoup de discussions sur leur nouvelle apparence, sur le fait de paraître humain, ce que ça permettait, ce qui était proprement scandaleux. Les avantages, comme avoir cinq doigts. Un bonus exceptionnel pour un artiste comme Mikey, pour un ingénieur de génie comme lui-même. Pour Raph, l’utilité lui avait paru moindre jusqu’à ce que leur grand frère leur fasse remarquer qu’il y avait une certaine nouvelle résonnance à ses baffes. Donnie n’était pas certain d’apprécier cette conclusion.
Et bien entendu que ça avait compliqué à accepter, mais Michelangelo était, comme d’habitude, celui qui avait rebondit le plus vite. Qui avait été extatique face à toutes les nouvelles possibilités que ça offrait.

- Ça me manque aussi tu sais des fois. Je suppose que notre adaptation va prendre encore un moment. Mais je croyais que tu adorais ça, être… Comme on est maintenant ? T’es celui qui s’est le mieux adapté…

Mikey a adoré les vêtements, les chaussures, même les *cheveux* alors que Donatello hésite à raser les siens un jour sur deux. Ils peuvent sortir en passant inaperçu, se mêler aux gens, et même si une part de leur identité propre a été perdue… C’est quand même très, très pratique de ne plus être mes seules créatures vertes à écailles du coin, niveau discrétion. Ou pour se faire des amis.

Et Mikey adore ça, se faire des amis. Quitte à se faire avoir par des gens qui profitent de son enthousiasme et sa gentillesse -et sa naïveté, soyons honnêtes- et qui pour la peine devraient finir en hachis au fond d’une fosse à purain. Alors, vraiment… Qu’est ce qui peut encore, autant de temps après, lui peser autant ?

Mikey a toujours été une jeune tortue très expressive, bien plus que ses frères. Car là où Raph arbore toujours une expression renfermée, voire même en colère, là où Leo tente de donner le change de ses insécurités derrière une expression sûre de lui, là où, enfin, Donnie n’a de cesse de se dissimuler derrière ses différents appareils alors qu’il se plonge dans l’une ou l’autre de ses innombrables recherches, Mikey, lui, a toujours été un livre ouvert. Il pense comme il bouge, et cela n’a jamais eu de cesse de se ressentir dans son regard pétillant, dans ses sourires éclatants, dans ces faux calmes qu’il a toujours surjoué. L’élasticité de sa toute nouvelle peau humaine, bien loin de la rigidité de ses écailles d’origine, n’ont fait qu’accentuer cette expressivité avec une exagération qui viré parfois presque à la caricature. C’est le cas, aujourd’hui encore, alors que ses traits se déforment dans une expression à mi-chemin entre la crispation et l’enthousiasme. C’est même sur cela qu’il s’anime un peu plus, semblant presque, un instant, redevenir l’adolescent débordant d’un trop plein d’énergie dont ses frères supportent les excès depuis près de quinze ans : « Bien sûr que j’adore être un humain, c’est génial ! On peut sortir au grand jour et on a plus besoin de se cacher, même pour commander une pizza ! On peut même discuter avec plein de monde, faire des nouvelles rencontres, se faire des amis ! Et puis j’ai même des cheveux et des oreilles. Rend toi compte, Donnie, des oreilles. » Il insiste sur ce dernier point, Mikey, sans spécialement se souvenir que c’est une des premières choses qu’il a dit à son frère à leur arrivée ici, mais montrant bien là toute la fascination que lui-même ressent l’idée de posséder deux de ses appendices somme toute parfaitement logique pour la plupart des humains, beaucoup moins pour le reptile qu’il est au départ.

Pourtant, contre toute attente, l’enthousiasme dont le plus jeune vient de faire preuve, qui semble d’habitude ne s’éteindre que quand il dort – et encore, proteste les bougonnements imaginaires de Raphaël qui a plus d’une fois asséné haut et fort à quel point il avait dû se retenir de l’étouffer avec son oreiller tant il n’en pouvait plus de ses mouvements incessants – semble soudain retomber comme un soufflet, plongeant de nouveau la chambre éclairée par la seule lueur provenant du couloir par la porte entrouverte dans un calme inquiétant. Et après quelques secondes d’un silence toujours plus inhabituel quand le plus jeune des Hamato est présent dans une pièce, sa voix finit de nouveau par s’élever, avec quelques accents du désespoir : « Mais ça veut dire qu’on ne sera plus jamais des tortues. Aucun de nous. » Qu’ils ne seront plus jamais ce qui a fait d’eux jusqu’à présent des êtres si spéciaux, si à part. Qui a fait d’eux des frères, là où aucune génétique ne les a jamais lié. Est-ce qu’ils le garderont, malgré tout, ce lien entre eux ? Est-ce qu’ils seront toujours des frères, même humains, amputé de l’un des leurs ?

Et puis il y a ce point noir. Celui qui reste le plus gros point d’achoppement de Mikey, celui qui fait peser sur ses épaules un poids qu’il ne ressentira malheureusement en réalité plus jamais. « Et on aura plus jamais de carapace. » Comme pour joindre le geste à la parole, Mikey rétracte son cou autant qu’il le peut. Mais là où d’habitude ça tête aurait entièrement disparu sous sa protection de cartilage et d’écailles, il n’en est plus rien désormais. Tout juste la capuche qui lui dissimule une partie du visage retombe-t-elle un peu plus sur son front, projetant de nouveau une ombre sur ses yeux, mais c’est tout. Parce qu’ils ne seront plus jamais des tortues. Et même si Mikey adore être un humain, c’est une immense partie de leur identité qu’ils ont perdu à leur arrivée ici.

Donnie a un sourire amusé à la remarque les oreilles de Mikey. C’est la première chose que son jeune frère avait noté quand ils ont été catapulté dans cet univers étrange, perdant en route leur apparence. C’était du Michellangelo tout craché, de se focaliser sur un détail anodin, qui dans sa bouche devenait soudain d’une importance cruciale. Et même si le pleu jeune Hamato s’éloigne du sujet, Donatello le laisse continuer. Il a compris très vite que reprendre Mikey ne servait qu’à égarer la conversation d’avantage. Le laisser poursuivre, parfois, le ramenait seul vers le sujet important. Ça pouvait être long. Et parfois vain. Mais Donnie le laisse faire sans l’interrompre.

Et de fait, le cœur du problème approche. Ils ne seront plus jamais des tortues. C’est probable. Presque certain, même. Et comme à chaque fois qu’il y pense, ça serre le cœur de Donnie. Lui aussi, ça lui pèse, malgré toutes les justifications logiques qu’il trouve pour défendre leur apparence humaine. Il y a tellement d’avantages à passer inaperçu, à avoir ce choix de se fondre dans la foule. En particulier pour des ninjas ! Mais ça ne peut que lui manquer. Comme à Mikey. Comme à Raph, qui s’énerve si facilement quand le sujet est abordé. Donatello aurait compris que ça suffise à alourdir l’humeur de son petit frère. Il est difficile d’appréhender à quel degré il peut être touché par la perte de leur identité reptilienne. Mais son instinct -qu’il écoute habituellement bien moins que son esprit brillant- lui fait garder le silence, attendre les derniers mots de Mikey, comme s’il devinait que ce n’était pas tout.
La carapace. C’est sur ça que Mikey revient. C’est là qu’est le problème, et le geste de Mikey, d’enfoncer sa tête dans ses épaules comme s’il pouvait encore l’y faire disparaitre, donne à Donatello bien plus d’indication que ses mots.

- Oh…. Oh ! Ta carapace ! Mais comment je n’y ai pas pensé avant !

Il s’en veut sur le coup. Tout à ses recherches, ses travaux, ses disputes avec ses frères sur des sujets parfois insignifiants à cause du stress de leur nouvelle existence et de l’absence de Leo, il est passé complètement à côté su mal être de Mikey. Sa carapace ! Son refuge quand il va mal ou qu’il boude, sa capacité de défense -et parfois d’attaque !- la plus élémentaire, sa maison dans la maison. SA CARAPACE ! Donalettlo tu es in sombre IDIOT !

- Bien sûr qu’elle te manque, comment je n’ai pas vu ça plus tôt ! Tu es une tortue boite !

Donnie bondit sur ses pieds, écarte les bras, déjà mobile et déjà à imaginer un système cohérent qui puisse sauver son frère de son mal-être.

- Tu as toujours eu cette option là et tu ne l’as plus et c’est LOGIQUE je suis un idiot. Il te faut quelque chose. Peut-être un sac ? Un sac ça peut être une bonne option mais il me faut des alliages assez légers et solides. Moui parce que tu vas devoir le porter je ne vais quand même pas la greffer. Quoique…

L’idée d’une greffe ce ne serait pas incohérent, mais il lui faudrait un laboratoire plus sophistiqué que le sien. Il peut y développer beaucoup de choses, il a de quoi endormir sans problème ses chers frères, mais il va lui manquer des outils et des produits efficaces.

- Si à la limite je peux infiltrer pour un moment la section de biotechnologie de la meilleure entreprise de Nexus… Bon il faudra que je te découpe un peu mais c’est pour la bonne cause…

Mikey n’était pas la tortue la plus facile à vivre, il en avait bien conscience – même si, de son point de vue, c’était souvent les autres qui ne le comprenaient pas, ce qui était changeait absolument tout, n’est-ce pas ? Lui et ses frères avaient plus d’une fois eu des disputes, souvent pour rire, parfois mémorables, qui devaient encore faire résonner les égouts de New York… Enfin, qui l’auraient fait, si New York n’avait pas été détruites et leur monde avec elle, bien sûr. Mais après tout, ils étaient une fratrie, alors quoi de plus normal ? S’ils n’en avaient les liens de sangs, ils en avaient au moins tous les comportements, les bonnes comme les mauvaises habitudes. Alors oui, souvent, ils en venaient à s’engueuler, pour tout et n’importe quoi et Mikey n’était pas le dernier dans ce genre de situation. Et pourtant, il avait aussi ces moments de faiblesse, qu’il assumait plus ou moins. Ces moments où seuls ses frères pouvaient être capables de le comprendre. Ces moments où dire ce qu’il avait sur le cœur ne lui valait pas moqueries et dérisions, mais bien une véritable écoute… et des solutions qui, même aux oreilles de Mikey - parce qu’il avait des oreilles !!!- sonnait comme un projet peut-être un peu trop fou.

Pourtant, les premières ébauches d’idées de Donnie, l’enthousiasme avec lequel il commence à exposer les mille idées qui commencent à lui passer par la tête et que Mikey a presque l’impression de pouvoir voir se dessiner sous ses yeux, le motivent lui aussi. Mikey a beau n’avoir aucune idée de comment son frère pourrait même réaliser ce sont il parle, il sait qu’il en est parfaitement capable. Parce que Donnie peut, sait tout faire, sait se donner les moyens d’arriver à ses fins, sait tout construire, ou presque ! Et puis Mikey se voit bien avec un sac à dos spécial, un de ces modèles qui pourrait passer inaperçu pour tout un chacun, mais qui se révélerait en vérité être tout autre chose, ça lui plait à fond !

Mais très vite, le plus jeune des Hamato commence à déchanter et son expression qui s’était illuminée au fil des pensées exposées par son frère se transforme plus vite qu’il ne faut pour le dire en une expression sceptique, pour carrément devenir une expression de dégoût quand Donnie commence à parler de greffe. De GREFFE ?! Oui, d’accord, sa carapace manquait clairement à Mikey, mais de là à commencer à vouloir le charcuter ?! « T’es certain que c’est obligé, ça ? Non parce que juste un sac à dos, c’est bien, aussi… Un noir, par exemple ? Un qui semble super banal, comme ça les gens pensent que c’est juste un sac, et puis paf ! » Voire pas de sac à dos du tout, hein, si c’était plus simple. Parce que oui, sa carapace lui manquait, oui, il avait l’impression – et ce n’était d’ailleurs pas qu’une impression – qu’il lui manquait une partie de lui-même, oui, il ne pouvait plus s’y réfugier dès que l’envie lui en prenait, il ne pouvait plus s’en servir pour se défendre, cela lui faisait perdre même une partie de ses techniques de combat… Autant de raisons qui commençait à peser, à lui faire ressentir ce sentiment de mal être que Mikey détestait profondément, qui ne lui ressemblait tellement pas ! Mais pour autant, il n’était vraiment pas certain d’avoir envie de se faire découper quoi que ce soit pour pouvoir le récupérer.

Et s’il en fallait plus que ses mots pour en témoigner, toute son attitude pouvait parler pour lui. Interloqué, voire même interdit devant les propos tenus par Donnie, il laissait toute la place à son frère de s’exprimer sur le sujet sans lui-même tergiverser par des discours dont les autres peinaient souvent à saisir le fil conducteur. Et il hésitait même à lui révéler qu’il connaissait un endroit où ils pourraient s’infiltrer, un lieu qui possédait probablement toute la technologie nécessaire à… à peu près tout ce qu’ils voulaient, en réalité. La tour Wayne, forcément, là-bas, il devait y avoir des tonnes de choses intéressantes ! Mais Mikey hésite, encore, et encore un peu. Il sait qu’il doit en parler à Donnie, oui. Mais peut-être qu’il va quand même attendre d’être certain que l’autre ne va pas le découper avant.

- Un sac à dos banal. Est-ce que je PEUX te faire un sac à dos banal ? Bien sûr que oui ! est-ce que je le DOIS ?

Il se penche sur son frère, le prend par les épaules, le regard rivé dans le sien.

- Ni toi, ni moi ne devons nous contenter de la banalité !

Son propos clair, le génie Hamato se redresse, arpente la pièce à grands pas en continuant son exposé, ne s’arrête que pour maugréer alors qu’il butte sur un des multiples amas de matériel de dessin de Mikey, dans la demi pénombre de la chambre.

- Si tu devais être un peu raisonnable, mon idée de te greffer directement le matériel adéquat te semblerait exactement ce qu’elle est : BRILLANTE ! MAIS !

Manquant de glisser sur un tube de peinture, il grimace, et tape un coin de son épaule. Aussitôt, une petite lampe sort de son col, tenue par une tige métallique, et se place à la hauteur de ses yeux. Il ébloui bien au passage son frère à chaque fois qu’il se tourne vers lui pour lui adresser la parole, mais semble n’y prêter absolument aucune attention. Il y voit mieux, il ne risque plus de se casser la figure, et il a des idées à exposer, merci bien.

- Je veux bien t’accorder pour le moment ton intégrité physique, puisque vous semblez tous y être absurdement attachés. Mais ton sac ? Il devra être parfait. ET avec style ! Non mais si tu te balade avec un bête sac noir, Angelo, c’est là que tu vas soulever des questions.

Mikey n’est pas, n’a jamais été, et ne sera jamais discret. C’est ce qui fait son charme, et c’est aussi une réalité absolue. Une constante universelle, devrait-il dire.

- Un sac, qui peut devenir une carapace. Un système de défense. Mh… On doit pouvoir faire mieux. Peut-être des lances missiles ? Quoique les munitions prendraient un peu trop de place dans le mécanisme. Oh ! Un compartiment pour tes armes est un must have bien entendu. Le système de refroidissement devra être décalé mais ce n’est pas un problème.

Donatello est déjà en train de faire le compte sur ses doigts de ce qu’il doit intégrer à ce nouvel appareil dont il visualise en temps réel les plans en coupe, le cerveau tournant à toute vitesse. Il a même un peu oublié Mikey, ses avis sur la question, et passe à des kilomètres de son nouveau silence, son hésitation qui auraient dû allumer une alerte immédiate chez Donatello. Par habitude de survie. Comme on l’a déjà dit, quand Mikey est silencieux, soit il prépare quelque chose, soit il cherche à cacher les traces du dernier désastre en date..

Mickey parle. Beaucoup, tout le temps. C’est un fait, une constante qu’on ne pourra jamais lui retirer et que personne ne saurait oublier, tant son débit peut être rapide et inarrêtable. Mikey parle et ne s’arrête jamais, ou si peu, que leurs égouts, avant, leur appartement, maintenant, ne semble jamais pouvoir être réellement silencieux. Mikey parle et, malheureusement, au grand damne de ceux qui l’entourent et vivent avec lui, il ne s’arrête que rarement, voir presque jamais. Parce qu’il a toujours une chose à dire, un commentaire à faire. Parce qu’il est capable de parler de tout et de n’importe quoi – et, si on écoute ses frères, et particulièrement Raph’, surtout de n’importe quoi – sans qu’il ne soit jamais possible de le faire taire. Alors oui, Mikey parle, ce n’est un secret pour personne. Pourtant, quand Donnie s’y met, quand Donnie part dans l’une de ses grandes explications dont il a le secret, quand il se lance dans l’une de ses élucubrations scientifiques auxquelles ses frères sont bien incapables de comprendre quoi que ce soit – et, de par là-même, dont ils décrochent du coup assez fort rapidement – même lui est bien incapable de le couper. Il faut dire qu’il en a rarement la patience et qu’il a plus souvent tôt fait de s’éclipser et de le laisser à ses élucubrations, quitte à se faire réprimander vertement par la suite.

Et il se trouve qu’actuellement, il est exactement dans ce genre de position. A ceci prêt, en réalité, qu’il lui est impossible de s’éclipser. Non pas physiquement impossible, car malgré le nombre impressionnant d’objets qui jonchent sols et meubles et le fait que Donnie, à force de tourner en rond, lui bloque partiellement l’accès à la seule sortie de la pièce, Mikey est bien assez agile pour se frayer malgré tout un chemin. Sauf que la pièce en question, en l’occurrence, c’est sa chambre et qu’il n’aime pas vraiment que ses frères y entrent quand il n’y est pas – même s’il ne se gêne pas vraiment pour lui-même entrer dans les leurs, mais toujours avec une bonne raison, bien sûr – et surtout, parce que Donnie est en train d’imaginer un accessoire pour lui. Pas qu’il y comprenne plus quelque chose que d’habitude, non, mais étant donné que le premier réflexe de son scientifique fou de frère a été de le lui greffer, Mikey, avec toute la confiance qu’il puisse avoir en ce dernier et aussi insouciant, voire inconscient qu’il puisse être, préfère s’assurer que le projet ne lui échappe pas complètement. D’autant plus quant ledit projet peut s’avérer des plus enthousiasmant, alors même que son hésitation est déjà passée – « Oh oui, des lance-missiles !! », aussitôt suivi d’une moue quelque peu déçue – une fois qu’on oublie de vouloir le lui intégrer directement à la peau.

« Un truc sur lequel j’ai qu’un bouton et PAF ! C’est comme si mes Nunchakus m’apparaissent directement dans les mains ! Et puis un autre bouton pour la carapace, aussi. Et tu crois que tu pourrais rajouter de quoi mettre quelques canettes de soda ? On sait jamais, on peut grave avoir besoin de sucre, pendant un combat ! » Grimaçant de temps à autre sous le jet de lumière de son frère, Mikey, pourtant, n’en fait aucune remarque, tout à son énergie retrouvée. Pour un peu, il aurait presque envie de pousser Donnie directement vers son atelier, laboratoire, ou quel que soit le nom que lui donne son frère, pour voir ce fameux sac commencer à déjà naître sous ses doigts de génie. Et, déjà, le moment de doute qui a étreint Mikey semble oublier. Peut-être que ce n’est que de façon momentanée, qui sait. Mais déjà, le voilà prêt à sauter sur ses deux jambes, débordant de vie, comme il l’a toujours été.

Donatello se tourne vers Mikey, comme étonné qu’il soit là par son avis, déraille un instant le fil de ses pensées. Comme souvent quand son esprit s’emballe, il perd la notion de son environnement, tant les idées brillantes qui s’enchainent sous son crâne l’éblouissent bien plus que la banalité du monde quotidien.
Mais ha, c’est vrai, Mikey. C’est pour lui tout de même qu’il invente cette carapace sac à dos armure multifonctions. Donnie s’arrête net, muet, et se penche soudain avec un regard scrutateur vers son petit frère, l’obligeant à reculer un rien pour ne pas pendre un coup de tête.
Son silence dure, juste assez pour être inconfortable, et au moment où Mikey s’apprête à reprendre -ce qui va assez vite, son petit frère supporte mal l’immobilité et la tension intrinsèque à ce genre de scrutation, et va sans doute se lancer bien trop vite dans une nouvelle élucubration dont lui seul a le secret - Donatello abat sur son épaule une main ferme. Une main à cinq doigts. Cinq. Il s’y fera jamais, décidément.

- On va faire bien mieux que ça. Viens.

Donatello ne lui laisse pas le choix à son cher petit frère, et le pousse vers la porte de sa propre chambre, pestant au passage sur le matériel de dessin qui le fait trébucher. Mikey est un danger ambulant, c’est un fait reconnu, au moins dans sa fratrie.  Et le chaos qu’il sème au fil de ses excentricités, aussi. Il transforme la moindre pièce anodine en champs de mine, en parcours d’obstacle imprévisible. Mais il en faut un peu plus que quelques feutres et carnets de dessins pour arrêter un Donatello en mission. Leur trajectoire est directe, quitte à repousser du pieds du matériel sans doute précieux puisqu’il s’attire un hey outragé, et le plus jeune des Hamato est poussé sans autre précision vers le laboratoire tout aussi encombré -mais de façon bien plus organisée, excusez-le du peu- du génie de la famille. Avec un regard critique, Donnie fait le tour de la pièce du regard, et déniche un coin d’où il pousse rapidement les quelques dossiers, et y assoit d’autorité Mikey.

- Tu peux rester si tu ne touches à rien ! Oh et attends…

Donatello attrape une couverture bariolée qu’il utilise sur place quand, contrairement à ce qu’exigent ses frères, il passe une trop grande partie de la nuit sur ses inventions, et pique un somme dans son laboratoire plutôt que de retourner dans son lit. Il veut bien céder sur le fait de ne pas en faire sa chambre, de son labo, mais parfois, la science ne peut attendre, point.
Mais pour le moment, c’est son frère qui ne peut pas attendre. Et Donnie n’a pas oublié la silhouette pitoyable et la voix misérable qu’il a découvert quelques minutes plus tôt dans la chambre colorée de Mikey. D’un tour de bras habile, il entoure complètement son petit frère, ne laissant que dépasser son visage encore juvénile, et hoche la tête, calant près de lui une canette de jus de fruits et une paille qui lui évitera de sortir ses bras de là. Voilà. Mikey a besoin de sa carapace. Mais s’il ne peut pas encore l’avoir, il a au moins un cocon. Un cocon doux et immobile pendant quelques minutes au moins, en tous cas.

- On va parler des fonctionnalités ! On a dit les nunjaku, les canettes… Pas de missiles MAIS les projectiles, c’est encore possible.

L’avis de Mikey n’est pas indispensable à chaque étape, et Donnie est déjà en train de faire des croquis sur son tableau, prend son frère à témoins, imagine le design, les contraintes.

- Je vais avoir besoin de matériaux. Je suis LOIN ici d’avoir amassé tout ce dont on a besoin juste pour la base, j’aurais dû garder de l’acier haute résistance de côté, il te faut quelque chose de LEGER. Et d’EFFICACE.
Parce que Donatello Hamato ne se contente pas de bricolage de bouts de cartons. C’est sa création, et ce sera parfait. Surtout si Mikey doit la porter.