Hello, old friend - Han & Leia

Il y avait des signes de la Force qui ne trompaient pas. De ceux qui lui apparaissaient soudainement et qui était de telles évidences qu’il n’aurait pu s’en détourner. Cela avait été le cas de la présence de Leïa. Luke l’avait senti immédiatement, dès son arrivée sur Nowhere. Il avait su, dès la seconde où elle était s’était à son tour retrouvée propulsée dans cette ville, quelques mois après lui, qu’elle était là. Qu’elle était présence. Qu’elle était perdue. Et qu’il se devait de la retrouver au plus vite. Alors Luke avait abandonné tout ce qu’il était en train de faire, quittant séance tenante les lieux à sa recherche, tant et si bien qu’il ne s’était passer que quelques heures avant que les jumeaux ne soient réunis dans ce monde étrange. Parce que malgré tout ce qui pouvait se passer sur Nowhere, malgré toutes les possibles interférences dans son rapport à la Force que Luke avait pu expérimenter, leur lien était bien plus fort que cela. Leur lien était dans la Force elle-même. Et Luke n’aurait, pour rien au monde, pu rester éloigné de sa sœur trop longtemps dans ces conditions.

Et puis il y avait ces signes bien plus subtils, qui interpellait Luke sans qu’il ne parvienne à comprendre, dans un premier temps, de quoi il pouvait bien en retourner. Cela avait commencé comme des impressions de déjà-vu, des souvenirs qui n’avaient jamais existés. Puis ces rêves qui s’étaient manifestés dans son sommeil, dont il ne parvenait à bien se souvenir à son réveil, images floues cachées derrière des écrans d’une épaisse fumée, mais dont le sentiment lui semblait si proche de ceux des visions prémonitoires offertes par la Force. Luke avait pris le temps, alors. De se poser sur ces sensations. De se plonger dans une profonde méditation. Et d’y laisser chacune de ses réflexions parasitées par son intellect pour ne plus accepter que ce qui semblait bien être une évidence : il s’agissait de Han. Et si Luke ne faisait pas d’erreur, Han était bien présent, à son tour, sur Nowhere.

Le Jedi n’avait cependant pu le confirmer directement, ses perceptions de la Force bien trop brouillées par les énergies si différentes qui pouvaient émaner de créatures toutes aussi diverses que nombreuses ; s’il pouvait distinguer assez clairement la présence de ceux qui étaient dans un environnement proche, il ne pouvait être certain de vraiment repérer ceux qui étaient par trop éloignés. Alors une fois de plus, il n’avait pas attendu. Et il s’était mis en route pour cet endroit où le guidaient ses pas : le quartier de Juggernaut. Un instant, il s’était même demandé s’il ne devrait pas faire appel au Mandalorian qui, après tout, avait toujours été chasseur de prime, mais il y avait un je ne sais quoi qui l’avait aussitôt retenu ; il n’était pas certain de vouloir que ces deux-là fassent connaissance ainsi, voire même qu’ils fassent connaissance tout court, sans pouvoir s’expliquer pourquoi exactement. Peu importe. Il verrait cela plus tard. Pour le moment, une seule chose comptait : s’assurer de la véracité de son intuition et pouvoir, enfin, ramener Han auprès de sa sœur.

Car voilà pourquoi Luke n’avait rien dit à Leia avant de partir à la recherche de son meilleur ami. Il était hors de question de faire naître chez sa jumelle un faux espoir qu’il ne pouvait lui confirmer. Il savait à quel point Han pouvait lui manquer, à quel point l’homme était devenu un pilier dans sa vie, malgré leurs chamailleries incessantes, alors il ne voulait, ne pouvait se permettre de lui faire croire au songe de sa présence s’il s’avérait qu’il faisait erreur. Ce qu’il n’espérait bien sûr pas. Car au-delà de sa sœur, Luke, lui aussi, se languissait d’enfin retrouver son meilleur ami.

Et lorsqu’enfin c’est le cas, le si imperturbable maître Jedi ne peut s’empêcher de sourire, amusé, en reconnaissant cette silhouette si familière, affalé sur le tabouret d’un bar, le nez plongé dans sa boisson. La vision est familière, presque réconfortante, d’autant plus que l’ambiance des lieux lui rappelle une fameuse cantina perdue sur Tatooine, dans la si sableuse Mos Esley. C’est peut-être ce qui motive Luke, alors qu’il s’approche à pas feutrés, silencieux, avant de se glisser sur le tabouret à côté de celui du sien : « Combien pour aller secourir une princesse avec un vieil ami et un droïde ? » Comme pour marquer ces mots, lui qui avait acceptés de jusqu’alors garder le silence, R2D2 pépie aux côtés de Luke pour saluer l’ancien contrebandier. Nul doute que c’est bien Han. Et, par la Force et avec son aide, ils se sont enfin retrouvés.

Han Solo, général de la Résistance, voyageur infatigable, un peu escroc, beaucoup contrebandier, indéniablement baroudeur galactique, vétéran d’une guerre galactique où forces mystiques avaient eu une part prépondérante, aurait pu vous dire que plus rien ne pouvait le surprendre. Il en avait vu de belles, après tout ! Il avait suivi dans des péripéties improbables celle qui allait devenir sa femme, et celui qui était de fait et son beau frère et son meilleur ami, afin de libérer des milliers de peuples d’un empire tyrannique. Quand même, ce n’est pas rien.

Et pourtant, il se serait fourvoyé de cette simple vantardise. La Fin des Temps, des Multivers, et de quasi tout le reste, ça l’avait particulièrement impacté. Ça, et le mur qu’il avait fini par percuter après avoir dévaler une dizaine de marches en pierre, et qui sur le moment a été un choc plus immédiat que la disparition de son ancienne vie. Parce que voyez-vous, Han a beau avoir une chance insolente, elle n’intervient que pour le tirer de situations impossibles où, soit ses propres désinvoltures et erreurs, soit un manque de bol incroyable le font systématiquement plonger. Comme il avait plongé, ce jour-là, dans les escaliers de la Tour des Sorciers de ce qu’il apprendrait plus tard être le quartier de Juggernaut. Le pas d’avant il était en train de courir vers le poste de pilotage de son vaisseau pour tenter de dégommer un escadron de fanatiques nostalgiques de l’ancien Empire déchut, et le suivant son pied ne rencontrait que le vide, puis une marche, une autre, et il dévalait sans pouvoir s’arrêter l’escalier en colimaçon, jusqu’à ce que son épaule entre en contact, bien trop rudement, avec un mur en pierre de taille indéniablement plus solide que lui. Autant pour Leia, qui prétendait souvent qu’il avait la tête si dure qu’on pourrait casser du duracier avec. Ce n’était en tous cas pas le cas de son épaule face à un mur de plusieurs mètres d’épaisseur.

Il n’avait pas tout de suite compris l’agitation qui avait suivit son arrivée dans ce lieu étrange. Des tas de gens -des humains, de ce qu’il en savait ?- en espèce de robes ou de longues tuniques alambiquées s’étaient précipités alors qu’il était encore recroquevillé de la douleur de son épaule démise, et bon, il les avait peut-être un peu enguirlandé de l’avoir d’une façon ou d’une autre attiré ici. Et eux semblaient tout à fait persuadé qu’il avait pénétré il ne savait quel endroit interdit volontairement, et qu’il était un genre d’espion ? Bref. Le ton était monté. Il avait été arrêté. Quelques fois, rien n’était nouveau sous le soleil, même quand le soleil lui-même l’était.

C’était il y a déjà deux mois, maintenant. Et Han n’était pas resté aux arrêts longtemps. La confusion quant à son identité et sa présence avait rapidement été levée, alors même qu’on le soignait dans un hôpital des plus étranges, où se mêlaient des espèces de rites -on lui avait parlé de magie ? Han aurait voulu appeler ça des superstitions, mais après avoir été forcé de revoir son jugement sur la Force, il s’appliquait à ne plus porter des jugements si hâtifs sur les croyances des autres. Par pure prudence.- et de la technologie qu’il ne reconnaissait pas. Avec un discours qui semblait avoir été répété bien des fois, on lui avait expliqué, avec prudence, et par étape. Non, personne n’était responsable de sa venue ici. Non, son vaisseau, ou les personnes qui étaient avec lui à ce moment-là, n’avait pas fait le voyage en même temps, et peut-être même pas du tout. Oui, il était, comme toutes les personnes présentes à Nowhere, coincé sur ce petit, minuscule petit bout de monde, et il n’y avait aucun retour en arrière possible. Que ça lui plaise ou pas, il devrait s’habituer, et faire avec. Que ça lui plaise ou non, il n’y avait pas énormément de chance qu’il retrouve qui que ce soit de son ancienne vie, et il avait tout perdu. Il y avait bien un centre dans le quartier qui prenait les doléances de recherche, au cas où. Mais les demandes étaient innombrables, ici et dans les autres quartiers, et les ressources pour les traiter insuffisantes.

Deux mois. Deux mois que Han avait eu pour encaisser, et au final, c’est cet impact là qui avait le plus mal, sur le long terme. Son épaule guérissait. Le dispensaire et les aides qui avaient été mis à sa disposition avaient permis de voir venir au jour le jour, et il avait fait quelques petits boulots le temps de se remettre. Mais il ne pouvait pas rester à tourner en rond. Il ne pouvait pas vivoter en espérant oublier tout ce qu’il n’avait plus. Han n’avait pas la Force. Littéralement, entendons-nous. Mais sur les trois personnes qu’il voulait absolument retrouver, deux l’avaient. Lui aurait pu fouiller Nowhere pendant des années, sans jamais tomber sur quelqu’un qu’il connaissait, mais si ses deux mois ici l’avaient convaincu d’une chose, c’est que Luke et Leia ne devaient pas être là. Même si les premières semaines, il avait sursauté quelques fois, à une voix, à une silhouette, à l’espoir absurde que la Force avait pu les réunir, les guider à lui. Oh, il savait que même ce minuscule espoir était vain, et il avait fini par l’enterrer. Ce qu’il ne pouvait pas enterrer, pas fuir, c’était le manque. Celui de Chewie, qui avait été à ses côtés si longtemps et dont les dettes de vie l’un envers l’autre étaient innombrables. De Luke, qui même si leurs chemins se séparaient parfois, se retrouvaient toujours. Luke que Han avait suivi au-delà de tout ce qu’il aurait pu imaginer. Luke dont les paroles avaient poussé le contrebandier à faire demi-tour, rallier la résistance au péril de sa vie, tout risquer, même le courroux de Jabba, pour faire ce qui était juste, enfin. Et le manque de Leia. Dont l’amour l’étonnait toujours, lui qui avait agit comme s’il était une évidence, une fois qu’il l’avait deviné chez elle. Leia et sa force incroyable, et sa bonté étendue à toute la galaxie, plus grande encore. Leia, la femme de sa vie. Evaporée dans l’écroulement des univers, comme tout le reste.

C’est ce manque là que Han ne pouvait supporter, celui de celle et ceux qui avaient le plus compté pour lui. C’est ce qui l’avait poussé à envisager sérieusement la proposition de rejoindre l’Avant-garde. Son expérience militaire, même peu académique, aurait pu être précieuse. Et c’était prenant. Et dangereux. Assez pour lui occuper l’esprit ? Il n’en savait rien, et c’est un peu ça qu’il ruminait, décidé à prendre une très sérieuse dernière cuite dans une taverne du centre-ville, avant de s’arrêter définitivement sur sa décision.

Mais Han, c’est Han. Et au milieu de ce nouveau coup du sort, à la dernière minute, comme toujours, un renversement de situation peut lui sauter à la figure. Ça aurait pu commencer par une bataille de taverne. Une attaque de milice, ou de monstre, qui sait ? Un séisme apocalyptique, il n’était plus à ça près.

Mais rien, rien n’aurait plus le déstabiliser que la voix qui l’interpelle, alors que, les yeux rivés sur un verre d’un quelconque alcool local à peu près buvable, il rumine son sort et sa décision à venir.

A ses futurs enfants, ou petits enfants, Han raconterai sans doute qu’il a eu une réplique assurée, sourire aux lèvres eu joie au cœur, et qu’il avait invité son vieil ami comme s’ils s’étaient séparés la veille. Décontraction, arrogance, un trait d’humour, Han Solo dans toute sa splendeur, quoi.

La vérité, c’est qu’il sursaute et se redresse si vite que le verre qu’il tenait en main se reverse partout sur sa manche et sur la table, qu’il manque de tomber en se prenant les pieds dans la chaise alors qu’il se relève d’un coup, et qu’il bafouille quand ses yeux lui affirment ce qu’il ne peut pas encore croire.

- Lu… Luke ?! C’est toi ?! Comment es-tu là ?

C’est Luke, il ne peut douter une seconde de l’identité de son ami, de son sourire si calme, de ses yeux rieurs, c’est LUKE et il est VIVANT et il est ICI.

Il y aurait eu mille façons de répondre à la question de Han. Luke en entraperçoit rapidement quelques unes d’entre elles, alors que d’un geste discret, il stabilise le verre de son ami, non sans avoir pu lui éviter de déverser tout son contenu au préalable sur la manche de l’ancien contrebandier – mais au moins n’y aura-t-il pas de casse. Il sait, d’expérience, que Leïa aurait sans aucun doute choisi le sarcasme, si elle n’avait pas avant décidé de faire taire toute interrogation de son époux de l’un de leurs fougueux baisers qui faisaient sourire doucement Luke et le poussait à détourner le regard. Il entend presque d’ici les grognements qu’aurait eu Chewbacca dans une explication pleine de ronchonnements, avant d’étouffer dans ses bras celui de qui il partageait les aventures depuis tant d’années. Il pouvait presque même entendre les plaisanteries d’un Lando qui aurait exigé un verre avant toute réponse, le monologue sans fin et si terre à terre de C3PO, les trillements agités d’un R2D2 dont, fort heureusement, Han n’aurait sans doute pas compris la moitié. C’est un sentiment doux-amer que cette projection de son esprit lui laisse en bouche, sachant que seulement deux des personnes citées précédemment ne sont aujourd’hui présents à ses côtés. Mais cela ne serait gâché le sentiment de joie si profond qui empli son cœur à la vue de Han. Et si Luke peut imaginer la réaction de tous leurs amis, c’est avec l’un de ses sourires si particuliers qu’il ne réserve qu’à lui, mélange de bienveillance et d’une légère dose d’amusement, juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans la moquerie : « Il semble que la Force ait décidé de me mener jusqu’à toi. Comment pourrait-il en être autrement ? »

L’ironie que l’on pourrait percevoir dans ces mots n’en est pas réellement, puisqu’il ne s’agit ici que de la plus pure vérité. Mais Luke peut déjà prévoir que, si le choc le lui permets, Han ne pourra s’empêcher de maugréer sur les capacités de son ami qui, certes, les ont plus d’une fois tiré de situations les plus complexes, mais lui reste par trop inconnues. C’est sur ce même choc, d’ailleurs, qu’il met le fait que Han n’est pas relevé la mention de la princesse qui, ils le savent tous deux, ne peut être que sa sœur. Faisant preuve d’indulgence, Luke se permet de ne pas le faire remarquer tout de suite – et se gardera bien, d’ailleurs, de jamais le raconter à Leïa, sous peine de faire subir quelques réprimandes à Han dont il aurait longtemps entendu parler. Après tout, Han semble déjà avoir du mal à encaisser sa propre présence, lui qui se trouve en face de lui, alors ses mots ? Le maître Jedi en est certain, cette réalisation viendra bien assez vite et si tel n’est pas le cas, il se chargera de doucement la lui souffler. Mais, pour le moment, il a mieux à faire. Pour le moment, il se doit de retrouver dignement son ami. Et pour cela, c’est lui qui, chose quelque peu exceptionnelle quand on les connaît, amorce une étreinte amicale, lui qui, s’il ne rechigne jamais aux effusions de joie de son beau-frère, lui laisse en général prendre l’initiative de ces contacts. Mais il est bien trop heureux, Luke, de le retrouver pour attendre qu’il soit totalement remis de cette surprise. Han est là. Han est vivant. Et lorsque Luke s’écarte pour plonger son regard si bleu dans les yeux marrons de son ami, c’est avec une pointe d’inquiétude qu’il l’interroge : « Comment vas-tu ? »

Ici aussi, il le sait, il y aurait mille façons de lui répondre et, même s’il ne voit pas Han se lancer dans quelques tirades philosophiques, tout ce qu’il pourra lui dire, bien sûr, l’intéresse. Parce que derrière cette question s’en bousculent tant d’autres que Luke ne manquera pas de poser en temps voulu : depuis combien de temps Han est-il présent ? Quels sont ses derniers souvenirs de leur monde ? Comment a-t-il survécu jusqu’ici ? Est-il seul ? A cette dernière interrogation, malheureusement, Luke pense pouvoir répondre de lui-même, ne voyant aucune personne alentour pouvant se révéler être Chewbacca ayant pris apparence humaine, comme il sait que cela a pu arrivé à d’autres sur Nowhere, et encore moins de créature de plus de deux mètres de haut couverte d’une épaisse fourrure marron. Prenant sur lui d’inciter gentiment son ami à se rassoir d’une main sur son épaule, peu certain qu’il y aurait pensé de lui-même tout de suite après le choc émotionnel vécu, il s’installe sur le tabouret à ses côtés, faisant signe au barman de leur servir deux verres, Han n’ayant plus rien à boire après son accident précédent. Puis, comme pour revenir sur la question précédente, Luke préfère amener quelques précisions : « Je suppose que tu as entendu parler du Collapse ? Pour ma part, cela fait plus de deux ans que je suis ici. J’ai eu le temps de me faire à ce monde, comme tu t’en doute. Mais j’essaye régulièrement de retrouver la trace de personnes que j’ai pu connaître et je suis content d’être tombé sur toi. » Sincère, il l’est toujours, Luke, et ses mots sont même bien en deçà du sentiment qu’il éprouve en cet instant. C’est une joie sans commune mesure, presque aussi intense que celle qu’il avait ressenti au moment de retrouver Leïa, qui habite son cœur. Alors oui, il le sait, il n’est pas censé s’attacher, selon les préceptes Jedi. Mais cela fait longtemps que Luke a abandonné toute velléité de lutter face à son attachement pour ses amis, pour ceux qui sont, depuis si longtemps, sa seule et unique famille. C’est Han qui est en face de lui. Han a qui il doit plus d’une fois la vie. Alors il assume ce sentiment, qu’il laisse s’étendre dans la Force. Han n’est pas un danger, ne l’a jamais été. Et il est plus qu’heureux de pouvoir enfin le ramener auprès d’eux.

C’est simple, Han n’y croit pas. Il n’y croit tout simplement pas, il n’arrive pas à réaliser, sur le coup. Les paroles de Luke semblent cotonneuses, comme entendues à travers un verre épais, et Han ne peux que cligner des yeux d’un air passablement ahurit à son explication.

La Force ? La force l’a amené ici ? Elle a bon dos la Force, elle peut faire traverser des cataclysmes multidimensionnels, la Force ?! Une seconde, juste parce que c’est vraiment, vraiment trop beau pour être vrai, Han doute. Oh, pas un doute construit, pas une élucubration d’un complot qui le viserait pour une raison même pas identifiable. Mais il a tellement espéré de retrouver quelqu’un qu’il connaissait. De revoir Luke. Leia. Un de leurs amis, un visage familier. Il s’est réveillé plusieurs fois, désorienté, dans la petite cellule qui lui servait de chambre, en se demandant ce qu’il foutait là et pourquoi il n’était pas dans le Faucon, ou dans sa chambre avec Leia, avant que la réalité ne vienne le percuter cruellement de nouveau. Alors, oui, une once de Han doute, se demande brièvement si l’alcool qu’il a bu, même en si petite quantité, n’est pas frelaté et ne lui fait pas avoir des foutues visions. Surement que Luke va disparaitre en fumée, comme dans ses cauchemars, surement que…
Mais Luke l’étreint, et si le choc explique le temps de latence de Han qui ne bouge pas un instant, l’instant d’après il serre son ami si fort dans ses bras qu’il a l’impression qu’il pourrait le briser.
Mais Luke a toujours, toujours été bien plus fort qu’il ne le parait, bien entendu. Et ce contact, cette chaleur, ces bras amis, Han ne pourrait pas les inventer. Luke est ici. Vivant. Et quand il le relâche et s’assoit, Han retombe sur son banc, et retrouve soudain la parole, comme s’ils n’avaient jamais arrêté de discuter. Comme, surtout, s’ils avaient des mois, des années de retard dans cette discussion avec lui.

- Comment je vais ? Comme quelqu’un qui a vu un fantôme ! Oh pardon, deux fantômes. Si on m’avait dit un jour que je serai si heureux de revoir cette boite de conserve !

R2 a lâché un trille offusqué, que Han n’a pas prit la peine de traduire mais qu’il a compris tout aussi bien. Le sentiment de familiarité est si puissant qu’il en est presque douloureux, mais Han n’échangerait ça pour rien au monde. Il ne peut détacher son regard de Luke, indifférent aux boissons qui leurs sont ramenées, et il boit ses paroles.

- Attend, tu veux dire que ça fait deux ans que tu es là ? Vraiment ? Mais qu’est ce que tu as pu faire tout ce temps, lever une autre rébellion galactique ?

Le sarcasme et l’humour comme défense, toujours. Comme moyen de reprendre pied, parce qu’il en a besoin, parce qu’une fois de plus, sa vie vient de basculer. Ou de se remettre sur son axe, en fait. Et c’est le fait de Luke. Forcément.
Ses deux mois de solitudes lui semblent si absurdement négligeables, face à cette durée de deux ans. Et Luke n’a pas retrouvé Han tout de suite, bien entendu, parce que Han n’était pas encore là, mais il n’a pas non plus immédiatement perçu dans la Force son arrivée, sinon Luke serait venu plus tôt, il en est certain, ou alors il était encore dans les ennuis jusqu’au cou, ou est-ce que la Force est perturbée, ici, ou quelque chose comme ça ? Han est loin, très loin d’être un spécialiste, mais il a assez côtoyé son ami Jedi pour savoir que « quelque chose comme ça» était infiniment crédible.
Mais au-delà de ces détails, qui oui, ne sont que détails maintenant qu’ils se sont retrouvés, il y a ces mots, les premiers mots que Luke lui a adressés, et non, Han n’est pas passé à côté. Le choc a peut-être un peu ralenti sa réaction, excusez-le du peu, mais bien entendu qu’il a comprit ce que Luke a dit, bien entendu qu’il ne peut que s’y accrocher, d’un espoir si fou qu’il est douloureux, qu’il enserre sa poitrine, éraille sa voix, alors qu’il attrape le poignet de Luke.

- Luke. Tu as parlé de chercher une princesse…

Il n’y a plus l’once d’un sarcasme, dans sa voix. Son regard supplie son beau-frère, son meilleur ami. Luke n’aurait jamais, jamais fait naitre ce sentiment en lui sans raison, Han en est certain, mais ça semble si fou. Bien trop beau pour être vrai, bien trop pour que Han en mérite autant, d’un seul coup.

- Luke. Est-ce que Leia pourrait être ici, est-ce que tu l’a senti ? Luke si elle est là on doit la retrouver.

Ils n’ont même pas une seule seconde à perdre dans cette taverne qui lui semble soudain miteuse. Si Leia est à Nowhere, si il peut la REVOIR. Han n’aura jamais un moyen d’aller assez vite pour la chercher, la trouver. La retrouver, et ne plus jamais la perdre, une seule seconde.

Si Han parvient à le faire sourire de cette manière si unique, qui lui est entièrement réservée, il en est de même pour ce petit rire qui s’échappe de ses lèvres. Léger comme l’air, aux tintements aussi pures que du cristal, pour la simple et bonne raison que Luke est heureux, sincèrement. Parce qu’il retrouve Han, son meilleur ami, son frère, avec qui il a tant affronté. Parce que Han est vivant et que s’il l’a devant les yeux, s’il l’a perçu au travers de la Force, il le sent surtout dans cette étreinte un peu trop bourrue, presque maladroite, qui répond à la sienne avec autant de vigueur. Peu importe si l’espace de quelques instants c’est trop fort, peu importe si ça fait presque mal ou si ça lui coupe le souffle. Peu importe, parce que c’est Han et que Luke se serait jeté sans une hésitation dans les dangers les plus périlleux pour lui, sur les planètes les plus arides s’il le fallait ; il l’a, en réalité, déjà fait. Et s’il n’avait pu, cette fois, rien faire pour lui venir en aide, rien pour lui sauver la vie, impuissant qu’il avait été malgré son statut de Maître Jedi face au phénomène d’effondrement qui avait décimé des milliards d’univers différents, ce qu’il ressentait en le retrouvant vivant, enfin, n’était que pure bonheur. Un bonheur presque trop grand, sur lequel il lui faudrait méditer par la suite, le laisser s’écouler dans la Force pour ne pas qu’il en vienne à le perturber. Mais un bonheur qu’il voulait savourer, comme il savourait en cet instant chaque seconde passée à ses côtés, même une fois qu’ils se séparent, que Han se laisse guider pour se rassoir, enfin. « R2, s’il te plaît. » Qu’il réprimande malgré tout le droïde tout en prenant place à son tour, amusé malgré lui-même des turpitudes de son ami de métal. Il le sait, au fond, que lui aussi est heureux de voir Han et honnêtement, Luke ne se souvient pas de l’avoir vu un jour exprimer autrement son affection.

Et si son ami boude les boissons qu’on leur apporte, ça n’est pas son cas, puisque le Jedi s’en saisit pour en prendre une gorgée, toujours amusé par ses exclamations de surprise ahurie. Il se permet même, Luke, de lever les yeux au ciel à la mention d’une rébellion, avant de légèrement secouer la tête en signe de dénégation, sans rebondir sur ses éternels sarcasmes : « Pas vraiment, mais il faut dire que rien ici ne le nécessite pour le moment. Nowhere est encore très jeune et si le système en place n’est pas parfait, au moins essaye-t-il d’être juste pour tous, dans son ensemble. Non, en réalité, j’ai fondé une école et je m’occupe principalement des enfants dotés de capacités spéciales… Et de quelques adultes, aussi, parfois. » Il pense à Trunks, notamment, venu le solliciter récemment et se demande, en aparté avec lui-même, si d’autres viendront. Quant à l’école, il sait qu’il n’a pas besoin d’en dire plus pour le moment et qu’il pourra toujours expliquer tout cela à Han en temps voulu, quand celui-ci pourra y être réceptif. Parce qu’il le voit bien, que son ami est encore largement perturbé par son arrivée surprise, par ces retrouvailles intempestives. Comment pourrait-il ne pas l’être ? Il l’a senti, bien avant de le voir, que Han n’allait pas bien, que la solitude semblait l’entourer comme un manteau trop sombre, trop lourd et le contraste avec son arrivée ne peut qu’être des plus difficiles à digérer. Alors il aurait le temps, plus tard, de lui donner plus d’informations. Quand Han parviendrait à gérer ses propres émotions. Et surtout, quand il aurait enfin compris la plus importante de toutes celles que Luke lui avait donné jusqu’à présent. La présence de Leïa.

L’ancien Rebel a presque l’impression de pouvoir voir le moment de cette réalisation se peindre sur les traits de Han, alors qu’il sent la main de l’autre lui saisir le poignet, qu’il entend sa voix soudain moins claire, moins assurée. Et il sait qu’il pourrait faire durer quelque peu le suspens, Luke. Jouer avec ses nerfs, se faire plus mystérieux. Mais il est hors de question qu’il lui fasse subir cela, pas alors que Han est si perturbé, si inquiet. Alors qu’il se contente de venir poser une main sur celle de son ami, dans un geste rassurant : « Ne t’en fais pas, Han. Elle va bien. Nous nous sommes retrouvés depuis longtemps et nous travaillons même ensemble. Et e te promets de te mener à elle dès que tu n’auras plus cette tête de revenant qui ne manquerait pas de l’inquiéter si elle te voyait ainsi. » D’un geste discret, Luke pousse gentiment vers Han le verre qui l’attend. L’autre a clairement besoin de reprendre des forces, de se calmer, aussi. Et si Luke est loin d’être étranger des situations émotionnellement compliquées, il préfère prendre le temps. Pour Han, d’abord. Pour sa sœur, ensuite. Même si, une chose est certaine à ses yeux : dans moins d’une heure, ces deux-là se seront enfin retrouvés.

Han ne serait pas arrivé où il en est dans sa vie, et surtout, ne serait pas resté longtemps vivant vu sa facilité à frôler la mort bien trop régulièrement, s’il n’avait pas eu une capacité innée à rebondir, quelle que soit la situation, quoique la vie, la Force, l’Univers ou tout le reste lui envoyait à la figure. On ne pouvait pas se permettre de rester choqué ou assommé par la surprise plus de quelques secondes quand on se faisait canarder, après tout, que ce soit dans l’espace ou sur le sol d’une planète douteuse, encerclé de toute part.

Il reviendrait sans doute plus tard dessus, plutôt que de dormir, il mettrait sans doute un moment à intégrer complètement que c’était BON, qu’il avait retrouvé Luke, mais ce n’était même pas dit ! Han avait toujours eu tendance à attraper au vol la corde salvatrice sur le chemin de son existence, et s’y accrocher où qu’elle le mène. Cette corde, actuellement, c’était Luke, et le choc faisait déjà place en Han à une curiosité dévorante sur ce que devenait son ami, une envie de partager avec lui, de réunir leurs existences.

- Une école ? Alors, tu as trouvé d’autres élèves ?

Han savait que Luke avait à cœur de transmettre l’héritage Jedi qui était le sien. De partager les enseignements qu’il avait pu recevoir, même s’ils avaient été bien trop courts, interrompus l’un après l’autre par la mort des deux seuls Jedi qui avaient été ses maîtres, derniers gardiens de leur philosophie et leur savoir. Ça lui allait bien, à Luke, d’enseigner. Ça canalisait cet enthousiasme qui le caractérisait et l’avait fait partir à travers la galaxie à la recherche d’une princesse inconnue, prendre fait et cause contre un empire entier. Ça dans un but noble, haut, complètement altruiste une nouvelle fois, et même si Han s’était plusieurs fois gentiment moqué de son ami, une fois encore il l’admirait. Et il demanderait sans doute bien des détails encore de cette nouvelle aventure, plus tard, quand ils en auraient le temps. Parce que là, c’est une autre bombe que lâche Luke à sa question à propos de Leia. Luke SAIT OU ELLE EST ?! Et il a la prétention de le faire attendre ?

Oh que non, Han est déjà debout de nouveau, incapable d’être patient une seule seconde alors que Leia est VIVANTE et LA et que Luke sait où la trouver !

- Tu veux que j’attende ? C’est hors de question !

Qu’est ce qui peut passer par la tête de Luke pour suggérer quelque chose d’aussi absurde ! Han veut partir, dès maintenant, ne pas manquer une seule seconde de plus après les deux mois interminables qu’il vient de passer, à sentir ses espoirs s’éteindre un par un.

- Et tiens regarde, j’ai déjà fini.

Si tout ce qui manque à Luke pour quitter cette taverne qui fu la favorite de Han dans ce quartier morose, et vient de perdre tout intérêt à ses yeux depuis que Luke y est entré, c’est qu’il finisse son verre, Han ne se fera pas priver ! Il attrape la commande que Luke a passé pour lui, se moque absolument de ce qu’elle contient, et avec toute la conviction d’un homme qui n’a jamais été plus pressé dans sa vie, en avale d’un trait le contenu. Ça lui vaut de tousser un peu, les yeux rougis et la gorge enflammée, même s’il reprend en essayant de se donner la contenance de quelqu’un qui ne vient pas de brûler la gorge avec la gnole locale.

- On y va tout de suite, oui ! Et puis quoi, dix minutes après m’avoir rencontré on était dans des égouts Dans lesquelles ELLE nous avait jeté. Elle m’a vu pire que ça.

Il ne pouvait pas la faire attendre. Non, en fait, lui n’était pas si altruiste, et même si jamais il ne voudrait faire souffrir Leia, l’absolue vérité était que LUI ne pouvait pas attendre. Parce qu’une partie de lui ne pouvait pas y croire. Comme il n’avait commencé à réaliser que Luke était bien devant lui que quand il l’avait enlacé, il ne pourrait croire en l’existence de Leia dans cette réalité, vraiment y croire, vraiment réaliser, que quand il l’aurait dans ses bras.