On se reverra dans une autre vie - Jean

« Je vais devoir me remettre à l’exercice, alors. Je t’avoue que j’ai un peu laissé cet aspect de côté depuis mon arrivée ici. » Cette fois, Armin ne dissimule pas la grimace qui déforme ses traits, loin d’en ressentir la moindre honte. Il n’est un secret pour aucun de ceux qui l’ont côtoyé par le passé que l’aspect physique n’était clairement pas son point fort. Sans être un fainéant, Armin n’avait jamais eu beaucoup d’attrait pour toute pratique sportive, si ce n’est les jeux d’enfants qu’il avait pu partager avec Eren et Mikasa. C’était d’ailleurs bien ce qui lui avait valu sa place dans le top 10 de leur promotion, là où ses amis avaient réussi sans efforts, lui faisant craindre un temps de ne pouvoir servir à leurs côtés. Mais, ses premières terreurs qui l’avaient laissé figé sur place aux pires moments dépassés, il avait en effet fini par se montrer si ce n’est un combattant redoutable, au moins un soldat assez aguerri pour pouvoir survivre au sein du bataillon – même si cela n’avait tenu qu’un temps et qu’après son sacrifice face au titan Colossal, il n’avait dû sa survie qu’au dur choix du commandant Ackerman. Mais ça n’était pas pour autant qu’il ne pouvait pas essayer et si, comme Jean l’affirmait, ils manquaient tant de gens que cela pour la défense de la ville, lui aussi pouvait bien prétendre à en faire partie.

Très vite cependant, ce sujet est presque oublié alors que ses yeux s’écarquillent d’autant plus lorsqu’il tente d’imaginer ce que lui décrit son ami. Des hélicoptères, comme des avions qui décolleraient à la verticale… Armin avait déjà eu du mal avec le concept d’hydravion, passant des heures et des heures avec les ingénieurs qui s’occupaient de l’appareil pour tenter d’en comprendre le fonctionnement. Il avait également été fasciné par le train même s’il savait depuis longtemps le potentiel énergétique de la chaleur et de la vapeur ; mais qu’elle puisse déplacer d’aussi lourds charges lui avait paru au départ absolument incroyable. Mais ces véhicules-là ? Il n’avait qu’une impatience désormais, s’en rendre compte de ses propres yeux. « J’avais entendu parler d’animaux capable de telles prouesses, restant en vol stationnaire pendant des heures, mais des appareils ? Cela paraît insensé. » Insensé, et pourtant tellement intrigant que le jeune homme s’agite sur sa chaise, comme prêt à bondir pour aller se rendre compte de tout cela par lui-même. Pourtant, il semble un peu se calmer, presque intimidé tout à coup, alors qu’il pose la question qui lui brûle les lèvres : « Et j’ai entendu parler d’un… d’un spatioport ? » Il hésite un peu, Armin, peu certain qu’on ne lui ai pas joué un tour en lui parlant de ça alors même que la personne en question, l’un des bénévole du refuge, n’aurait eu aucun intérêt à le faire et qu’il doute que Jean lui-même se prête à telle cruauté à son égard. Mais cela paraît cependant si incroyable, si énorme qu’il n’arrive pas à être sûr de lui-même. A quoi pourrait bien ressembler un tel lieu ? Et surtout, comment était-ce seulement possible ? Atteindre la mer lui semblait irréalisable, il y avait de cela même pas cinq ans, alors pouvoir voyager dans l’espace ? Non, c’était trop grand pour lui. Armin n’arrivait tout simplement pas à y croire. Et actuellement, il n’y avait que Jean pour pouvoir lui donner confirmation ou non de ce qui pour lui ne pouvait encore n’être qu’une rumeur sans fondement. Même s’il espérait de toutes ses forces que cette dernière soit vrai, évidemment.

Sauf que quand la discussion devient bien plus sérieuse, quand c’est à lui, désormais, que revient la potentielle charge de donner ou non des informations à son ami, Armin sait parfaitement appréhender le poids de ces nouvelles responsabilités. Il sait quel mal les mots qu’il retient pourrait provoquer chez Jean, mais il connaît également toute la portée positive que ces derniers pourraient avoir. Il n’y a, au fond, ni bonne, ni mauvaise décision à prendre face à un tel dilemme et Armin se prêtera au choix de Jean, quel qu’il soit. Mais quand il lui demande son avis, le petit blond ne peut s’empêcher de retrouver un mince sourire : « Tu me connais, je déteste l’incertitude et j’aurai forcément voulu savoir. Mais cela ne doit pas t’obliger à faire de même, je comprendrai que tu ne te sentes pas d’entendre tout ça. Tout ce que je peux te dire, c’est que personne de notre équipe d’intervention n’a perdue la vie ce jour-là. » Il ne parlait pas de Sieg, qui n’avait rejoint leur lutte qu’au dernier moment quand Armin avait réussi à l’en convaincre, au milieu d’un si profond désespoir. Il ne parlait pas de Levi, qui avait fini si gravement blessé à la fin de la bataille. Et, surtout, il ne parlait pas d’Eren, parce que malgré toute l’affection profonde qu’il avait encore pour son ami, il doutait fortement que Jean le considère comme faisant encore partie de leur groupe. Il lui dirait tout cela, oui, si l’autre le voulait. Mais il était hors de question qu’il ne lui dise rien de plus sans son autorisation, à part ce petit brin d’espoir.

C’est un mince rire qui s’échappe de ses lèvres, tant pour se moquer gentiment de lui-même que pour cacher sa gêne. Il n’a jamais connu Jean autrement qu’ainsi, si direct, n’hésitant pas à dire le fond de sa pensée. Si honnête, surtout, car Jean n’a aucune raison de le flatter inutilement. Mais Armin est Armin et s’il peut se reconnaître des qualités, c’est surtout sur ses défauts que lui-même met l’accent : « Heureusement que je garde cet avantage, car si je ne devais compter que sur mon physique, je n’irai pas bien loin. Mais je vais le faire. Et on pourra de nouveau combattre ensemble. » Et ce n’est pas que se dénigrer que de dire cela, ce n’est que la pure vérité. Il ne comptait plus le nombre de fois où, enfant, il s’était fait prendre à partie, malmené par des plus grands et n’échappant aux coups qu’avec l’arrivée express d’Eren et, surtout, de Mikasa. Mais il avait appris, malgré tout. Et s’il ne serait jamais être un dur à cuire, il restait malgré tout un bon soldat. Et même un bon major, si l’on en croyait la toute dernière décision d’Hansi. Alors même s’il avait parfois du mal à y croire lui-même, il pouvait faire confiance en son jugement. En cette personne qu’iel avait vue en lui, et Erwin avant encore. Alors non, Armin n’avait pas toujours fait les bons choix et il était loin d’être parfait. Mais peut-être qu’effectivement, il saurait être un atout supplémentaire pour la défense de Nowhere. De leur dernier refuge, derrière des murs bien trop hauts.

Mais même derrière ces murs trop hauts, ils avaient encore tant de choses à découvrir, tant de choses à voir. De la plus poussée des technologies aux mystères qu’ils ne sauraient même pas imaginer. Autant de nouveauté qui donnaient presque le vertige à Armin, rien que d’y penser ; ce même vertige qui l’avait empêché d’aller plus loin en exploration, seul, presque paralysé par l’énormité de ce qui l’attendait au-delà des rues familières de Juggernaut. Mais voilà qu’il est de retour, cet enthousiasme, que toute cette peur qu’il a pu ressentir semble bel et bien gommée par la simple présence de Jean. Et que cela doit s’entendre dans sa voix, presque fébrile, tant la curiosité le dévore : « On pourrait commencer dès aujourd’hui, non ? S’il y a tant de choses à voir, pourquoi attendre ? Une fois qu’on aura fini de discuter. Enfin, si tu es partant, bien sûr. »  Il se rend bien compte, le petit blond, qu’il s’est peut-être laissé un peu emporté, comme toujours quand un sujet lui tient autant à cœur. Mais si Jean est partant, quoi qu’il en soit, ça n’est certainement pas lui qui rechignera à commencer dès aujourd’hui. Il a bien trop hâte de découvrir tout ce que Nowhere pourrait leur apporter.

Enfin, s’ils ont encore la force pour cela en sortant d’ici. Car déjà, la discussion a pris un tournant bien plus douloureux. Ils ont tous tellement souffert de cette guerre. Tellement subit à cause de cette haine envers les Eldiens. Tellement perdu dans la dernière action, désespérée, d’Eren. En parler était encore difficile, oui. Mais il le devait bien à Jean. Personne n’avait autant que lui le droit de savoir. « Le début a été… compliqué, oui. On était vraiment mal partis, d’autant plus qu’il a réussi à me coincer. J’ai cru mourir étouffé, à ce moment-là. Mais en fait, ça nous a servi, puisqu’Ymir a voulu me garder captif dans le point d’origine.. Je ne suis pas mort, là-bas. J’y ai retrouvé Sieg Jäger. Et j’ai réussi à le convaincre de ne pas abandonner et de nous aider. » Dans un sursaut de volonté, un élan soudain d’espoir, Sieg avait réveillé les anciens titans décédés et les avaient convaincus de leur venir en aide. Armin, cependant, n’irai pas plus loin ; ce qui s’était dit en cet instant unique était, à ses yeux et même si cela pourrait semblait banal, de l’ordre de l’intime et ne sortirait pas en dehors de Sieg et lui. Mais Jean, de toute façon, avait largement de quoi comprendre avec ça. « Et puis… » Une inspiration, comme pour se donner le courage de continuer, la mine assombrie par l’énormité des événements. Comme s’il devait se donner la force de prononcer les mots suivants. « La bataille a été rude, mais on n’a eu aucune perte à déploré, si ce n’est Mr Jäger. J’ai fini par réussir à me transformer et à contenir Eren… Jusqu’à ce que Mikasa le tue. Et ça a mis fin au Grand Terrassement. » Il aimerait, Armin, que sa voix ne tremble pas comme ça alors qu’il marque une pause, prêt à répondre aux questions de Jean s’il en a. Mais même si son ami ne peut pas le comprendre, probablement toujours aussi aveuglé par sa colère légitime envers Eren, cela est, pour Armin toujours tellement douloureux. Ils ont tué Eren. Mikasa et lui, ils ont tué Eren. Et même s’il est techniquement encore en vie ici, Armin sait qu’il aura bien du mal à se le pardonner.