Bloody Mary [PV Bill]

Bloody Mary

Je n’ai pas le choix. En tout cas c’est ce que je me répète en pénétrant dans la brasserie à l’air vicié où m’attend mon contact. Je n’aime habituellement pas faire ce genre d’imprudence, en tout cas pas dans des lieux aussi remplies d’âme oubliant leurs soucis dans l’alcool. C’est d’ailleurs des lieux que j’arpente assez peu, je n’aime ni ce qui est y est proposé, ni la compagnie. Il m’est peut-être arrivé une fois ou deux de m’abandonner aux affres de l’ivresse, toujours seul dans mon logis. Cependant mes recherches me prenant tout mon temps et le risque, plus tard, de laisser mon esprit plus vulnérable aux rêves éveillés m’ont protégés d’une consommation plus régulière.

Quand j’entre dans les lieux, c’est sous couvert d’un long manteau sombre et d’une écharpe épaisse qui couvre mon cou. Derrière, j’y ai enroulé une bande de kevlar, accroché à la va-vite avec du velcro. Prudence est mère de sûreté. Ce que j’ai dans la poche intérieur de ma veste ne suffira peut-être pas à passer un partenariat aux yeux de la personne que je dois rencontré et dans ce cas, je serais malheureusement contraint de … comment dire… muscler mon jeu ? Mon jeu étant mes poings et tout autre parti du corps pouvant être utilisé en situation de combat. Évidemment.

Je repère mon contact au fond de la salle, il est comme prévu accoutré d’une longue veste rouge et ses cheveux bruns tombent sur son visage en boucles filasses. Il agite son verre à vin dans sa main aux ongles crochus et ce mouvement suffit à me rappeler ce gredin de Bill, lors de notre dernière réelle discussion. Mais je ne dois pas me laisser distraire de mon objectif, alors je balaye ces pensées parasites et approche à pas lourd vers l’homme à la peau pâle. Il me fait un sourire effilé, technique d’intimidation typique et je m’assois en face de lui, les mains croisées sur la table.

« Réduit à taper dans le troisième âge » Marmonne t-il de sa voix aiguë, ses yeux sanguins m’inspectant comme on le ferait d’un produit au supermarché pour en apprécier la composition. Je suis évidemment un peu froissé mais je décide de passer outre avant de dire.

« Avez vous ce que je vous ai demandé ? »

« Je n’ai qu’une parole » Ah si seulement cette phrase était gage de réalité. Une seule parole n’empêche pas qu’elle soit fausse. Mais il sort de sa poche une clé Uhésbé, et la pose devant lui dans un mouvement sensuel qui me laisse de marbre. Je suis au contraire assez contrarié puisque j’avais explicitement demandé un support papier ou au pire disquette pour pouvoir le lire. Je ne pourrais donc pas la vérifier avant mon acquisition d’un ordinateur comportant les bons terminaux. Je ne peux pas me permettre d’aller à une bibliothèque et d’y propager des donnés aussi sensibles que la composition génétique d’un échantillon d’habitants pour y découvrir quelles espèces sont présentes ici.

De mon côté je retire un bocal recouvert d’une peinture opaque de ma poche et le fait glisser sur la surface sale de la table poisseuse avant d’attraper le support d’information et de le mettre dans une pochette intérieure. Mon contact retire le bouchon et renifle son contenu, ses canines grandissants sous l’effet de la faim. Cela m’a prit pas moins de 3 semaines pour obtenir une quantité aussi importante de mon sang et ainsi conclure cet échange, mais le jeu en vaut la chandelle puisque grâce aux compétences uniques des vampires, ils peuvent me renseigner sur les différents sangs qu’ils ont eu l’occasion de goûter depuis leur arrivés en ville et par extension sur leurs particularités biologique.

Une fois sûr que notre arrangement est bien consacré, je me lève, non sans ajouter.

« Ne pensez pas que mon âge vous informera sur sa qualité. Mon sang est aussi sain qu’il est possible de l’être, plus qu’un sang neuf mais habitué aux excès. Bonne soirée. » Sur ces mots je me dirige vers la sortie. Mais il faut bien avouer que mon envie de retourner chez moi et de me tourner les pouces en attendant d’avoir le matériel adéquat ne me tente pas plus que ça. Alors… peut-être un verre… Pas plus d’un verre surtout, au vu de mon taux d’hémoglobine qui doit frôler le seuil de l’acceptable.

Cela ne me tuera pas. Enfin, à priori, mais qui peut vraiment dire ce qui va nous tuer ? Je m’assois au comptoir et sort mon carnet de l’intérieur de mes frusques avant de commencer à noter les informations que j’ai pu collecter de mon échange avec le vampire.

‘N’a senti ni l’ail dans mes poches ni mon crucifix autour du cou. Attention aux idées reçues ! »

« Un … » Je réfléchis en relevant mes lunettes tombantes sur mon nez. «... bloody mary, s'il vous plait. »

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Ce que les bonnes mœurs peuvent être ennuyeuses et oublieuses du côté pratique ! Un troquet comme celui-ci a fort mauvaise presse, décrit (et surtout décrié) comme un lieu de débauche ou même de perdition (pour les grenouilles biberonnées au bénitier) ce noble établissement représente surtout, aux yeux de Bill, un vivier sans cesse renouvelé à mesure que le temps fait son office et qu'il gangrène même les espoirs des plus déterminés. Il n'est pas loin de considérer sa présence au comptoir comme une observation participante, sa démarche respecte la plupart des prérequis méthodologiques : hypothèse de départ (les pattes seront simples à graisser dans ce chaos urbain), recherche de sources (on feuillète les évènements fâcheux, la floraison des crimes) et ensuite : confrontation au terrain.
Produire de la connaissance pour la connaissance (et pour satisfaire un besoin obsessif d'affiliation à l'étrange étranger) c'était le dada de Ford et de ses prédécesseurs certes moins compétents que lui. Bill quant à lui préfère utiliser la connaissance comme monnaie d'échange. Or ses compétences multiverselles adjointes à un bagout sublimé par l'expérience auront réussi à ferrer les bons poissons - on le disait : cette ville désoriente les positions et ce qu'untel est prêt à faire pour retrouver un bidule ou Chose (insérez nom d'une personne chérie).
Le démon-rêve a gentiment obtenu de plusieurs créatures (prétendument) fabuleuses qu'elles lui apportent un coup de main en échange d'informations permettant de localiser l'objet de leur convoitise.
En effet, l'un des seuls avantages de sa forme matérielle - outre le fait qu'elle soit tout à fait gracieuse et qu'une paire d'yeux est un vrai luxe - est qu'il n'a plus besoin d'être invoqué pour y sévir.
Même s'il s'agit d'une ponction de cette dernière sous forme d'un univers de poche souffreteux.
Son incarnation dans un corps physique aura causé quelques singularités (surprenant comme un lundi) et s'il ne ressent pas l'existence de sa chère dimension cauchemardesque en tant que telle, il a vite constaté qu'une partie de son énergie semble avoir été aspirée ici avec lui. Mêmes propriétés que d'ordinaire, même utilité : toquer à la porte des dormeurs mais quantité limitée. Bingo : il peut jouer avec les rêves. Malus : certainement pas pour longtemps. Nous parlions de singularité ? Bill en est à l'évidence devenu une lui-même (et si c'est un titre seyant à porter il n'en demeure pas moins que cette instabilité n'entend pas une survie long-termiste) car il est certainement l'ancrage qui permet à l'énergie dimensionnelle de ne pas se dilapider en déperditions - il agit comme un vase communicant. Enfin passons sur le jargon.
Le bon point c'est qu'il a fouillé certains esprits présents en Ville. C'est comme ça qu'il est parvenu à monnayer quelques services bien pratiques (qui aboutiront bientôt aux péripéties de ce jour  ~). Mais comme RIEN n'est simple (à vaincre sans péril) : sa projection astrale étant liée à l'énergie dimensionnelle, dont il est le réceptacle, elle lui demande de dépenser la sienne. Ce qui le cloue au lit plusieurs jours. Or, il ne doit en aucun cas manifester cette odieuse faiblesse organique devant ses associés circonstanciels (la domination charismatique est un art précis et plutôt ingrat). L'énergie n'est pas infinie par ailleurs et s'il en vient à épuiser ses réserves... Le problème est donc sérieux.
Revenons-en au contexte qui nous tient en haleine.
Lorsque Bill attrape du coin de l'œil la sortie de scène de son acolyte il esquisse un sourire à la satisfaction pointue. Une envie brutale s'exalte en lui : un appel au jeu, à la vengeance et peut-être même à la possession car, plus que jamais, il peut faire un bon usage de Ford Pines.
Il ne l'a pas lâché du regard depuis son arrivée mélodramatique dans le bistrot (son ventre a-t-il pris de l'épaisseur ou est-ce sa paranoïa qui a enflé? Question rhétorique il a toujours oublié un repas sur deux). Voir apparaître le prétendu héros lui aura suscité une presque euphorie auto-satisfaite, de l'aigreur et une pincée de contentement qu'il ne s'explique pas tout à fait - qu'il lance donc par-dessus l'épaule. Il savait que cette Ville était faite pour Ford et que, s'il était là, il s'élancerait à la recherche de tous ses mystères comme l'impayable obsessionnel qu'il est. Il a donc bien fait de poster un guetteur aux dents pointues, en recherche de sa maîtresse parait-il, pour réceptionner le premier vieillard trop curieux et prêt à tout pour obtenir ses réponses. Il savait également où Ford allait chercher en premier. L'avantage d'avoir partagé le même corps.
Il est toutefois semi étonné de le voir rebrousser chemin et s'installer au comptoir, directement à sa gauche et sans le remarquer. Bill s'attendait à ce que ce gaillard, à l'anxiété sociale avérée, ne s'attarde pas une fois le forfait accompli.
Voilà qui est parfaitement amusant. C'est beaucoup trop cocasse, séduisant, pour ne pas lui faire revoir son hostilité à la baisse. Pour les cinq prochaines minutes au moins.
Si Ford s'attable et demande tout sauf un soft c'est qu'il doit en avoir gros sur le cœur, après tout. Une commande tout à fait de circonstance. Elle ferait marrer votre ami. Qu'il minaude en veillant à ne pas se retourner vers l'homme à côté de lui de sorte à ne pas dévoiler ses pupilles trop vite. Pour la même raison ses bras restent croisés à la surface du comptoir poisseux, doigts dissimulés.
Bill, endimanché d'une redingote noire cintrée à la taille et complétée d'un veston à la soie jaune et beige reprend. Et qu'allez-vous faire s'il prend goût à votre sang ? On n'en rencontre pas tous les jours des sains. Parce que quelque chose l'a autant piqué que stimulé dans l'attitude de Ford. Assurément ça lui a donné des idées pour fleurir sa vengeance.

Stanford Filbrick Pines ne changera donc jamais ! Aussi vrai que l'espace et le temps sont deux versions (superflues) d'une même entité, Ford est un indécrottable curieux qui ne s'entichera jamais du moindre savoir-vivre. Et il s'agit d'une constante ô combien agréable car Bill déteste les carcans normatifs. Regardez-le se contorsionner comme un ouistiti à la recherche d'une explication. C'est que les hypothèses doivent tourner sous sa caboche chevelue !
Cela dit comme l'espace et le temps avant elle, cette troisième constante utilisée dans la loi de l'empêchage de tourner en rond tombera sous son contrôle, sera refaçonnée selon son bon vouloir. Il compte bien le rendre activement utile.
Bill pourrait être furieux et peut-être l'a t-il été à un moment ou à un autre, mais le démon-rêve est plus insensible que ça. Il a, certes, l'oblitération facile mais cela n'est jamais personnel (cela impliquerait d'avoir donné de l'importance).
Ses émotions sont versatiles comme une envie de jeu ; son panel comporte surtout euphorie, excitation, rage ou encore frustration. Rien de bien durable une fois l'envie qui va avec dépassée.
Mais ce n'est pas l'absence de sentiment durable qui lui fait passer l'éponge sur ce coup-là. Plutôt du pragmatisme connaissant la valeur de la bestiole.
Et peut-être que la table n'est pas tout à fait rase.
Ne vous méprenez pas : Ford l'amuse. C'était vrai et ça l'est encore maintenant qu'il revoit ses gros sabots et ses pitreries habituelles. Il le désintéresse moins que quiconque. Et ça sera un problème pour toi, Sixer. Tu ne comptes tout de même pas tourner la page?
Bill le surprend passer la main au holster - il le connait suffisamment bien pour savoir où et comment il le porte. Pour savoir que sa doctrine pseudo-héroique et auto-administrée sera plus forte que sa, pourtant pétaradante, paranoïa et qu'il redescendra gentiment sur le plancher des vaches, dans l'enclos de la bonne et presque civique conduite. Fordsy ne peut, après tout, pas encore être sûr de qui il est, si?
Six Fingers est toujours égal à lui-même (et plus le démon y pense, plus quelque chose lui déplaît là-dedans à rebrousse-poil de l'amusement) alors il adule à coup sûr toujours un unique garde-fou : la gentillesse. Parce que le scientifique a toujours été attiré par le crochetage des règles et qu'il s'agit de sa seule limite nasillarde. Quel dommage. Si Bill voulait un ami. Pratique car il veut un pion avec lequel les négociations seront facilement ouvertes.
Bill n'empêche pas un rire de s'élancer vers son hôte après qu'il l'ait vu verser, à l'évidence, un contre-poison dans son breuvage au nom cocasse. C'est encore une fois typiquement ce vieux Ford ! Il se repose, non sans un certain égotisme, sur ses connaissances même dans une situation qu'il comprend possiblement dangereuse. Comme d'habitude il est certain de son coup, que le poison figuré serait moins puissant que son remède de perlimpinpin et il s'y prête en gageant sa vie... Plutôt que d'utiliser la parole à la recherche d'un début d'information.
Si Ford a toujours été prolixe à l'écrit (sûrement parce que son melon bien fourni avait l'impression de s'exprimer post-mortem, postérité dans des circonstances tragiiiques et devant une audience de choix - qui l'écouterait religieusement) il n'a jamais taillé plus que ça la bavette à des étrangers. Sûrement parce que sa jolie pastèque obsessionnelle ne savait pas et n'avait aucune envie de s'épancher sur autre chose que le surnaturel.
Définitivement Ford est exactement lui-même et cela bloque quelque chose en travers de la gorge. Et ce sourire faux à en vomir. Des précautions disait-il ? Oh manqué, je le connais bien. On peut même dire que lui et moi on fait la paire. Plutôt fastoche de trouver du bon personnel dans un univers de poche qui rassemble autant de créatures et où tout le monde a l'impression d'asphyxier. Quand on y met le prix, l'espoir.  Et blablabla.
Bill saisit son verre de vin et en fait élégamment tournoyer le contenu, faussement pensif, puis croise les jambes prestement avant de - sans se tourner vers lui - lui proposer de trinquer dans un mouvement ample qui fait pleuvoir des gouttes sur le comptoir. Un rire au tranchant enthousiaste l'accompagne. Il m'a tout raconté de votre petit arrangement parce que, croyez-le ou non, je recherchais justement quelqu'un de votre trempe. Un indécrottable curieux. Vous n'aurez aucun souci avec lui, j'y veillerai. Pas avec lui, non. Je travaille actuellement sur une technologie poussée mais, si les gros bras sont légion, les scientifiques sont beaucoup moins fréquents. Je vous avoue sécher sur une broutille ou deux ! Comment es-tu passé à autre chose? Quelqu'un qui est prêt à vendre son propre sang pour la connaissance doit être capable de tout, c'est ce que je me suis dit, alors je brûlais de vous rencontrer.

Les lubies vont et viennent. Ce petit jeu le lasse déjà car il souhaite le vif du sujet, qui plus est il gage que son cher ami n'est pas exactement dupe à en juger par la tronche en biais qu'il lui décoche. Sixer est un petit coquinou de fieffé comédien pourtant, ça donne envie de lui rendre quelques répliques avant la clôture du numéro. Si Ford s'y prête, après tout, c'est qu'il se sait contraint de le faire. Voilà qui est arrangeant. Bill n'envisage pas vraiment qu'il puisse ne pas le reconnaître à ce stade et connaissant sa méfiance chronique.
Ce n'est pas très prudent, on ne sait jamais sur qui on tombe mais... Allons bon. J'ai envie de vous faire confiance ! Déclame t-il avec une gaité pernicieuse qui se rit au passage de leur passé commun et de sa petite trahison. Je travaille sur un objet hypothétique qui relierait deux feuillets distincts de l'espace-temps, cela dans le but de quitter cette prison à ciel ouvert. Vous pouvez également appeler ça un portail vers le passé ou encore le salut de tout ce beau monde qui panique ici-bas. C'est vrai et faux. Dans cette hypothèse le portail serait le but final mais Bill devra recharger ses niveaux d'énergie afin de récupérer ses pouvoirs et de ne plus avoir une épée de Damoclès au-dessus de la nuque.
Heureusement pour lui, un trou de ver se manifesterait, d'un côté, comme un trou noir et, de l'autre côté, comme une fontaine blanche de laquelle l'énergie jaillirait de manière infinie. Une anomalie de si grande envergure pourrait suffisamment courber l'espace pour faire oublier la singularité et pour briser les barrières théoriques.
Le démon porte gracieusement son verre de rouge jusqu'à ses lèvres qu'il humecte, la saveur roule agréablement sur cette langue dont il n'est pas encore habitué à la sensibilité - et qui lui a déjà joué quelques tours. Allons ne feignez pas le désintérêt. Je sais que vous mourrez d'impatience d'en savoir plus.
Il appuie ses coudes à la surface du comptoir et noue ses doigts, ostensiblement, sous son menton avant d'enfin retourner une œillade malicieuse sur Ford. Il lui suffit d'indiquer la porte d'un mouvement du visage pour qu'un homme, large comme deux fois son invité et aux yeux carnelés de magenta, ne la bloque avec sa carrure.
Sa pupille fendue de noir sans tain le fixe presque goulument. ça fait une ETERNITE que j'attends de pouvoir avoir cette discussion.

Quel incurable téméraire ce Ford ! Etre nommé fait couler en lui un petit courant d'euphorie pimpante. Grisant. Il faut dire que le fieffé gaillard s'adresse toujours à lui avec emphase dramatique, vous savez celle qu'on destine à sa Némésis dessinée sur mesure ou entre les bulles d'onomatopées, ou au fer rouge dans les tripes. Est-ce réciproque ? Pas vraiment - aux yeux de Bill il était peut-être son favori mais toujours un pion - on salue toutefois l'implication dévote du scientifique qui, comme toujours, se donne à 100% dans la relation même lorsqu'elle est mauvaise. Et encore l'est-elle vraiment ? Aux oreilles du démon-trublion tout cela sonne comme une saynète qui s'additionne aux précédentes, une banalité qui flirte avec la familiarité pure et simple. Il n'attend dans tous les cas pas le consentement de son ami, qui est conscrit dans cette continuité aussi longtemps qu'il le voudra.
Cela dit il ne distingue pas le dégoût qui servirait de contre-poison faiblard, il aurait été temps pourtant, mais purement de l'action-réaction. Ford s'est même prêté au jeu de la comédie, c'est dire à quel point il a la folie de suspendre son aversion. Ce bonhomme est décalé, même s'il essaie de s'en tenir à un bien théorique, sa curiosité lancinante lui coûtera toujours cher !
Le démon-rêve apprécie d'entendre ce timbre rauque, échaudé, si sérieux.
Il n'y en a pas deux des comme lui (enfin peut-être que si, en farfouillant du côté des univers alternatifs mais ça n'aurait probablement pas la même saveur extatico-amère sous la dent). Bill papillonne des cils avec avidité tout en le mirant intensément, comme on vérifierait la fraicheur, histoire de bien démontrer ô combien sa menace fait trembloter son corps organique. Il lâche un soupir d'aise en relâchant affablement son verre sur le comptoir, petite révérence du chapeau pour singer de l'approbation et une salutation en bonne et due forme. Ford, mon vieil ami. Susurre t-il en ouvrant sa main gantée vers lui, faisant évidemment fi des jérémiades qui lui sont opposées. Il lui propose d'entrée de jeu une poignée de main pour intimider. Tututut. Tu ne devrais pas faire le difficile, crois-moi.
Amère ? Pourquoi ce mot est-il venu se glisser dans sa narration déjà ? Ah oui, c'est vrai que Ford l'a presque tué. Et qu'il continue son train-train de découvreur compulsif comme si de rien n'était. Il ne sait pas bien dire où ou comment a commencé son aigreur, alors qu'il pourrait aisément s'en tenir au factuel, mais elle est bien là.
Et Ford prend un peu trop ses aises pour que cela ne trahisse pas quelque chose d'exaspérant : a-t-il compris qu'il n'était pas au meilleur de sa forme ? Entre eux et toi je dirais que la réponse est... MOI.
Sans crier gare ses pupilles virent au rouge explosif et Bill pointe Ford du bout de sa canne au pommeau d'albâtre ; un souffle d'énergie télékinésique emporte aussitôt l'inventeur dans les airs et tête vers le bas. Bill, dont l'amusement est toujours sadique et c'est encore plus vrai aujourd'hui où il a une émotion mauvaise, le secoue comme s'il n'était qu'une poupée de chiffon - brutalement, à-coups de haut en bas et de gauche à droite sans aucun pattern autre que celui des tressautements de sa furie joueuse - jusqu'à ce que sa maudite arme ne tombe au sol. Le démon la dégage de l'équation d'un coup de botte, le tout sous la liesse moqueuse de ses sbires qui révèlent occuper tout le volume du commerce.
Satané corps de chairs ! Un odieux filet sanguin, aux effluves terreuses et métalliques, s'ébruite hors de sa narine et, même si sa main libre l'efface du revers d'un mouchoir de soie, aucun doute que son ami trop observateur l'aura vu. Il décide de couper court, de trancher dans le vif. De faire mal.
Bill s'approche à pas prédateurs et applique soigneusement ses mains gantées de blanc contre les joues du scientifique qui pend toujours, son index suit - en prenant tout son temps - le sillon d'une trace d'âge. C'est presque tendre, à tel point que ses yeux redeviennent jaunes. Parce que tu n'as pas le choix mon cher Stanford, parce que tu as du cœur. L'une de ses mains le cajole toujours tandis que l'autre braque sa canne vers la salle du bar qui, tout de suite, prend feu. Tu n'as pas idée des dégâts que je compte causer à cette ville qui n'est pas préparée à ma venue. Tu veux vraiment courir le risque Fordsy ?

C'est qu'il s'époumone et bourrine des ordres le lascar ! Comme à son habitude Ford ne connait pas la peur et ça contribue autant à son charme - parce que Bill a son joujou doté de répondant et que ça anime l'envie primaire de plus - qu'à son côté enquiquinant - parce que ses garde-fous désuets le sont. Et ils sont aussi frustrants. Cipher déteste les carcans qu'ils soient sociétaux, moraux, physiques ou biologiques et sait que Ford ne les tolère pas follement - il était le premier à s'insurger contre le sommeil quand celui-ci venait le faucher à la belle époque. Et pourtant Brainiac s'encombre.
Le scientifique n'est pas uniquement grognon, un défaut de caractère qui pourrait se faire pardonner, non non, il se sent évidemment investi d'un principe supérieur. Ah ses grands airs. Attendrissants et décevants.
Le démon-rêve est persuadé que son ex-partenaire aurait trouvé sa place dans sa coterie monstrueuse, il ne lui a pas proposé une place pour rien, Sixer étant obnibulé depuis toujours par le paranormal au sens le plus strict du terme. Le bonhomme était prêt à tout mettre entre parenthèses, à reléguer tout le reste à un degré d'importance insignifiant (poubelle) si cela pouvait faire avancer ses recherches. S'il lorgnait certainement sur la renommée, Bill sait que la GRANDE THEORIE DE L'UNIFICATION DU BIZARRE avait un sens plus identitaire que ça. Ford avait besoin de croire à une dimension où il pourrait exister de tout son soûl. Une nécessité qui aura même éclipsé F les bons conseils. Ford avait besoin de se sentir spécial et reconnu pour le fait de l'être, pas qu'on le renvoie à la norme. Et il a été flagorné par un être que son égo chérissait comme plus qu'un égal.
Bill ne spécule pas, pour avoir été à l'intérieur de sa caboche, il sait que Fordsy lui vouait une affection telle qu'il voyait sa silhouette dans les étoiles. Et ça, ça ne s'efface pas comme ça. PERSONNE n'a été en capacité de lui fournir un trilliardième de ce qu'il a suscité chez lui.
Il compte le lui rappeler et le libérer de ses entraves comme il a libéré sa dimension.
Après l'avoir fait souffrir comme ils ont...
Attendez, quoi ? Certes ils ont hurlé, factuellement. Mais il a farouchement aimé ça.
Cocasse. Bill n'avait jamais eu le moindre besoin de voir les choses sous un angle un tantinet contrarié et préfère, immédiatement, jeter l'émotion en contrebas de son attention. Ce qu'il fait d'ailleurs en associant le geste à la pensée, mimant un jet de projectile sans mettre quiconque dans la confidence. Il devra certainement revoir les réglages de ce corps organique, borné par des œillères chimiques, les paramètres d'usine ne lui conviennent pas. Peut-être sera t-il plus confortable après quelques électrochocs ?
C'est toucher la peau de ce bon vieux Ford qui lui aura provoqué cet étrange... Comment le nommer ? Début-distant-de-cas-de-conscience. La sensiblerie est-elle transmissible ? HA-HA. Bien sûr que non. Mais si Ford y croit, pourquoi pas. Pratique.
Ses pupilles s'effilent tandis qu'il poursuit sa palpation sur ses joues négligemment rasées, entre le geste qui flatte une bonne bête et celui qui expertise sa valeur marchande.
Il rit avidement lorsqu'il le sent se raidir. Il n'a toujours pas besoin de son consentement et, pourtant, l'extase est moins intense que lorsque Ford lui donnait tout et lui abdiquait même le contrôle. Toujours frustrant de ne pas en revenir au point culminant déjà atteint - enfin il y en a eu d'autres, bien sûr, nous parlons bien du point culminant de leur petite relation. Qu'est-ce qu'il peut être revanchard. Aux yeux de Bill c'est tout ce qui le retient de céder.
Ford parvient enfin à dé-planter et à lancer l'une des bravades dont il a le secret. Un simulateur d'apesanteur portatif alors ? Bill approuve le moove d'un sourire pointu et denté. Il lève une main pour intercepter l'assaut trop zélé de l'un de ses sous-fifres qui flottait à vive allure vers Ford. Tatata, c'est la sortie des artistes pour vous les gars. Papa et maman ont besoin de parler. Qu'il chantonne en sautant allégrement sur le comptoir, domptant avec aisance et hilarité la carence en pesanteur, bien belle synergie avec sa lévitation. Il récupère au passage le verre de Ford qu'il engloutit d'une traite adroite et claque des doigts ce qui suffit à ouvrir la porte du troquet et à siphonner les portefaix vers l'extérieur. Puis la porte se referme.
Il savait bien que Sixer ne pourrait pas résister à une possible entente - encore moins lorsque des vies misérables sont autant dans la balance que les questions que doit lui poser son corps humain. Petit curieux.
Un instant il arrête de le regarder comme un jouet et le regarde les yeux dans les yeux, comme un homme. C'est ce à quoi Stanford semble prétendre et, soyons honnêtes, ce à quoi il a toujours été sensible. Je sais que tu n'as pas peur de moi et tu sais bien que c'est réciproque. Murmure t-il d'une voix feutrée, en s'approchant de lui sans relâcher l'intensité du contact visuel. Il lui fait ensuite un clin d'œil. Mais tu me prends par les sentiments Sixer. Il hausse les épaules et ferme les yeux comme s'il lui glissait un aveu. Je te l'ai dit j'attendais fiévreusement nos retrouvailles. Alors d'accord, parlons, nous avons beaucoup de choses à rattraper n'est-ce pas ? J'imagine que tu brûles de savoir comment j'en ai réchappé - rengaine tes excuses c'est oublié -et de comprendre comment j'ai pu accéder à la troisième dimension de sorte à obtenir cette forme ? - Car oui c'est bien mon corps. Qu'il précise pour titiller sa curiosité. Je peux répondre à tout ça et à bien plus encore, tu t'en doutes. Pour te divulgacher un peu : disons que cet univers de poche a un rapport très particulier avec le temps et la matière. Mais ça tu dois déjà le savoir, tu voudrais comprendre LEQUEL n'est-ce pas ? C'est étrange de pouvoir le fixer à partir d'un corps aussi humain que l'est le sien. Cipher se penche sur lui, au mépris de son espace personnel. Nous nous comprenons mieux que quiconque Fordsy et nous avons travaillé ensemble deux magnifiques années - même si ça s'est mal fini. Ne me dis pas que ça ne te tente pas, même si tu te méfies de moi comme de la peste, de recevoir mon coup de pouce ? Et je te l'admets... J'aurais bien besoin du tien en retour. Nouveau ça n'est-ce pas ? Il lui lance un sourire tentateur en bénéficiant de sa proximité. Il joue, essaie. J'ai effectivement besoin de toi. Il lui tend une nouvelle poignée de main. C'est purement pour la symbolique, je ne peux plus conclure de marchés.