Comment parler du Chat de Cheshire sans évoquer la petite Alice Liddell ? Fillette pleine de curiosité, d'intelligente et d'imagination, c'est par elle que le Cheshire Cat est né, en ce monde qu'elle a créé (ou accédé, où est la vérité, peu importe), le Wonderland. Le Cheshire Cat était alors bien différent, un chat bien nourri, dont la Duchesse prenait soin.

Lors des voyages de la petite fille dans son Wonderland, le Cheshire Cat n'était jamais bien loin, l'observant en se faisant remarquer lorsqu'il le souhaitait, délivrant à volonté sa sagesse cryptique et sa philosophie obscure. Ce monde imaginaire était étrange, mais il ne manquait ni de vie ni de couleur : c'était le monde d'une fillette ordinaire, préservée et privilégiée.

Mais la vie d'Alice Liddell bascula, lorsqu'elle se retrouva seule survivante de l'incendie qui ravagea sa maison. Traumatisée par l'événement, l'adolescente fut internée, et son Wonderland se gâta aussi sûrement qu'une pomme laissée à l'air libre. Le Chat de Cheshire s'éminça considérablement, et son sarcasme se fit grandissant, tandis que le monde autour de lui se faisait de plus en plus sombre, de plus en plus violent.

Jamais, pourtant, il ne perdit son sourire. Même la mort, sa première mort, n'aurait su l'empêcher de conserver son éternel rictus. Cela ne signifiait pas grand-chose pour lui, après tout : à peine une souffrance passagère, jusqu'à son inévitable retour à la vie. La victoire d'Alice sur la Reine de Cœur impliquait une avancée considérable pour sa santé mentale : son Wonderland rétabli, la jeune fille fut jugée suffisamment "saine" pour quitter l'asile et mener sa propre vie.

Mais un happy ending n'est jamais garanti. Bientôt, la corruption frappa à nouveau Wonderland et ses habitants, tandis qu'Alice luttait contre sa psyché, luttait contre le passé et ses souvenirs, qu'elle tentait, sous la houlette de son thérapeute, d'enfouir profondément. Elle se pensait coupable de la mort de sa famille, et ne souhaitait qu'oublier.

Mais oublier n'était pas effacer, et ce qui s'était passé hantait la jeune femme, corrompant son Wonderland et ses habitants d'une nouvelle façon. Certains alliés devinrent ennemis, certains ennemis devinrent alliés, mais le Cheshire Cat demeura le même : un guide spirituel, venant et partant à sa guise, son sarcasme s'accordant volontiers au cynisme de la jeune femme perturbée.

Le rôle du Cheshire Cat n'était pas aisé à tenir : le guide le menait inévitablement vers la vérité, une réalité aussi difficile que nécessaire à affronter. Si la jeune femme n'était finalement pas responsable de la mort de sa famille, c'était pour cacher des sévices horribles que celle-ci était advenue, et par nul autre que le docteur qui s'efforçait d'effacer ses souvenirs pour mieux se protéger.

Alice se réconcilia avec son passé, et trouva la force de confronter le docteur dans le monde réel, jusqu'à finalement le tuer. Entre deux mondes, la jeune femme était prête à tourner la page, son Wonderland restauré une fois de plus.

C'était sans compter sur le Collapse, qui donna au Cheshire Cat une forme humaine, et une existence en-dehors de la tête d'Alice. Une existence propre et bien réelle.

Le Cheshire Cat s'était adapté à son corps comme s'il l'avait toujours eu, à cette réalité comme si elle avait toujours été sienne, malgré son détachement, malgré sa persistance à se faire guide d'autrui plutôt qu'à se concentrer sur lui-même. Le Chat est trop simple pour développer une conscience : ce serait folie que d'en imaginer autrement, n'est-ce pas ?

Ouvrant son cabinet "Wonderland", le Cheshire Cat reprit son rôle de guide spirituel, comme il l'avait toujours été pour Alice. Une quête de sens, ce qui est quelque peu ironique de la part d'un habitant de Wonderland...