Illusions - Ford

Mhmh-mh. Tentant. Marmonne le démon en dodelinant du visage, le pouce et l'index sous le menton, peignant une réflexion assez cartoonesque pour paraître détachée malgré la langueur inconfortable si ce n'est horripilante de son corps organique. Qu'importe si sa vision est mouchetée, ce n'est rien comparé à l'étroitesse du corps emprunté à Pinetree. Les enfants, une horreur.
Ford lui tend une poignée de main. Tout son manège pourrait s'arrêter là, alors.
Le contrôle lui est laissé.
Si le scientifique est aussi nerveux c'est qu'il n'a pas réalisé le geste par inadvertance, évidemment pas, il se prête au risque parce qu'à l'évidence il pense y gagner quelque chose. Bill ausculte les termes du contrat avec un peu plus de minutie, d'ordinaire il se serait élancé avec hilarité mais connaissant l'animal... ça fleure bon l'entourloupe de circonstance.
Mais Ford ne peut pas connaître et donc anticiper la forme que prendra un contrat démoniaque ici-bas.
Alors le démon-rêve suspecte autre chose de plus viscéral et de moins calculateur : Ford veut sûrement tirer un trait officiel sur leur passé, il doit se dire que Bill sera contraint de respecter les termes énoncés avant souscription. Fordsy serait-il toujours le même grand sensible? Devrait-il le gracier de ses lourds bagages?
S'il est prêt à courir le risque pour s'éloigner de ça...Ce n'est peut-être pas trop tard, murmure ce quelque chose de trop bavard et de puissamment contreproductif qui ruisselle d'on-ne-sait-où.
Bill ricane et se frotte même les mains. Cela ne serait pas bien cher payé. N'ayant pas encore réalisé de contrats en Ville et sous cette forme il ne sait dire à quel point celui-ci sera rigoureux ou littéral mais, sérieusement, leurs souvenirs communs et la perspective de les poursuivre vaut peu de choses à côté de la conscription officielle de Sixer en tant que partenaire pour ses affaires.
Il s'apprête à ratifier l'accord lorsque quelque chose l'arrête en vol pour la seconde fois.
Après tout, quel intérêt y aurait-il à signer? Ford sera toujours plus malléable s'il peut lui faire de douloureuses piqures de rappel. Restons sur un accord oral veux-tu, humain? Qu'il assène avec un mordant aussi railleur que détaché, plus distant que jamais et peut-être pour le dissuader de poser trop de questions dérangeantes. Tu n'as pas totalement tort : nous avons mieux à faire que d'éplucher un passé révolu, Stanford. Pas de petit nom doux, pas de proximité gazouillante histoire de noyer le poisson. Doonc conditions acceptées.  Dit-il en lui retournant son impertinent tape m'en six-dans-quatre et ce, à la volée.
Le démon-rêve se détourne trop prestement pour ne pas expérimenter un vertige qu'il garde - furieusement - sous silence et sort un mouchoir de soie de sa poche pour épousseter le tour de ses yeux. Ses enjambées le guident vers le cœur runique vrombissant qui, tout à coup lorsqu'il est proche, s'emballe dangereusement. Des étincelles violacées s'élancent et craquètent en halo autour de lui. Bill jette au sol le tissus imbibé de son sang qui agglomère sur lui la perturbation et se trouve envahi d'une marée énergétique magenta.
Petit 1, ce machin a l'air de rechercher un carburant. Et s'il fait ça sûrement qu'il est doté d'une forme de conscience, tu ne crois pas?

Sa claque contre ma paume raisonne dans la pièce alors qu’il semble que j’ai gagné cet échange. Vraiment ? La sueur coule le long de ma nuque raide, je ne peux pas m’empêcher de me demander : où est le piège ? Où est le prix de mon impertinence ? Car je ne connais pas Bill aussi conciliant; Et surtout, il ne m’a pas serré la main. Pourquoi n’a t-il pas serré cette main ?
Quand bien même cela n’aurait aucun effet dans cette dimension, voilà pour lui la possibilité de gagner sur ce plan là et de m’arracher cette poignée de main qu’il voulait tant que j’accepte, pour montrer sa supériorité. Ici il ne semble rien y avoir à gagner et c’est bien le plus inquiétant. C’est quand Bill Cipher semble ne pas tirer quelconque profit d’un partenariat - même égotique - qu’il faut se hâter de chercher les minuscules caractères du contrat.

Mais qu’ai je fait ? La question tourne en boucle dans mon esprit, si récurrente que sa persistence devient contre-productive.  Je maîtrise mes émotions. Rétablis tes échanges gazeux avec l’extérieur Stanford ; respire. Tout cela est un mal pour un bien. Cela me permettra de garder Bill à l’oeil et à priori rien ne m’enchaînera à lui cette fois.

Je replis mes doigts et ramène ma main vers moi avant de me tourner vers l’objet qui semble de nouveau intéresser le démon. Le chancellement de Bill ne m’a pas échappé, et je dois avouer que cela est étrange à observer. A voir mon ancienne idole ainsi ternie, presque brisée, comme les humains tous au long de leurs existences. J’en éprouve une satisfaction mêlé à du soucis. Quand j’ai tenté de tuer Bill, j’ai toujours compté sur le fait que cela se ferait en un tir. Et c’est ce qui en devait être avec mon désintégrateur quantique. Je ne pensais pas observer sa déchéance, et j’ignorais que cela me troublerait ainsi.

L’artefact est une distraction bienvenue. Surement que mes yeux brillent de mille feux quand je vois ses émanations magiques se concentrer sur le tissus taché. Non, sur le sang qui s’y trouve.

« Tu as raison » Je lui concède volontier. « En tout cas il est capable d’aller lui même à la recherche de sa propre énergie, peut-être en toute conscience ou à la manière des racines d’une plante allant chercher d’elles-mêmes les minéraux nécessaire où ils se trouvent. Mais dans quel but ? … Il n’y a qu’un moyen de le savoir. »

J’attrape un scalpel dans une de mes poches intérieurs - stérilisé ce matin - et fait une incision fine sur mon pouce avant de le placer au dessus de l’objet lumineux. Je le compresse avec impatience jusqu’à ce que le sang s’égoutte de la plaie. Mon enthousiasme a réussi temporairement à me faire oublier le problème Bill Cipher. Et quand mon sang tombe au coeur de la création techno-magique et qu’elle brille de mille-feux, mes yeux en fond de même. Je m’éloigne en la voyant onduler et se reformer avec voracité, des éclairs violets s’échappant de ses parois pour frapper autour d’elle dans un périmètre restreint.

« Fascinant ! » Je note le tout dans mon carnet. « Cette chose se nourrit de sang, peut-être de matière organique plus largement. Il faudrait faire d’autres expérimentations pour le déterminer. Nous avons besoin de percer tout le contenu de ces notes ! » J’attrape un autre ouvrage qui m’a l’air écrit d’une autre main et le tend à Bill avec auutorité « je vais m’occuper de celui chiffré. » C’est celui qui semble le plus lié à cet artéfact. Bill trouvera bien à s’amuser avec l’autre journal. Il a l’air tout aussi intéressant. Enfin à peine moins.

[...]

Toutes les cervelles construisent une boîte à outils pour comprendre la complexité du monde, il suffit d'inventorier leur contenu : les connexions logiques, les croyances, les principes supérieurs.
Et induire une erreur dans un cerveau vulnérable, c'est encore plus fastoche. Les liens causaux sont impulsifs là-dedans.
Mon prix est simple, plutôt généreux. Ne laisse pas passer cette opportunité, il n'y a aucune garantie qu'elle durera !
Des effluves à la texture poudreuses flottent dans la pièce, accompagnées d'une ribambelle de fumées que l'odorat de Cipher ne remet pas mais que son esprit sait parfaitement délictueuses.
L'homme auquel il vient d'asséner une quinte flush (ou plus exactement l'illusion de celle-ci, appliquée sur le cortex préfrontal droit dorsolateral, Bill avait une mauvaise main) est un consommateur aguerri qui babille de l'abstrait à qui veut bien l'entendre et qui rosse qui ne le veut pas.
Sa cervelle poreuse est un pousse-au-crime pour le démon qui doit bien tester les limites de ses pouvoirs. Il sait désormais qu'il doit toucher sa cible, peau contre peau, pour altérer sa perception.
Plus ils sont autoritaires et plus ils se soumettent à une figure d'autorité établie en capitaine. Un pigeon idéal-typique, dont l'égo ne pouvait qu'être galvanisé par la visite d'un être multi-millénaire.
Son bipède de divertissement est extrêmement lisible. S'il essaie de s'escrimer, s'il ne cède pas tout de suite, c'est uniquement pour se faire mousser alors Bill joue le jeu et flatte sa grande singularité.
La morale du belâtre charbonneux, à la physionomie marquée et expressive, est simple à faire infléchir pour peu qu'on lui donne des cibles contre lesquelles diriger son agressivité sous-cutanée.
Servons-lui du biais de confirmation pour l'encourager, avec juste ce qu'il faut, à rêver une réalité connue d'eux deux.
Bill déguste sa volonté d'y croire et la voit retrousser les pliures au coin de l’œil, ce frémissement machinal à la commissure de lèvres asséchées est si caractéristique.
Le deal ne tarde pas plus, la main dégantée du démon-trublion saisit vivement celle cyanosée de son nouveau jouet.
Cet homme ne l'intéresse pas, il n'est que l'objet d'une expérimentation. D'une vérification qui titillait Bill depuis... Stanford.
Cela fait des jours maintenant qu'ils travaillent au laboratoire et Bill ne lui a toujours pas proposé un contrat car il sait ce que Fordsy demanderait, il l'a déjà refusé.
Quelque chose coince lorsqu'il y repense.
Le triangle humanoïde a refusé d'utiliser Ford comme une expérimentation et il lui est toujours désagréable de se le visualiser immunisé à leurs souvenirs communs - car s'il peut toujours faire un marché dans cette Ville et que celui-ci s'exécute stricto sensu alors la mémoire de Sixer aurait pu être siphonnée, cela aurait été excessif mais en un sens conforme aux horripilants désidératas du scientifique. Ou alors peut-être que Bill aurait été tenu de ne plus utiliser ce passé commun.
D'ordinaire il pouvait jouer avec les termes de ses contrats mais, ici, ses pouvoirs sont amoindris. L'axolotl est-il en cause?
L'idée contrarie Cipher dont la  projection psychique s'élance furieusement vers celui qui a eu la sottise d'abaisser les herses. Et c'est une semi réussite, il est contraint de plaquer deux doigts contre le bras de sa cible.
Comme il le pensait, au regard de sa propre consistance organique, il ne parvient pas à posséder le corps du cobaye mais il peut lire son esprit sans qu'aucune difficulté ne l'entrave plus. Les images défilent.
C'est clair comme de l'eau de roche. Et parfaitement écœurant. Il lui adresse un clin d'œil surplombant et tapote son épaule avec un rien de paternalisme.
Il allait lui demander un petit service lorsque, par la lucarne du commerce clandestin donnant sur la ruelle, il aperçoit une esclandre farouche. Cipher abaisse une œillade semi intéressée vers les belligérants, voit distinctement un Ford pris dans la houle.
Que fait-il ici ? Cela fait des jours qu'il dénigre toute conversation et même son hygiène corporelle, le constater à l'extérieur est aussi imprévu que curieux. Passé le choc de le trouver en pleine sociabilisation, il n'y a rien de très étonnant à le voir marauder dans la clandestinité pour le bien d'une recherche dont il ne lui aurait pas parlé (il tient à son jardin secret, le coquin).
Bill s'avance au-devant de l'affrontement, s'aperçoit que ceux qui menacent son partenaire ne sont pas humains.Son nouveau joujou, qui lui a collé aux basques, ne l'est d'ailleurs pas plus. On s'amuse par ici ? Minaude t-il en mirant ses ongles, sa main gauche postée sur sa hanche.