Les corbeaux volent là où est la charogne. [PV Qrow]

Ironwood n’appréciait pas la situation. Lui qui aimait mener la danse, délivrer ses pensées, ses doutes et ses ressentis selon sa convenance, ses règles, ses réserves. Il n’était pas prêt à être épluché. Sauf peut-être par Ozpin, fut un temps. Car voilà le pouvoir de cet homme qu’il avait suivi, ce n’était ni son immortalité, ni sa magie ; c’était sa capacité à être un lâcher prise pour ceux en qui il avait placé ses ambitions. A apporter des réponses dans l’insoutenable ignorance, à écouter leurs doutes en ayant l’air de ne jamais y goûter lui-même, à être le guide dont ils avaient besoin. L’ancien général savait pour autant que ça n’avait pas été le cas, ce n’était qu’illusion alors que le magicien vivait finalement avec la peur chevillée au corps. Cependant James ne se risquerait pas à le sous-estimer s'il venait à revenir car il savait qu’il était faible face à lui ; face à ses discours, à son assurance, au chemin qu’il promettait de toujours baliser.

Avec Qrow ce n’était pas la même chose, il se révélait encore plus à vif sans pour autant s’y adonner de sa pleine volonté. Il sentait l’homme aux cheveux d’Ebène grattait couche après couche vers le son cœur mou et vicié. Et les hésitations de celui qui lui faisaient face le rendait encore plus embarrassé... non... effrayé.

Les choses avaient changé. C’était évident. Et pourtant ce n’était pas quelque chose d’agréable à entendre. Car le changement, quand il n’était pas contrôlé, était juste une potentielle crise. Pour autant les mots de Qrow étaient loin d’être aussi aiguisés qu’il put le prévoir, lui offrant même une forme de bénédiction. Une partie de lui voulait la réfuter, reprendre les tourments qui les animaient encore quelques minutes auparavant pour valider la fin de leur accord et de leur entente. Car il ne pouvait se permettre de rajouter la variable Qrow dans l’équation ; la preuve de son instabilité encore amère.

Oublier les risques. Les voilà chacun en train de savoir que le risque était présent. Pour James c’était le risque d’être compromis, c’était le risque qu’il réutilise sa semblance à outrance pour sortir de situation qui le laissait désarmée. Pour Qrow, Ironwood était le risque. Relents de la guerre qui les avaient séparés et qui avait amené à de sinistres sacrifices. Il serra les lèvres en une fine ligne pâle, essayant de refaire un visage imperméable. Difficile de faire cet exercice quand le corbeau avouait à demi-mots que l’affection avait et existait toujours mais qu’elle était impossible à cause des actes passés et de leurs possibles retour sous d’autres formes. Car Ironwood restait et resterait Ironwood. Même s'il n’utilisait plus sa semblance, il savait aussi qu’il devait faire parfois des choix difficiles. Il ne pouvait démentir auprès du brun.

bien avancés. C’était le cas de le dire. James observa le corps de Qrow suivre la fatigue de son esprit, admira même sa façon de se mouvoir en accord avec lui-même. Appréciant sa voix cassée, sa nonchalance cachant son sérieux mortel et ses mouvements traduisant d’un complet désintérêt pour les étiquettes. C’était juste Qrow. Dans tout ce qu’il était.

“J’imagine qu’en effet, nous n’avons pas beaucoup de possibilité qui s’ouvre devant nous pour
préserver ce monde. Tu ne l’abandonneras pas, moi non plus. Peu importe que nos visions s’opposent.
J’imagine que nous avons deux choix qui s’offrent à nous.” Il finit par se tourner pour se diriger vers le salon, lassé de rester dans l’espace exigüe de l’entrée pour discuter. “ Soit nous décidons de ne pas laisser nos sentiments et notre passé dicter nos choix et nous coupons tout contact pour préserver notre intégrité
d’action. Sans interférer. J’imagine à quel point cette possibilité ne te satisfait pas. Soit nous acceptons que nous avons tous les deux un passif et nous nous organisons en fonction. Je te laisserais avoir un peu plus de latitude sur la politique, ainsi tu pourras mesurer le risque que je représente pour Nowhere, Et de mon côté, je te mandaterais sur des missions, comme ça tu ne seras pas seulement un électron libre.”
James s’arrêta en chemin, des pensées parasites se glissant entre deux calculs, lui disant que le changement d’attitude de Qrow était étrangement corrélé au fait qu’Ironwood avait décidé de l’évincer des affaires de Nexus. Et une partie de lui se demandait si cette soudaine tentative d’apaisement avait quelque chose à voir avec le fait que le brun voulait toujours avoir accès à ces réseaux. Comme quand ils étaient rentrés chez Jacques Schnee en prétextant être invités. Qrow était un espion après tout.

Il les balaya. Elles revenaient. Il les rebalaya. “Que penses-tu de ce partenariat ?”

Qrow suit le conseiller sans mot dire, les épaules nonchalamment balancées vers l'arrière et les bras tombants, émotionnellement exténué par cette rixe qui dénude trop de contradictions et de vérités coûteuses. L'abstinence est dure à porter pour celui qui n'a que trop l'habitude de s'anesthésier dans les verres et de faire couler ses émotions douloureuses. Il le suit alors que sa conscience est indécise, qu'elle lui murmure qu'il est encore temps de rebrousser chemin et de clôturer ce semi parjure. La colère s'est absentée, certes, mais elle est toujours à l'orée de ses tripes endolories. S'il a vu juste - et il a encore du mal à le conceptualiser - James s'est déclaré. Cela n'efface pas l'ardoise, cela ne résout rien, bien au contraire. S'il a bien des sentiments pour lui cela ne l'a pas dissuadé de le mettre aux arrêts sans la moindre forme de discussion. Si même ça ne peut pas le faire réfléchir, qu'est-ce qui l'atteindra ? Il ne remet pas en question son écrasante sincérité et c'est bien pour ça que le corbeau est à ce point désarçonné. Comment le général a t-il pu en arriver à de telles extrémités alors qu'il a bien un cœur ?
Le corbeau n'arrive pas à raisonnablement se persuader que les choses seront différentes, ici, car Ironwood n'a pas formulé de regret distinct. Et même si l'attirance est mutuelle, qu'elle date de loin, comment Qrow peut-il faire passer sa petite personne avant la colère qu'il doit à Clover et à Mantle ? A ses nièces.
Il y a, bien sûr, autre chose.
Qrow est terrifié. De toute sa vie, personne ne l'a jamais aimé si paradoxalement, en dépit de tout, de cette façon et il fallait que ça soit James. Si relation il y avait, elle risquerait bien de les détruire tous les deux.

Cependant, ils ne se sont pas tout dit et, ne serait-ce que pour Nowhere, l'oiseau de jais ne se donne pas le droit de fuir le dénouement de ce règlement de cœur. Ses pas traînent donc à la suite des enjambées droites puis Qrow dépasse l'autre homme pour aller lourdement s'affaler sur le canapé, comme on y bazarderait tout le poids du monde. Il s'adosse tapageusement à l'assise, glisse un bras dessus et étend ses jambes devant lui. Une migraine puissante pulse désormais et il ne sait pas distribuer la responsabilité que cela soit à son sevrage ou à ses tourments intérieurs. Le corbeau se frotte les tempes d'une main lourde.
Ce qu'il pense de ce partenariat, hein ? Je pense que c'est risqué. Lâche t-il de sa voix esquintée après avoir poussé l'énième soupire tiraillé de la soirée. Mais, comme tu le disais, on ne lâchera le morceau ni l'un ni l'autre. Ni Ironwood ni lui, il en est parfaitement conscient, n'accepteraient de laisser les affaires de Nowhere là où elles sont. Penser qu'on pourra gentiment s'éviter serait naïf. Le mieux c'est peut-être bien de... De ne pas se tirer dans les pattes alors qu'on a visiblement le même objectif. Ne pas être coupé des informations est la meilleure façon de savoir où et comment se positionner. Un rire sans joie, fatigué, est poussé. Il y a deux choses que je voudrais tirer au clair avant. Il se redresse vers Ironwood. Premièrement est-ce que t'as des regrets ? Qrow en a assez des détours, il lui pose la question avec intransigeance. Je veux savoir ce qui sera différent, cette fois. Son regard relâche malgré lui sa pression, s'absente. Et en c'qui concerne nos sentiments... Tiens-toi suffisamment loin de moi. Limitons les contacts à l'essentiel... Sinon la catastrophe est garantie. J'ai déjà déjoué la chance incarnée. Ses derniers mots raclent sa gorgent, serrent son torse, laissent entrevoir sa culpabilité de nouveau.

Le même objectif, ils l'avaient poursuivie de nombreuses années, jusqu'à ce que pour lui ils se dressent l'un contre l'autre. Contrairement au brun qui avait prit l'espace du canapé pour y échouer son corps longiligne et désarticulé, Ironwood s'installa dans un siège à l'assise rigide, reposant son dos sur le dossier qui était tout aussi droit et inconfortable que lui. Difficile de nier à quel pont ils étaient deux hommes fait de plaies, loin de ce qu'ils avaient pu être lors de leur jeunesse. Ils ne brillaient plus. Ironwood ne s'illusionnait qu'en dernier recours. Ils étaient des terres auxquels on avait mit volontairement feu pour tout suite produire : être productif, être opérationnel. Peut-être que le général y avait mis de l'essence avec une main plus leste encore, et il n'y avait plus de chance qu'une fleure fleurisse par inadvertance sur ce qu'il avait laissé. Qrow était quand à lui peut-être fatigué mais toujours capable de saisir la vie qui il la voyait proliférer pour la chérir.

Il avait besoin de voir en face de lui l'humanité, vérifier qu'elle était toujours présente ; peut-être était ce pour ça qu'il s'était détourné d'Ozpin, et c'était assurément pour ça qu'il avait renié le gardien d'Atlas. Ca faisait parti de sa personnalité que James admirait, aimait et de ce pendant qu'il haïssait très rarement. Car sans lui, il n'aurait pas à répondre à ces questions. James savait que leur alliance dépendait de ses réponses. Et peut-être même de sa capacité à justifier ses actions, à les modérer. Ce n'était pas ce que le brun voulait faire. Car il était le propriétaire et le coupable de ses actes. Le conseiller resta silencieux, laissant l'espion poser ses conditions, toutes, pour mieux les opposer ou les accepter.

C'qui concerne nos sentiments... Tiens-toi suffisamment loin de moi. Son coeur tomba en chute libre dans son torse, s'écorchant sur les piques nacrées de ses côtes. Limitons les contacts à l'essentiel... Sinon la catastrophe est garantie. James aurait voulu tenir ses émotions en laisse, les contraindre, ne pas les laisser se peindre sur son visage qui perdit toute couleur alors que ses yeux s'écarquillaient. Il ouvrit la bouche sans savoir quoi dire. C'était loin des hésitations de Qrow et il ne s'attendait pas à un tel revers, même si son désamour était bien acté. Le corbeau n'était pas mesquin. Quand il voulait dire quelque chose, il le faisait directement et ne remuait pas le couteau dans la plaie. Et sans Mettle, James se senti balbutier, comme un enfant.

J'ai déjà déjoué la chance incarnée.

"Je n'entendais pas... je ne comptais pas te..." gêner, incommoder, dégouter ? Aucun vocabulaire ne semblait faire sens. La chance incarnée ?
Il se redressa sur son siège avec une hésitation. Etait-il possible que Qrow ne parle pas d'Ironwood ? Il n'osait pas y penser, tout le conduisait à la conclusion inverse, alors pourquoi son esprit était incapable de juste accepter la plus probable des données pour se jeter sur une graine d'incertitude, en espérant la cultiver.

Il secoua la tête et fini par s'exprimer. "Tu ne m'épargne pas avec tes questions... J'ai évidemment des regrets." James se releva et se mit devant sa fenêtre pour la regarder plutôt que son invité. "Tous les matins je me lève avec des remords et regrets qui sont chevillés à moi. Je me demande si j'ai suivi le bon chemin, je sais que ce n'est pas le cas, mais j'ignore lequel était celui qui aurait pu sauver le monde. Je... Je ne porte pas mes actes au nues, au contraire. J'ai conscience de la monstruosité de nombreuses de mes actions. Et de la gratuité de certaines." Les morts qu'il avait provoqué de sa gâchette pour s'épargner une incertitude, une contradiction. "Ce qui sera différent." Certain secret, il aurait voulu les garder. Cependant, étant donné qu'il allait demander la même honnêteté au corbeau quelques secondes plus tard, il se résolu.

"Ce qui me retenait..." Il fit tourner sa main devant son visage, observant ses reflets élégants qui dissimulait les nombreux engrenages, câbles et électroniques qui le composait. "... Ce qui m'empêchait d'agir sur Atlas était ma culpabilité. Le poids de mes actions, ce que ça provoquait comme souffrance. Ca a toujours été un aspect de ma personnalité que j'ai accepté. En tout cas toléré. Qui sommes nous sans nos remords ? Sans nos doutes ? J'imagine qu'Ozpin aurait un laïus très inspiré sur la question." Il laissa un rire terne s'échapper de ses lèvres. "Sauf que face à Salem et à ses armées, comment gagner ? Face à un monstre, rester humain est un cruel désavantage. Car elle n'a pas hésiter à faire les sacrifices que nous ne pouvions pas faire. J'ai essayé de tenir la ligne que nous avions décidé. Jusqu'au bout. Cependant..."

Il reposa sa main contre le rebord de la fenêtre, le regard plongé sur une scène qui ne se déroulait pas ici, mais dans un autre monde. "Face à la catastrophe, j'ai décidé de laisser mes émotions de côtés, de les museler, de rendre les sacrifices non pas négligeables mais tolérables. Et pour cela j'ai pris appuie sur ma semblance." James se tourna vers Qrow et croisa les bras dans son dos, comme si il lui faisait un rapport de mission. "Elle m'a permit d'aller aussi loin. Ce n'est... J'ai décidé de ne plus y avoir recours pour gérer les affaires de Nowhere. J'ai conscience qu'elle a eu un poids non négligeable dans ce qui s'est passé. Et je ne l'ai pas fait depuis mon arrivé."

Ainsi dit, il fini sur le sujet. "Si tu as des questions, je peux y répondre en toute franchise. Cependant j'ai besoin d'avoir ton honnêteté en gage de la mienne pour cette fois. De quoi as tu peur nous concernant ? Quels sont ces sentiments que tu prétends avoir à mon égard ? N'ais pas peur de me blesser."

Il vient de faire un mal de chien à Ironwood. Difficile de croire que l'homme de métal n'a pas d'émotions quand celles-ci explosent comme ça sur ses traits ouverts. Qrow n'arrive pas à en tirer la moindre satisfaction. Il n'arrive pas à le cacher ; ses yeux se dévient vers un point quelconque, ailleurs, alors qu'il aurait pu renchérir ou seulement couper court.
Il ne l'a jamais vu si vulnérable et il le connait pourtant depuis près de vingt ans.
Il y a un fossé intraduisible entre ce que James donne à voir maintenant et l'imperméabilité de son regard d'il y a quelques instants. Le corbeau ne comprend pas ce qui peut expliquer ce grand écart et ça vrille ses tripes. Chaque hésitation de James lui donne une furieuse envie de le détromper mais le corbeau doit tenir sa position. Ne pas invoquer Misfortune comme une explication qui éclipserait tout le reste, tout ce qui doit les séparer.
Qrow a le cœur qui s'élance plus qu'il ne le faudrait et il en est bien conscient.
Lorsque le conseiller va se positionner devant la fenêtre, Qrow se redresse sur le canapé pour trouver une position moins tapageuse et, inconsciemment, pour marquer son écoute.
Les doutes et les douleurs de l'ex-général ne ricochent pas contre son indifférence, cela fait un moment déjà que l'oiseau de jais n'est plus suffisamment braqué. Quelque part il attendait ces confessions là pour pouvoir consolider ses espoirs, selon lesquels James aurait bien changé ou serait en volonté de le faire. Parce que c'est attractif.
Et les révélations du conseiller lèvent un voile opaque - si tant est qu'on décide d'y croire. Le corbeau n'a jamais entendu parler de la semblance de James et l'explication de celle-ci arrive de manière avantageuse.
Malgré les réserves qui se dressent dans un premier temps, Qrow sait que le conseiller est toujours honnête - qu'il l'est resté même dans tout son jusqu'auboutisme hermétique à tout dialogue. Il pousse un soupire à rompre l'âme et se pince l'arrête du nez, encaissant et contraint à une nouvelle délibération alors que ses affects compliquent énormément la donne. Qrow a toujours été animé par ses sentiments et se trouve plus à hauteur d'hommes que de systèmes, qu'il l'admette ou non. Cette semblance... Ressemble à un véritable poison et a le potentiel d'être addictive... Et sur ça, il en connait un rayon. Etre déchargé de la charge émotionnelle dans la prise de décision est un souhait que beaucoup pourraient faire, à tort. C'est un engrenage qui peut actionner le pire, rétrospectivement les évènements s'emboitent non pas différemment mais sous un autre éclairage.
C'est presque trop facile, lui dit la part de son esprit encore battante, trop facile qu'il y ait une explication à toutes ses actions. A ses ordres.
Il glisse sur ses pieds avant d'avoir bien visualisé ce qu'il comptait faire et s'avance de quelques pas dans le dos du soldat de fer. Lorsque Ironwood se retourne sur lui, Qrow s'avance d'un cran supplémentaire, le regard concerné et sérieux. Il pose une main sur sa hanche et s'exprime d'une voix franche. Je suis soulagé d'savoir que t'as des regrets. C'est rude, c'est maladroit, mais c'est direct. Il ne compte pas le dédouaner de toute culpabilité. Et je doute pas de ça. Une légère nuance, sa voix s'adoucit, devient un filet marmonné. Je pense que t'es sobre depuis plus longtemps que moi si t'as pas utilisé ta semblance depuis ton arrivée ici. Et il s'avance d'un pas, encore. J'crois qu'on a tous les deux voulu noyer la peur dans quelque chose. Eh, je sais que c'est tentant. J'ai pas la prétention de savoir comment on aurait pu battre Salem. Il secoue le visage à la négative, fatigué. On peut pas dire qu'Oz nous ait éclairé là-dessus... Mais j'crois pas qu'il s'agisse de faire des sacrifices. Ses poings se serrent et se réouvrent comme on laisserait filer une idée parasite, rêche. J'crois que si les gamins ont réussi à sauver ton peuple c'est parce qu'ils ont refusé d'en faire, au contraire. On peut pas gagner en jouant sur le même terrain qu'elle. Et ça vaudrait même pas le coup de gagner comme ça. Il n'y a pas, vraiment, de reproche dans ce qu'il avance c'est plus esquinté que ça. J'veux bien croire que t'as changé. Et c'est beaucoup, c'est sûrement le plus qu'il puisse lui donne à défaut de son cœur entier. Parce que Misfortune l'empêche dans tous les cas de faire un saut pareil.
Un nouveau soupire, écorné et écorché, cingle en réponse à la demande du conseiller. Qrow a conscience qu'Ironwood vient de lui en dévoiler énormément mais il a du mal à se résoudre à réciproquer, par crainte que sa peur soit envoyée dans les cordes, minimisée. Par crainte de céder trop de terrain et de tout détruire. Que je "prétends avoir", hein ? Commence t-il, un peu rocailleux après avoir poussé un rire sans joie, vide. Il se frotte la nuque sans même le réaliser. Tu te penses à ce point repoussant ? Il ironise sans ferveur, c'est sûrement sa dernière protection. J'ai peur de pas savoir m'arrêter, Jimmy. Sans l'anticiper il relève dans les yeux bleus du conseiller un regard perdu. Qui se fronce aussitôt pour tâcher de masquer. J'peux pas prendre le risque, te faire courir le risque... A toi, déjà, à Nowhere aussi puisque t'es conseiller. Sa mâchoire se serre. Il n'a vraiment pas l'habitude d'être ouvert et sérieux sur cette question qui le tenaille. Ma semblance pourrait bien te tuer. Et le plus dur reste à avouer. Parce que ça fait un bail que... que tu me plais, vraiment. C'était plus simple de l'oublier quand on se prenait le bec. Je suis maudit, James, je peux pas être proche de quelqu'un. Pas comme ça.

Qrow était proche de lui, James pouvait sentir sa présence dans chaque particule de son corps organique. C’était plus que son aura, c’était son souffle, sa chaleur, sa personnalité qui raisonnait autour du conseiller. L’ancien militaire n’aurait pas voulu plus de douceur de la part de l’espion, il aimait ses brusqueries, sa franchise qui était en général totale. Ses agacements, ses piques, ses oppositions... C’était Qrow. Il n’était pas attendu de lui qu’il soit autrement, qu’il soit plus conciliant. C’était ce qui rendait leur relation émulante mais complexe, quand ils travaillaient encore ensemble.

Ironwood n’était pas prêt à comparer sa semblance à l’ivresse de l’alcool, même s'il ne nierait pas la crainte que représentait Salem et le mal absolue dont elle était capable. Par sa semblance, il était conscient, ses souvenirs étaient limpides, ses actions ne souffraient d’aucune forme d’hésitation. Il comprenait en quoi le brun faisait ce raccourcie ; il songeait à sa semblance comme à une fuite, un moyen d’anesthésier la douleur ; mais il n’en était rien. Elle était au contraire ce qui lui permettait de se confronter plus frontalement encore au problème. Et si son usage lui avait échappé, autant que la situation, il ne remettrait pas en cause sa nature et ne la comparerait pas à une drogue.

Surtout que l’espion faisait encore fausse route. Qu’il semblait encore croire en cer monde sauvé qu’il lui brandissait devant le visage. Et ça, James ne voulait pas lui enlever, ce qui ne l’empêchait pas de se retenir de lui hurler la vérité. Croire que l’équipe RWBY et ses suivants avaient sauvés le monde était une belle utopie ; le conseiller voudrait également y croire pour ne pas porter sur ses épaules le poids de la fin du monde imminente ; mais le fait était que non, ce n’était pas le cas. Leur jusqu’au boutisme pour ne pas faire de concession avait participé à la chute d’Atlas et à celle de Remnant.



Ouvrir la bouche c’était briser ce qui était en train de se passer ; il était déjà trop craintif qu’il ne s’agisse que d’un mirage. Alors il parlerait plus tard, il remercierait Qrow de sa franchise en lui donnant la sienne. Là, il l’écoutait, il essayait de saisir les précieux aveux du Chasseur. James ne voulait pas s’arrêter, il n’avait jamais voulu s’arrêter. Visiblement ce n’était pas le cas de l’espion, c’était bien l’écho que le général avait eu de leurs nombreuses interactions et la cause était sa semblance. Celle que James n’avait jamais considéré. Qrow semblait lui porter une capacité destructrice d’ampleur.

“Tu me sembles moins maudit qu’éprouvé.” James détailla le visage marqué de Qrow, ses traits fins et ce regard toujours aussi jeune. “Eprouvé par le passé et par les malheurs qui y figurent. Si ta semblance fait partie de ton existence, elle n’en gouverne pas les moindres détails. Les pertes que tu as vécues... elles étaient toujours portées par un contexte. Je ne prétends pas connaître ta vie mais pour ce que j’en sais, ceux qui ont péris l’ont fait pour des valeurs ; des héros tombés au combat, des soldats répondant à des ordres. Ta seule présence n’a pas suffi à provoquer les circonstances qui ont menés à leur mort. Tu as sauvé tellement de vie. Je te le redis, tu as accompagné sur Atlas ces jeunes chasseurs qui ont survécus grâce à toi. Et à ta semblance. Mon malheur répond à mes actes ou au hasard, mais dans tous les cas, amplifié ou pas, je ne vais pas taire mes aspirations pour du hasard. Je ne veux pas abandonner. Pas pour cette raison.”

Il aurait voulu passer sa main sur Qrow, sur une épaule, sur la ligne de sa mâchoire. Finalement il soupira.

“Mais tes nièces et leurs amis n’ont pas sauvés Remnant. J’entends que tu veux y croire, mais Salem a réussi à mettre la main sur les deux reliques avant de faire tomber Atlas. Elle est plus puissante que jamais. En tout cas, jusqu’à notre arrivée ici. Je ne nie pas l’héroïsme de leur posture, mais je questionne les conséquences. Et ça, tu dois le savoir avant de t’engager.”

C'est précisément ce qu'il craignait. Ses yeux rubis veulent dire non puis se figent car il sait que c'est peine perdue. Ironwood ne veut pas se figurer les risques liés à sa semblance, une fois encore son discours les démonte méthodiquement en s'appuyant sur l'idée d'une balance penchant du côté de ce que le corbeau aurait apporté de bon. James a trop d'estime envers Qrow, tout pourrait être paradoxal puisqu'il l'a relégué aux geôles et que les gamins dont il parle favorablement se sont opposés à lui, mais cela démontre encore la pensée clivée, compartimentée, de l'ex-général. James est capable d'éprouver et de trancher la seconde d'après, sa semblance l'y a sûrement aidé.

Ce n'est pas comme ça que ça marche, Misfortune n'est jamais neutralisée, pas comme ça que trente années à redouter les contacts humains peuvent s'envoler. Et pourtant... Qrow est honteusement sensible à ce discours parce qu'il ne lui a jamais été tenu, parce qu'il a toujours souhaité trouver sa place. Il se racle la gorge, malgré lui soumis à une déferlante d'émotions qui ne sont pas toutes négatives. Tu m'idéalises.

La proximité physique de l'autre homme n'aide pas à mesurer les risques. L'oiseau de jais n'est pas particulièrement doué pour se retenir, il l'est davantage pour fuir avant de devoir le faire et ici, c'est trop tard. Et puis il y a autre chose. Ce que dit James aurait tendance à le décharger de tellement de responsabilités, d'une en particulier qui ne s'est pas cicatrisée. Qrow voudrait rejeter cette amnistie avec plus de force. Eprouvé, il l'est. Ou pour moins s'apitoyer, il est fatigué. De devoir en permanence fuir les contacts désirés, d'avoir constamment la tête basse malgré ses airs tapageurs et provocants qui ne sont que des feintes, des esquives. L'homme face à lui, qu'il observe comme s'il cherchait à parer, ne semble pas moins esquinté que lui avec ses lourdes cernes et ses cheveux partiellement désordonnés. L'apparence de James diffère de celle de ses jeunes années, moins entretenue, moins en parade, plus usée. Depuis combien de temps James nourrit il ses sentiments ? La question est difficile à formuler, à accepter, à avaler, à encaisser. A ignorer.

Des soldats répondant à des ordres. C'est comme ça qu'Ironwood décide de le dire et Qrow ne sait pas déterminer s'il prend ainsi ses responsabilités ou au contraire une insoutenable distance par rapport à Clover qu'il continue à ne pas nommer. L'oiseau de mauvaise augure serre une fois encore les poings avant de tout relâcher dans un soupire profond, qui fait écho à celui du conseiller.
Il était si proche de céder, si proche de l'empoigner de nouveau pour finir ce qui avait été commencé. Mais les dernières paroles d'Ironwood le glacent et auraient pu le cribler de colère. S'il n'avait pas entendu et ressenti sa précédent confession. Qrow comprend pourquoi James lui dit ça, maintenant en particulier. Toi et ton honnêteté... Lâche t-il d'une voix claquante mais pas vraiment âpre, teintée d'une affection qu'il n'est plus possible de nier. Le conseiller veut vraisemblablement dévoiler ses pensées avant que les limites ne soient encore plus brouillées et c'est... à noter. Je sais comment tu penses, Jimmy. Mais Salem n'est pas ici. Il a cherché des traces de la reine partout, sans jamais tomber sur une preuve de sa présence. Cependant, même s'il aurait voulu s'engager là-dessus et partir sur un nouveau départ, sans ce facteur pour obscurcir l'horizon, ce n'est pas aussi simple. Le but n'était pas de sauver Remnant mais de sauver Atlas. J'en suis conscient. Même si c'est dur à dire, Qrow sait bien que si le Collapse n'avait pas eu lieu ils auraient été confrontés à une ennemie plus puissante que jamais.
Le corbeau cède du terrain et le fait de plus en plus consciemment. Une part de lui se dit qu'il peut, cette fois, raisonner Ironwood. Celui-ci lui a dévoilé sa semblance et ses sentiments, c'est sûrement trop pour que Qrow puisse résister à l'envie qu'il combattait. C'est le fait que nous ayons été désunis qui a permis à Salem de récupérer les reliques. Je refuse que ça se reproduise ici... C'est trop simple lui hurle sa conscience mais cela ne suffit plus à le retenir ; Qrow dépose ses deux mains sur les joues d'Ironwood et le tire fermement vers lui, à l'effleurement de leurs lèvres.

Qrow avait une vision focalisée des enjeux. James n’arrivait pas à concéder que sauver les poissons alors que l’aquarium était en train de céder était prendre le problème à l’envers. Cependant il y avait une différence entre prioriser un problème et agir dans le désintérêt d’une partie de la population et ça... Ironwood voulait bien concéder qu’il avait sa responsabilité. Qu’il avait perdu pied et fait du tord à de nombreuses personnes. Et qu’il n’aurait pas dû réagir à l’irresponsabilité et aux réactions à chaud par le voie implacable et irréversible de la violence.

“Je suis d’accord.” Dit-il, son souffle se faisant plus lourd alors que le regard de Qrow était à quelque centimètre en dessous du sien. “Nous devons éviter une nouvelle scission au sein de nos rangs, sinon nous allons de nouveau échouer.” James acceptait leur alliance, il la demandait car il n’y avait que deux choix devant lui ; soit il travaillait en équipe, soit il ferait en sorte d’être complétement seul. Plus seul encore que lorsque les communications à Remnant avaient été coupé et leur petit groupe éparpillé. Avec l’espion il voulait croire que la première solution était une alternative viable.

Le baiser venait cueillir son visage soucieux, les enjeux derrières leur rapprochement le ramenant à cet espace, à cet instant où il s’était appuyé sur son épaule sans retenue. Avec un sentiment mêlé de solitude et de soulagement envahissant son esprit. Alors c’est avec le même mélange d’émotion qu’il finit par nouer leur relation de ses lèvres. Ça n’était pas brutale ou empressé, il prenait son temps, comme on prendrait le temps d’inhaler un parfum rassurant sur un vêtement encore chaud ou comme on s’appliquerait à réchauffer ses mains devant un foyer crépitant en pleine hiver. Il hésita et fini par passer ses bras sous les épaules du brun pour les nouer sur sa chute de rein, l’encerclant dans une étreinte chaleureuse.

Rien de ce qu’elle donnait n’était organique, peut-être mentait-elle sur sa nature, prétendant qu’ils étaient deux humains, mais Ironwood en profita. Non, il n’idéalisait pas Qrow. Ou pas suffisamment pour contraster avec son désamour de lui-même. Il l’avait vu tiquer, il l’avait vu s’échapper mentalement des arguments que le conseiller avait avancé. Alors James en trouverait d’autre.

Il s’écarta légèrement du corbeau, sentant ses cheveux doux et désordonnés caresser la peau de son menton alors qu’il redressait la tête. Un pas rigide et il s’éloigna en arrière, comme un militaire rentrant dans le rang. Cependant il gardait toujours ses mains proches de la silhouette longiligne, sa paume ayant cueillie l’avant-bras de Qrow. “Si tu ne te fais pas confiance, fais confiance en ma capacité à survivre. Pas un ennemi n’a réussi à m’achever, pas un moment de ma vie je n’ai su comment survivre. Je n’ai pas peur de ta semblance Qrow, mais je suis le mieux placé pour y faire face. Car jamais je ne fais quelque chose sans en calculer le coût. Jamais je n’entre dans une situation sans en imaginer tous les scénarios et surtout les plus dramatique. Je suis capable d’y survivre. Et ...”

James s’arrêta en se rendant compte d’à quel point la mort de Clover Ebi l’avait marqué. Evidemment, le conseiller savait que la perte avait ébranlé l’homme, le deuil était acide et encore en cours. Mais il avait sous-estimé à quel point il y avait un avant et un après pour Qrow concernant sa semblance. A quel point c’était la validation totale et sans concession de toutes les craintes que le corbeau pouvait vouer à lui-même, à quel point de tous les évènements qui l’avait marqué dans sa vie, celui-ci validait tout ce qu’il pensait de sa néfaste semblance.

Il se retint de rentrer de nouveau dans le débat qu’il savait perdu d’avance.

“Je ne laisserais aucun drame arriver par mauvaise augure”

Il aimerait y croire. Il aimerait penser qu'ils sont vraiment d'accord. Il en aurait sacrément besoin pour pouvoir s'autoriser ce qu'il est déjà en train de faire.
Cependant le corbeau sait qu'ils s'accordent sur un désaccord et que celui-ci a seulement été remis à plus tard. Si Salem était là est-ce que la peur les renverrait dans les mêmes positions antagonistes que sur Atlas ?
Ironwood a concédé des regrets mais n'a pas tout révisé de sa vision des choses. Sa vue d'ensemble reste prompte aux sacrifices. L'oiseau de malheur ne veut pas plus céder du terrain, accepter l'inacceptable pour les émotions qui pressent son cœur. Quand celles-ci sont-elles devenues plus puissantes que sa colère ? Il sait quand. Au moment où il a vu James ressentir, infléchir sa ligne droite et sourde, pour lui ou à cause de lui. Rien ne lui est pardonné parce qu'il a un cœur fonctionnel mais Qrow n'arrive pas à être insensible à l'espoir.
Il est question de s'engager d'après les dires et sûrement les intentions du conseiller, c'est un saut à pieds joints vers quelque chose que Qrow a toujours fui comme la peste. Et qu'est-ce que ça va donner, qu'est-ce que ça risque de donner entre eux ? Ironwood n'est pas du style à faire dans la demi mesure et Branwen est volatile, de tempérament et par la force des choses. Il y a Misfortune entre eux comme elle l'a toujours été, en barrage. Et cet abruti ne veut pas l'entendre, si cette opiniâtreté est typique du personnage, la façon qu'il a de minimiser les risques l'est infiniment moins. James est un homme d'ordinaire calculé, qui ne laisse rien au hasard et le voilà qui veut s'engager avec la mauvaise fortune ? Comme s'il assurait à Qrow pouvoir la contrôler. L'en protéger.
C'est impossible. Mais c'est terriblement tentant. Parce que la conviction de l'ex-général est si forte, implacable, qu'elle en deviendrait presque séduisante. Parce que le corbeau, derrière tout son cynisme et sa froidure bourrue, a toujours espéré qu'on puisse vouloir de lui en dépit du reste. Sans avoir le droit de le souhaiter.

Le baiser n'est pas comme il se le serait imaginé, querelleur et contradictoire et en même temps, il est infiniment fidèle à la personnalité d'Ironwood. C'est à la fois surprenant et porteur de flagrances familières, un cocktail parfait pour abolir ses réticences. Le baiser n'est pas impulsif, fait à cause d'une mauvaise gestion de leurs tensions, il est tendre et, admettons-le, réconfortant pour celui qui n'a plus été touché comme ça depuis de nombreuses années. L'émotion vient immédiatement nouer sa gorge abimée.
Oui, ça ressemble bien à la chaleur dont James est capable - à bien y réfléchir le soldat n'a jamais été avare en démonstrations affectives. Le baiser le fait se sentir tellement voulu, d'autant plus lorsque les bras d'Ironwood viennent le couper du monde extérieur, qu'il en oublierait presque quarante années à porter sa semblance comme un boulet à sa cheville. Il n'en est pas à sa première expérience, le corbeau, mais aucune embrassade ne l'avait à ce point touché et remué. Et pourtant s'il la laisse se produire, il ne réciproque rien. Il est trop sonné pour ça. Presque choqué et cela se voit dans son regard grand ouvert, accidenté.
Avec ce qu'il vient de ressentir, quelque chose à en perdre la tête, il devrait impérativement couper court.

Alors qu'il aurait bazardé un regard aguicheur à quiconque d'autre, il lui faut quelques secondes pour reprendre pied. Les mots de James tambourinent contre les parois de son esprit et produisent un écho infernal. Il n'a toujours pas bougé, ni même lâché un mot. Je suis capable d'y survivre. Je ne laisserais aucun drame arriver par mauvaise augure. D'ordinaire Qrow aurait automatiquement contre-argumenté mais, cette fois, c'est comme si on lui tendait sous le nez tout ce qu'il avait toujours voulu. Un rêve inaccessible, des espoirs qui devraient être définitivement enterrés depuis la mort de Clover.
Mais Qrow n'est pas assez fort.
Après une demi-minute de silence il s'approche soudain du conseiller; enroule doucement ses doigts autour de sa nuque avant de toucher ses lèvres des siennes. Le contact n'hésite pas longtemps, Qrow approfondit le baiser en saisissant les épaules de l'autre homme comme on s'amarrerait. Il l'embrasse jusqu'à perte de souffle - ce n'est pas brute, c'est profondément sincère et esquinté.
Lorsqu'il le relâche il garde tout de même ses yeux dans le bleu des siens. On est allés trop loin pour faire demi-tour... Lâche t-il, le souffle fatigué. C'est dit sans regret mais avec une certaine lourdeur. Alors je nous considère "engagés". Même si les termes restent encore vagues. Ce qui signifie qu'on ne doit rien se cacher. Dans la mesure du raisonnable... Est-ce que t'es sûr de vouloir signer, jolicoeur ?

Le surnom le toucha plus qu’il ne le cru. Son cœur fit un petit à coup dans sa poitrine, prouvant sa présence malgré ses dysfonctionnements. C’était le réveil bête et immature de sentiments qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps. Comme une pointe d’insouciance dans le fatalisme qui tapissait les murs de sa pensée. Et en même temps, loin de la légèreté que pourrait lui inspirer le sentiment lumineux, il y avait là un enjeu si grand qu’il lui sembla être placé devant un de ces choix qui ne se représentaient pas deux fois dans une vie. Et pourtant, il avait déjà choisi. Tous leur dialogue, toutes ces attentions ; ces baiser, au goût identique mais à l’intensité différentes, était autant de ligne qu’il avait pensé tracées sur le contrat. Le voilà devant Qrow, à l’observer avec une indécision tiède. Le chasseur en tout cas de son côté apposait son sceau sur cette étrange relation, catégorique.  

La seule condition était la vérité. Ce n’était pas une condition qui devrait effrayer le général, il l’avait toujours posée quand cela était possible. Il avait toujours voulu être l’archer de cette franchise ; sans miel il plantait chaque flèche sans prendre en compte ce qu’elle fendrait dans sa course, sauf exception. L’exception ayant été à la disparition d’Ozpin, dos au mur et cherchant à protéger Atlas et les communications futurs du monde.  


Finalement il finit par reprendre place comme un piquet et son regard reflétant faiblement les lumières de la pièce s’accrocha à celui du brun. “Je peux t’assurer que je ne te cacherais rien si tu en fais de même. La vérité n’est pas que les mots que l’on délivre mais également les silences que l’on ne laisse pas s’installer.” Asséna-t-il. Il était impossible de ne pas voir à quoi il faisait référence. Cependant, bien vite sa main alla se glisser sur le bras fin du corbeau, glissant sur le tissu de sa chemise avant d’atteindre la peau nue de son bras. Comme pour nuancer sa prise de parole, l’adoucir voire l’annuler d’un mouvement plus... affectueux ?  

James aimait Qrow. C’était simple, c’était ce qui était depuis bien longtemps. C’était quelque chose qu’il avait assumait par intermittence, appréciant les moments volés, regrettant parfois ceux dévoyés par des altercations.  Consommant sa présence sans rien en dire et prenant ce qu’il était possible comme profit de leurs entrevues. Il s’en était à jamais contenté, comme une réalité à ne pas bousculer car il en tirait des bénéfices qui ne manqueraient pas de s’effondrer s’il se faisait plus envieux.  Pourtant, l’effondrement avait eu lieu en même temps que les pertes.

Et pourtant, le voilà aujourd’hui devant le brun, à sceller une union dont il n’arrivait pas encore à dessiner les concours. Il ignorait s'il devait se faire stricte et ferme ou au contraire se détendre en sa présence. Ironwood ne savait même pas de quoi il était capable dans l’immédiat, ce qu’il serait en mesure de donner à l’homme magique devant lui.  

“Je te l’ai dis... non c’est vrai je ne l’ai pas encore fait... Je suis engagé Qrow, à partir du moment où nous décidons de... débuter cette relation.” Il croisa ses mains dans son dos. “Je vais te préparer une chambre. Si c’est ta volonté. Evidemment”

Les conditions telles que précisées par James ne sont pas sans lui laisser un âpre goût en bouche. Le corbeau voudrait objecter, dire qu'il avait des raisons légitimes de mentir par omission, mais en vérité il n'en est pas suffisamment sûr. D'autant moins à ce moment précis, après que leurs lèvres se soient rencontrées, réinjectant dans son cœur les meilleurs moments de leur partenariat de plusieurs décennies ainsi que les raisons de lui faire confiance. Peut-être aurait-il dû dire la vérité à Ironwood sur Atlas quand ce n'était pas encore trop tard. L'oiseau de mauvaise augure ne prête pas beaucoup de crédit à sa capacité de jugement mais, une chose est sûre, il n'impute pas ce silence à sa nièce ainsi qu'à ses amis. Il aurait pu prendre les choses en mains, comprendre l'état du général mieux que quiconque et remettre les pendules à l'heure. Il s'est contenté de suivre le mouvement, enivré par le fait de pouvoir travailler avec une équipe sans risquer de lui porter malheur, il s'est contenté de suivre les Ace-Ops alors qu'il aurait dû être plus perspicace. Il n'aurait pas du écouter ses espoirs. Le devrait-il plus, ce soir ?

Peut-être que cette auto-critique cinglante retire trop de la faute à Ironwood, l'oiseau de malheur en est conscient. Il ne peut pas oublier que, même s'il aurait pu être plus honnête, rien ne justifie la violence avec laquelle le général a abandonné puis directement menacé Mantle. Qrow s'apprête à lui opposer un regard un rien défiant mais le conseiller vient toucher la peau de son bras avec une tendresse qui désarme. Les yeux de l'espion se dévient malgré lui - il est trop faible pour abdiquer de ce soir, comme il a été trop faible pendant des années pour repousser la boisson. Cette proximité physique, quelque chose qu'il n'a que rarement connu malgré tous ses flirts de surface, ne lui permet pas de s'armer suffisamment contre l'envie.

Et, en plus de ça, l'ex-général semble parfaitement désarçonné, son phrasé est entrecoupé d'hésitations et ce n'est pas désagréable de constater qu'il lui fait cet effet-là. Qrow se sent voulu, profondément, alors qu'il n'a jamais été une bénédiction pour qui que ce soit. Et c'est trop tard, dans tous les cas, les deux hommes ont consensuellement plongé vers un engagement dont la forme n'est pas encore explicite - Qrow ne parviendrait pas à le rendre plus lisible, pas tout de suite, peut-être jamais, mais il sait que sa loyauté est déjà impliquée. Une fois la coquille percée, le corbeau est affectif.

Lorsque le conseiller lui propose, en tanguant un peu, de lui préparer une chambre c'est la tentation de trop. Un sourire enjôleur étire les lèvres de Qrow et ses mains décorées de bagues viennent saisir le col d'Ironwood pour le tirer à sa hauteur, à l'effleurement de son souffle. C'est sûrement le fait de voir l'autre homme perdre ses moyens qui les rend à Branwen et, après avoir haussé un sourcil suggestif, il assène d'une voix séductrice. Te donne pas cette peine, une chambre pour deux suffira.