Huit ans, c’est normalement l’âge de l’insouciance. L’âge où tout ce qui préoccupe un enfant, ce sont les amis, l’école. Huit ans, et cela aurait dû être le début d’une vie dorée. Huit ans, ce ne fut que le début d’une vie de ténèbres.

Ses parents assassinés dans une ruelle sombre. Pour rien. Pour une montre, quelques dollars, et un collier de perle. Par sa faute, parce qu’il avait juste eu peur lors d’une séance de cinéma. Bruce Wayne n’a plus jamais été le même après ça. Colère. Rage. Il aurait pu mal tourner. Il a choisi une autre voix.

Il a fait les bonnes rencontres, peut-être. Même si certaines s’avéreront pas la suite catastrophiques. Ra’s Al Ghul qui, avant de devenir son ennemi, sera d’abord son mentor. L’entraînement à Nanda Parbat, ce lieu secret, repère de la Ligue des Assassins. Et le besoin, ensuite, de continuer l’œuvre de son père, à sa façon : sauver Gotham. Désormais, il en avait la force.

Là où Métropolis avait Superman, Gotham aurait désormais Batman. Le chevalier de l’ombre, le héros solitaire. Qui devait ramener un semblant de sécurité dans une ville gangrénée par le crime et la corruption. Qui l’a rendu plus sûre, quelque part. Mais a aussi favorisé la montée d’un nouveau type de criminels, de ceux qui ont leur place attitrée à l’asile d’Arkham. Trop nombreux pour tous les énumérer. Une mission en solitaire, comme tout le reste de sa vie, n’est-ce pas ?

Sauf qu’il y avait eu ce spectacle de cirque. Cette représentation à laquelle il s’était simplement montré, pour bien faire. Et le drame. La chute. Des parents qui meurent, et un nouvel orphelin qui lui rappelle ce qu’il a été. Avec une si profonde violence. D’autant plus que ce n’était pas un accident. Batman avait résolu l’affaire. Bruce Wayne avait recueillit l’enfant. Richard Grayson, dit Dick. Un enfant qu’il avait sous-estimé, puisqu’il n’avait eu besoin que de quelques semaines pour découvrir sa véritable identité. Un enfant qui avait fini par s’imposer auprès de lui, faisant d’eux un duo iconique dans la petite sphère des super-héros et dans le monde de Gotham : Batman et Robin.

Les années passent, et les menaces semblent toujours plus graves. Plus seulement sur la ville, mais sur le monde. Et Batman s’allie aux autres héros, plus d’une fois. Sans rejoindre totalement la Justice League qu’il a pourtant contribué à fonder, sans y être étranger non plus. Mais en mettant au service de cette équipe toutes les ressources dont il dispose.

Les années passent et, parallèlement au reste, Robin grandit. Et ne supporte plus le rôle que lui assigne Batman, celui de l’éternel coéquipier. Batman, qui ne supporte pas, lui, l’autonomie que désire prendre son protégé. Les années passent, et Dick finit par quitter le manoir, Gotham, et la vie de Bruce, avec perte et fracas.

Il faudra des mois pour qu’ils se parlent de nouveau. Des mois, pendant lesquels Dick est devenu Nightwing. Des mois, pendant lesquels Bruce aura pris sous son aile un nouveau Robin : Jason Todd. Avec qui il a essayé de faire mieux, cette fois. Qu’il a essayé d’accompagner. Qu’il a même adopté, ce qu’il a toujours refusé à Dick – parce que Dick, peut-être, n’a jamais été son fils. Jason, de qui il a l’impression d’avoir sous-estimé la colère. Jason, de plus en plus incontrôlable, qui fait montre d’une violence toujours plus grande. Jason. Qui fini par mourir sous les coups du Joker.

Jason, son plus puissant échec. Sa plus profonde douleur.

La seule personne capable de parler de Bruce lors de la période ayant suivi ce décès est sans doute Alfred Pennyworth. Fidèle majordome, il est toujours resté auprès de son protégé, depuis avant même le décès de ses parents. Et c’est le seul, peut-être, à avoir pu mesurer alors la douleur qui était celle de celui qu’il considérait, depuis toujours, comme un fils. Parce que Bruce les avait tous repoussés. Même Clark, Superman, son meilleur ami. Tous, les uns après les autres.

Ce fut une période sombre pour Gotham. Car même si Bruce n’a jamais tenté de se venger, Batman s’est montré toujours plus impitoyable. Et l’escalade de la violence aurait bien pu dégénérer.

Jusqu’à l’arrivée de Timothy Drake, Tim, le troisième Robin – Dick ne manquera d’ailleurs jamais de se moquer gentiment de lui, à sa façon, soulignant le nombre de partenaire du héros solitaires. Bruce a une totale confiance en Tim, et lui laisse bien plus de liberté qu’à ses deux précédents Robin.

Batman se stabilise, avec lui, la sécurité de Gotham se renforce, avec Oracle, première Batgirl blessée par le Joker, et son équipe des Birds of Prey. Bruce se fâche, quelques temps, avec la Justice League, prend la tête des Outsiders.

Il y a eu les pertes, aussi, celle de Superman, revenu ensuite d’entre les morts, celles dans lesquels il a dû accompagner son fils, Timothy, ses parents, ses amis. Il y a eu les trahisons, nombreuses, celles de Selina, celle de Thomas Eliott, l’ami d’enfance devenu Hush pour détruire sa vie en pensant que le père de Bruce, Thomas Wayne, avait détruit la sienne. Le retour d’entre les morts de Jason, aussi, combattant le crime par le crime, et que Bruce combat en même temps qu’il tente de combattre sa culpabilité. Et puis la pire d’entre toutes, celle de Thalia Al Ghul, fille de Ra’s, qui l’a drogué pour abuser de lui, et avait réussi à obtenir ce qu’elle voulait : un fils. Damian.

Damian, qui tente de tuer Tim pour prendre sa place. Damian, entraîné par les pires assassins de la Ligue, aux capacités extraordinaires pour son âge, mais beaucoup trop violent, beaucoup trop dangereux, pour être gardé à ses côtés. Damian, qu’il renvoie d’où il vient. Presque sans regrets.

Et puis sa propre mort. Ou, du moins, ce que tout le monde a cru. Son affrontement avec Darkseid l’a en réalité renvoyer dans le temps alors que, dans chaque époque traversée, il a sauvé autant d’innocents qu’il le pouvait.

Mais, à son retour, c’est comme si tout avait changé. Dick qui avait pris la cape, ce qu’il avait toujours refusé – ce que Bruce, au fond, aurait toujours voulu lui éviter. Damian en tant que Robin, Tim repoussé au rang de Red Robin. Et Bruce qui, presque malgré lui, avait dû s’y accommoder.

Il était redevenu Batman, oui, mais n’avait rien changé aux rôles de ses protégés. Et la vie avait repris son cours, même si la dynamique avait eu du mal à se mettre en place avec son fils biologique – et c’était bien leur dynamique en temps que Super-Héros qui avaient faillit en pâtir.

La vie avait repris son cours, effectivement. Jusqu'à ce qu'au petit matin, il s'endorme dans sa chambre, au manoir... Et que le monde s'écroule autour d'eux. Bruce, malgré tout ses talents d'observateurs, n'aurait pas su lui-même décrire ce qu'il s'est passé ce jour où tout à basculer. Ou la Réalité toute entière s'est effondrée pour venir s'amasser à celle d'infinis autres multivers. Le phénomène est assez grave pour qu'il comprenne que cela va bien au-delà des Crises déjà traversées ; qu'il ne semble, en réalité, n'y avoir aucun point de retour possible. Alors Bruce tente de se réadapter, s'inventer une nouvelle vie, avec Damian et Alfred à ses côtés. Le jour, Bruce est aux commandes. La nuit, Batman veille. Cela a toujours été ainsi. Et si Nowherte n'est pas Gotham, il a décidé de veiller à son tour sur elle et sur ses différents quartiers, particulièrement sur l'Interstice. Dans le secret de la nuit.