The Fall - Jason, Dabi et Hawks

Dabi. Des semaines qu'il le traque ou plus exactement, des semaines qu'il délibère tout en déjouant ses plans. Le type n'est pas du genre discret et est, à l'évidence, conscient de ne pas l'être. Ce qu'il omet de prendre en compte, en considération sûrement, c'est qu'il entraîne ses associés dans le viseur en même temps qu'il s'y expose. Hawks a mené son enquête et elle l'a porté à croire que la drogue anti-alter est l'objectif partagé par Red Hood et Crématorium, ce qui l'a motivé à retenir son assaut direct, à l'assouplir à renfort d'actions par proxy. Il ambitionnait, encore une fois, de démanteler tout le réseau d'un coup en ricochets. Le rapace en a référé à son équipe, ponctuellement. Il l'aurait fait de manière plus assidue à l'orée de la mise en branle de son attaque frontale - il le devait à Endeavor. Et, en même temps, le héros des flammes était la raison qui le gardait de trop de détails. L'oiseau voudrait pouvoir prétendre que cette retenue visait exclusivement à préserver son partenaire, mais il sait que c'est moins blanc. Hawks n'est pas convaincu de savoir suffisamment anticiper la réaction d'Enji. Peut-être se serait-il élancé dans une mission personnelle, peut-être aurait-il voulu raisonner son fils tout en le sachant pertinemment perdu. Parce que l'oiseau de proie se souvient et sait à quel point l'enflammé voudrait réparer, à quel point sa culpabilité peut prendre le dessus. Et il l'a vu réagir de manière ambivalente en apprenant que Toya faisait cause commune avec un homme se targuant d'avoir une ligne de conduite, aussi meurtrière soit-elle. L'humanisation guette toujours et, avec elle, le risque d'y croire auquel Endeavor est de loin le plus sensible parce que ça répond à un besoin furieux, celui d'une solution. Hawks sait qu'il doit restreindre le champ d'action de son partenaire, il a été clair dans ses intentions auprès de lui d'ailleurs, il pense avoir reçu ce qui se rapproche le plus d'un accord informulé car informulable.
Il ne veut pas tuer Dabi, parce que malgré tout ce qui s'est passé, à son égard ou à l'égard d'un autre vilain, il n'y aura jamais rien de personnel. C'est seulement du devoir, son devoir n'est pas de tuer mais c'est de s'y résoudre quand il le faut pour sauver. Son devoir est et sera toujours premier. Et les volontés personnelles secondes. C'est pourquoi tout ce qu'il voue à Enji et les sentiments de ce père à l'égard de son fils sont considérés, mais dans un second temps.
Il n'aurait pas attaqué directement Dabi, pas encore, si celui-ci ne s'en était pas pris à un groupe de civils. Hawks ne s'y attendait pas vraiment, cela faisait des jours que le suturé s'en tenait à des négociations plus ou moins musclées et aux ordres jactés pour ordonner les trafics. Mais, ce soir, il s'est décidé - sûrement avec une arrière-pensée - à prendre des cols blancs en otage.
Hawks n'a pas attendu une seconde ; comme un éclair rouge il a dévalé le ciel et a traversé la baie vitrée dans une vrille, sabres dégainés. Crématorium a, il le sait, une puissance de feu ainsi qu'une aversion à son égard supérieures aux siennes. Alors, le rapace a fait ce qu'il fait toujours pour compenser un désavantage ; il a attaqué le premier. Après avoir emporté - grâce à une volée de plumes - les civils à distance des gerbes de feu qui, il le connait assez pour l'avoir anticipé, ont aussitôt fusé vers eux, Hawks a fait en sorte de créer la surprise. L'aigle, en bénéficiant de la poussée d'un battement d'ailes ample, s'est jeté sur le suturé de sorte à lui faire traverser la vitre déjà éventrée par ses soins. L'oiseau l'a lâché aussitôt la chute amorcée car il savait que Dabi le retiendrait à portée pour le cramer, quand bien même cela reviendrait pour lui à déguster le sol. Il s'est contenté d'envoyer des plumes vers lui pour l'aider à la réception, qu'elle ne lui soit pas fatale.
Même si l'ennemi a été secoué, comme Hawks le pressentait sans l'espérer, il n'aura pas fallu plus d'une seconde pour que la bataille reprenne. Le problème était qu'il ne pouvait pas la laisser reprendre, pas ici, à proximité des nombreuses vies que lui rapportaient les vibrations de l'air. Des souffles par dizaines. Alors l'aigle a agi et, de nouveau, il ne pouvait pas lui accorder le temps sans lui accorder le terrain. Alors le rapace s'est élancé au contact direct, une poussée de célérité au tranchant de sa lame, dont la vibration est parvenue à se fracasser le long des côtes de Crématorium. L'attaque n'était pas pensée pour être létale mais pour être, sévèrement, incapacitante. Mortelle uniquement s'il en venait à encore se débattre. C'était le meilleur compromis qu'il avait trouvé, faute de grandes capacités humaines, sans doute.
Mais Hawks n'a pas eu le temps d'adresser des excuses, intérieures, à qui que ce soit. Parce que, dans l'action, il avait manqué de vigilance.
Soudain il sent son épaule être disloquée et ça l'emporte dans un râle trop aigue, car la douleur est trop vive. Ses protocoles n'ont pourtant pas l'habitude de lâcher un cri. Le sang s'écoule devant sa visière et il tombe, il tombe beaucoup trop vite. Son esprit fend la brume poisseuse dans laquelle la violence du coup l'a empêtré, une balle, ça il se l'explique aussitôt. Mais ses plumes ne répondent plus, ses ailes semblent plus lourdes et laborieuses même si elles n'ont pas été touchées par le projectile : comme si elles étaient, subitement, déconnectées de toute sensation subtile. L'air semble froid, sourd, plus de vibrations. Ses ailes sont uniquement mécaniques, elles forment un ensemble indissociable qu'il ne peut plus ni fragmenter, ni contrôler par la seule pensée. Une balle anti-alter. La déduction est glaçante. A tel point qu'il ne parvient à se rétablir qu'à quelques centimètres du sol, en forçant sur son plumage et en tirant sur les muscles dorsaux bien plus que d'ordinaire. Mécaniques. Musculaires. Le rapace se réceptionne mal, très mal, dans une roulade sur sa mauvaise épaule qui l'envoie se fracasser le dos contre un muret. Sa respiration est erratique. Il ne doit pas le lâcher pour autant. Ses gants pianotent un SMS aussi vite qu'ils le peuvent.

Il ne s'attendait pas à voir le poulet débouler sur lui aussi tôt. L'attaque était trop frontale pour être anticipée, mais la situation allait inévitablement tourner à son avantage. Hawks se mettait à parfait découvert, à proximité d'une ribambelle de civils. Son coup de sabre importait peu bien qu'il l'ait éventré de l'iliaque au sommet des côtes, une entrée en matière un rien disproportionnée pour un héros - avait-il croassé. La douleur se faisait sentir, dégoulinait de ses lèvres carmines, mais ne lui provoqua distinctement qu'un rictus entraîné, dévarié, une fois le souffle coupé remis en place et la marée de feu passée par là pour colmater le gros des brèches. Un râle de bête, entre endiablement et féroce rappel de sa corporalité. Il avait prétendu vouloir dégommer les civils, l'ennemi était d'un prévisible.
Dans sa chute du dix-septième étage, Crématorium a élancé son feu contre Hawks, semblerait-il indifférent à sa propre survie mais plus exactement persuadé que l'adversaire aurait la faiblesse de la lui garantir. Il voulait le cramer à point, le tuer ensuite, anticipait la suite de leur petit tête-à-tête.
Et si le piaf avait effectué un revirement sec dans ses valeurs hypocrites, le suturé se serait arrangé pour se réceptionner à renfort d'un proéminence burn qui n'aurait pas hésité à dévaster la zone. La peur était absente, complètement. S'il devait même y passer, il se savait en capacité de créer un dégât presque assez satisfaisant. Faute d'entraîner Shôto avec lui, il ne raterait pas Hawks. Peut-être que l'idée pulsait avec trop d'urgence pour ne pas trahir une crainte résiduelle, incomprise par ses émotions décorporées. Peut-être a t-il même songé, sans s'y arrêter, que Todd pourrait le finir. Son associé était ailleurs et ne viendra pas à temps pour le clou du spectacle. Que venait-il faire là-dedans ?
Mais il connait le poulet. Même à l'article de la mort les réflexes, bien dressés, de Takami Keigo n'auraient pas accepté de causer une mort, qu'on ne pourrait pas avec honnêteté qualifier d'accidentelle, mais qui se trouverait dans ce spectre-là, de loin. Ce gars préfère l'administrer dans le dos, mais avec tout ce qu'il y a de plus délibéré et de mieux rangé derrière le saint devoir. L'une de ses gerbes de feu est parvenue à toucher l'aile gauche du piaf, s'est répandue, le contraignant à se débattre et à déchirer sa livrée écarlate pour évacuer la brûlure. Mais, comme Dabi s'y attendait, l'ennemi a malgré ça pris le soin de sécuriser son retour sur le plancher des vaches. Le suturé n'a pas eu la bêtise de refuser cette faveur, n'a pas enflammé les plumes qui ont matelassé ses omoplates et sa nuque.
Pour autant, la réception a été plus rude qu'il se l'imaginait. Un instant bref, le temps d'un à-coup, sa conscience a été opaque. C'est la douleur, rugissante cette fois, qui l'a extirpé des limbes dans un soubresaut d'automate enrageant de sortir de sa boîte. Pas maintenant, pas comme ça. Endeavor devait brûler en enfer. Une litanie, une tempête, un besoin d'exister avec assez de fracas avant de crever.
Sa volonté, furieuse, l'a amarré au réel même si c'était sans sentir son corps, pas besoin. Dabi s'est redressé sur ses avant-bras, enflammant son corps entier sous une vague au bleu incandescent, prêt à fendre les cieux de son feu qui n'avait plus le temps, ou la capacité, de mesurer ou de discriminer.
Mais quelque chose s'est produit. Sa conscience vacillante n'a compris que dans un second temps ; gerbe de feu au creux de la paume, chevelure blanchie par la chaleur faisant ruisseler la teinture, il a vu le piaf se casser la gueule dans les airs. Comme empêtré dans son propre plumage. Une balle anti-alter. Jason ? Qu'est-ce qu'il vient foutre là ?
Peu importe l'incompréhension crasse, peu importe ce qu'il aurait nommé un gâchis à un autre moment, il n'a plus le temps. Il n'a pas le temps d'en être rappelé à quoi que ce soit de plus réflexif, de plus vivant, de moins fatal.
Hawks sort de son angle de vue le long de sa dégringolade, restreint par son corps qui répond mal Dabi force sur son thorax et s'apprête à se redresser pour jaillir à sa poursuite comme un démon incandescent. Peu importe si ça crame les derniers tissus cutanés qui respirent encore. Pour le finir, finir dans les flammes infernales qui le marqueront.
Mais des bottes fortifiées se déversent à côté de lui, pataugeant dans l'amalgame de sang et de flotte. Qu'est-ce que tu fous là ? Crache t-il avec plus de difficulté qu'il l'aurait souhaité, d'une voix sifflante à en vomir. Il ne cherche pas à comprendre ce que cette présence lui évoquerait s'il ne la traitait pas comme une nuisance, un empêchement, il n'y a rien à différer. Pas encore une fois. Bouge ou je te crame avec lui. Je vais le terminer. Qu'il tonne, animé par un second-souffle plutôt que d'admettre - admettre qu'il lui parle pourtant, alors que son dernier râle aurait pu se faire autrement. Il pourrait bien le cramer là, oui, pour se défaire de lui et de ça. Il n'a plus besoin de Todd, plus maintenant, plus de subtilités. Dabi exhale un mugissement à mesure que ses muscles s'étirent et que ses organes se plaignent. Le feu danse  violemment dans son dos, le redresse comme un pantin coupé de ses fils, debout sur ses jambes arquées. Le visage défait, les épaules anarchiques, retombées vers l'avant. Il n'accorde aucun regard au masque rouge et avance d'un pas qui fait fondre la chaussée. T'en mêle pas.