Du feu purificateur au purgatoire [Pv Dabi et Hawks]

Il a attendu des mois, gelé dans une stase sans but, abattant les jours et ceux qui le gênaient, ils n'étaient que des ombres portées. Dabi aurait pu croire qu'il se trouvait dans les limbes, une errance sans châtiment corporel, sans cohérence, s'il n'était pas convaincu d'être destiné à un cercle infernal plus brutal, plus déchaîné. A la glace ou au feu, plus claustrophobique l'un que l'autre, là où Endeavor et lui danseront, se déchireront, jusqu'à la fin de l'éternité.
Et il l'a vu à la télévision, il l'a vu renfiler son costume comme si ce monde avait une place à lui donner, il l'a vu se pavaner en numéro 1 et ainsi accomplir la plus maniaque, la plus existentielle, de ses obsessions. Dabi s'est consumé, jusqu'à tapisser ses poumons de cendres, la nécrose envahissant des frontières encore saines sur sa peau. Il a incendié l'immeuble, il a consumé les liens qui le maintenaient calme, il a cramé l'errance. Cela ne peut pas être uniquement son Enfer, s'il y est c'est pour y traîner son père.
Sentiment d'inexistence, relents d'une autre vie, d'un but mort-né, avec tout le reste. C'est encore un vol, car son géniteur est un cafard opportuniste, qui s'abreuve des situations et des excuses qu'on veut bien lui refourguer. Quelle pression d'être le n°1 ! T'auras pas à la soutenir longtemps.
A-t-il réussi à bâtir des liens familiaux avec son piaf et sa nouvelle Agence ? Est-il satisfait de sa petite popularité ? Se sent-il nettoyé de ses crimes, a-t-il bien tout expié ? C'est à vomir. C'est assez enrageant pour en devenir jubilatoire, le désaxer. Endeavor n'a le droit à rien de tout ça, il va tout lui arracher.
Et puis, il a appris. Endeavor aurait été amnésique.
Encore une fuite, encore un agenouillement face à la couardise, Enji Todoroki ne peut pas porter le poids de sa culpabilité et il n'a pas même l'obligeance de se laisser crever ! Alors il a trouvé cet entre-deux avantageux. Une excuse, une belle.
Il l'a observé de loin pendant des semaines, il l'a vu se rapprocher du piaf au-delà de toute dignité. Son père ne cache même plus les moments qu'il vole à la cohérence. Qu'en dirait sa mère ? Toya, enterré, s'en fiche.
Mais Dabi, lui, dit qu'il n'y a aucune place pour Endeavor, pas s'il s'y sent bien. Il n'a qu'un droit, celui de brûler.
Dabi en sait assez pour le faire souffrir, pour arracher chacun de ses pansements et l'épiderme avec. Alors il l'a invité, le carton d'invitation a été envoyé à l'adresse de Hawks. Car personne ne se cache plus de rien, hein ? Parce que la mort s'étend à tout ce que son géniteur a la bassesse de toucher, s'il est assez fou pour s'attacher.
Dabi l'attend dans l'entrepôt qu'il a vidé de toute sa vie. Un cadavre cramé est attablé. Dans le dos du pantin de chairs, au visage ravagé par les flammes, une nuée de plumes carbonisées est répandue au sol, en arc de cercle. Il aurait voulu pousser la saynète plus loin, mais il n'avait pas assez sous la main, pas l'envie de se donner plus de mal que ça. Le corps est grossièrement fringué comme le serait son oiseau de compagnie. La morphologie fait illusion.
Il se moque éperdument du héros ailé, mais son père non, alors pourquoi ne pas jouer avec ce que son géniteur a, lui-même, mis dans la balance !
Dabi entend l'arrivée de son invité, son sourire dévasté dévore toute la largeur de sa mâchoire. Ses flammes envahissent immédiatement les lieux, pour allumer, mettre en exergue sa mise en scène macabre. Un rideau de feu bloque la sortie, toute fuite.
Le suturé paraît, le regard grand et fou, les bras ouverts dans un geste de pré-étreinte qui ne se formalisera que pour lui lacérer les côtes. Bienvenue à notre petite réunion de famille, Todoroki Enji !

Faible. Ridicule.
Dabi en aurait presque la rage aux lèvres. Il s'attendait à une réaction de ce calibre, mais il espérait davantage de mordant, de fureur, de grandiose de la part du n°1 des assistés. Il le dévisage d'un œil torve et écœuré, le rire ne lui vient même pas. C'est beaucoup trop facile. Endeavor le déçoit viscéralement et tout son contentement pathologique, ardent et dissonant, vole en éclats au profit d'une condescendance tempétueuse - même s'il s'y attendait, ça met du temps à s'installer, une marée, une crue sous son visage flegmatique.
Endeavor ne l'a même pas attaqué. Il s'est élancé, en sauveur et en idiot, vers ce qu'il pensait être le cadavre de son oiseau domestiqué. Si ça contrarie autant Dabi, si ça vrille ses boyaux, c'est que c'est indigne et, accessoirement, irrationnel. Son géniteur aurait du foncer sur lui. Il aurait pu flancher là, ne pas réussir à lui porter le coup, il n'avait certainement pas le droit de prioriser Hawks. Sa pseudo-vie propre et rangée, cette vaste blague qui importe, donc, plus que son fardeau. C'est ça, alors, qui est inscrit dans tes chairs Todoroki Enji ? C'est ça qui t'appelle ? Son géniteur est plus faible, encore, qu'il se l'imaginait. Si cette mise en scène était si sordide c'était bien pour le débrider, le pousser à la violence et à l'erreur, le sortir de sa torpeur le temps d'un tango.
C'est enrageant.
Il l'observe s'escrimer avec le bleu de son feu, à peine quelques embûches pour Endeavor, qui entravent pourtant sa course folle et toute sa prétendue tentative - qui meurt vite, comme sa combativité.
Ce n'est pas possible que ça soit Endeavor. Il ne s'effondrerait pas comme ça. Pas pour lui.
Il l'a déjà vu être une loque, en plein milieu du champ de bataille, mais jamais si cela ne concernait pas sa si chère famille. Alors on en a changé de famille, hein ? Arrangeant, Todoroki Enji.
Alors peut-être que tu vas, enfin, être foutu de me combattre ! Les yeux de Dabi s'agrandissent de démence, s'accrochent à une amarre de pure violence, une attache désaxée. C'est au moins ça, il consumera le vieux fou dans un corps-à-corps endiablé.
Son géniteur, ou plutôt son spectre décorporé, retourne enfin son regard sur lui et Dabi lui adresse un sourire carnassier. Il attend le coup, le premier des trois, il attend fermement ce nouveau parjure et l'immolation réciproque qui suivra.
Mais son père ne le touche pas, même après tout ça. Et, même si sa faiblesse le fait ricaner, Dabi déteste ça. Endeavor est-il encore en mesure de se raccrocher à quelque chose ? A des valeurs, au souvenir du cloporte ailé, à la délivrance d'une mort imminente ?
Pourquoi se retient-il encore ?
Le cafard face à lui se gèle et la lueur folle dans les yeux de Dabi danse, tourbillonne, percute. Pourquoi ? Pourquoi lui ? Cette fois un rire malsain s'extirpe de sa cage thoracique, il est si contre-nature que ses sutures peinent à le maintenir derrière ses lèvres. T'es vraiment lâche, otoosan. Tu fuiras autant que tu pourras hein ? Trop facile. Le nécrosé projette un coup de pied, embrasé, dans le thorax du héros à la dérive. Une fois celui-ci plié, il le toise de son regard fou et tourne son poignet de côté.
Le corps, abandonné plus loin, est envahi par une nuée de flammes dont la température est si ardente que les os se désagrègent à vue d'œil. Une démonstration imagée et Dabi souhaitait également s'en débarrasser. Ta faute. Tu l'as mêlé à nos petites histoires. J'allais pas le rater éternellement, à la base je m'en foutais, mais à force de vous voir roucouler... Il abaisse le visage de côté, possédé par une malveillance sourde. Alors, on va faire comment sans son admirateur pour se sentir exister ? Un second coup porté au niveau de l'estomac. T'en fais pas, tu devrais pouvoir en trouver un autre même si celui-là était pratique. Endoctriné depuis le berceau hein ?
La dernière question de son géniteur, la manière dont il l'appelle par son prénom, malgré toute l'horreur scénarisée le met un instant à l'arrêt. Mais ce n'est qu'une supplique grotesque, tardive, de plus. Ah, tu veux te laisser tuer. Toujours la facilité. Tu veux pas te battre pour ton Agence par exemple ?
Le tuer, comme ça, serait l'ultime déception. La retombée de toutes ses passions, l'échec de tout ce qui l'a maintenu en vie jusqu'ici.
L'homme face à lui est misérable, il n'a pas l'impression de tuer Endeavor. Mais il s'en contentera s'il lui est impossible d'avoir mieux. Il n'a pas d'autre raison d'être.

Il a cramé le vieux ? A l'entendre beugler comme un dément, quand le cadavre encombrant a volé en cendres, Dabi aurait pensé le voir réagir. Mais il git encore à terre, dans l'abdication crasse. S'il a hurlé avec autant de coffre c'est qu'il est toujours persuadé qu'il s'agit de son volatile et pourtant ça ne le motive pas suffisamment.
Dabi se moque bien de Keigo Takami - il le toise. Il l'a déjà mis en pièces, pour lui c'est du bois de chauffage. C'était à peine un nuisible avant qu'Endeavor ne jette son dévolu dessus, après il est plus ou moins devenu un levier, un point de pression. Mais, visiblement, même dans ce rôle-là, il ne revêt pas un grand intérêt.
Endeavor n'a pas l'air de se réactiver pour lui. Tant pis.
S'il n'y a rien pour te remuer, on fera sans. Dommage pour le tango, partons sur la mise à mort. Dabi a trop attendu. Son errance est trop profonde. Il aurait préféré que ça soit plus brutal, dévastateur, libérateur, il avait attendu des années avant de réclamer la tête de son géniteur - pour être sûr de faucher Shoto au pinacle de sa gloire et au sommet des espoirs paternels. Il voulait un requiem forcé et déconstructeur - mais ici, aucune trace du frangin et Takami s'est avéré être un substitut bas de gamme.
En réalité il se demande, il tombe sûrement dans le biais d'engagement, il s'en fiche. Quelle importance revêt le plus tard ou le maintenant, au fond ? L'enfer lèche déjà ses entrailles.
Il devrait sûrement cramer Takami pour de bon, le show n'a pas totalement laissé Endeavor de marbre. Ce serait de bon ton de lui foutre dans la gueule, ensuite, qu'il a eu une chance de l'arrêter et qu'il ne l'a pas saisie.
Alors quoi, il chiale là ? Les lèvres suturées du noirâtre tiquent, s'ourlent dans une grimace défaite et ses yeux deviennent atones. Le tuer serait lui faire une trop belle fleur - au fond, il en a visiblement quelque chose à faire. Il n'a pas ce droit.
Il n'a pas le droit de réagir pour ça, il n'a pas le droit de se complaire dans la défaite humiliée.
Dabi ricane, sombre, il admet qu'il ne laisse pas une grande marge de manœuvre à son père. Mais bon, il n'est pas vache, il va lui laisser la vie sauve.
Le droit de souffrir comme un lâche livré à lui-même. Le temps de convulser encore un peu, spectacle misérabiliste.
Les yeux défaits de son père ne réveillent rien en lui, rien qui soit bon, parce que ces yeux-là n'ont aucun écho - aucune viabilité - dans ses souvenirs. Endeavor avait un regard acharné, impératif, coléreux et - souvent - évitant, porté ailleurs. Il ne chialait pas.
Comment ça pourrait le toucher ?
Dabi s'en fiche. Toya ne comprend pas du tout. Endeavor n'est pas faible. Si son père le regarde comme ça, qu'est-ce qu'il est ?
Son démon personnel, logique. Alors il a un instant d'absence.
Qui dure trop longtemps pour lui permettre d'anticiper le changement de ton. La température s'élève drastiquement, tempête dans l'entrepôt et la poigne d'Enji Todoroki s'abat sur sa gorge nécrosée. La folie éclate d'un bout à l'autre des lèvres de Dabi, beaucoup trop larges pour être humanisées. Il ouvre amplement les bras pour accueillir cet élan de clarté. Enfin, ça va être plus simple !
Alors, au final, le piaf a sa petite utilité. Dabi n'est pas certain de beaucoup apprécier ça, mais l'adrénaline se diffuse avec ardeur. Comme toujours, il n'y a pas de bonne réponse. Tant que ça fait mal, ça passe.
Faiblesse ? T'es aveugle ou quoi ?
Par ta faiblesse tu veux dire ? T'es devenu sénile d'un seul coup ? Il provoque, ses pupilles folles ondulant pour suivre la rage du paternel, malgré sa trachée compressée. La douleur, il s'en fout bien.
C'est pas la première fois que son père lui en met plein la tronche. Les vieux souvenirs.
Son sourire est détraqué.
Cette fois c'est plus honnête !
Dabi a lui-même cramé la plupart de ses terminaisons nerveuses - particulièrement à cet endroit-là. Il ne devrait rien ressentir de particulier.
Mais la remarque, gueulée, ne passe pas du tout. Son corps se nimbe d'un bleu ardent, jaillit de son torse, de ses paumes, s'arrache de lui et s'amarre à tout ce qu'il peut saisir d'Endeavor. Ses épaules, son visage, sa nuque.
Tu vas voir si mon feu est faible. Puisque t'es là, cette fois.
A bout-touchant, ça risque de piquer. Aucune idée. Y'en a déjà eu une quarantaine - je tiens pas le compte exact. Qu'il ajoute, après un ricanement malsain, déformé par l'étranglement.

Sa main gantée reste en survol ; la porte de l'appartement n'est pas fermée à clef. Sous sa visière ses yeux s'affûtent et se dévêtissent de tout enthousiasme. Le rapace s'assombrit, déjà prêt à agir.
Ce n'est pas anodin, Enji est rigide dans ses routines. Une urgence professionnelle ne lui aurait pas fait oublier sa mécanique intraitable, machinale. Hawks s'engouffre à l'intérieur, son plumage à l'affût de la moindre vibration qui trahirait du mouvement. Ses yeux perçants inspectent, ses lèvres retiennent le moindre bruit parasite.
Il n'y a plus personne.
Il a l'habitude de passer au crible des scènes de crime - cette fois c'est personnel mais son esprit ne se laisse pas gagner, encrasser, la déduction de l'aigle et bien dressée et il lui doit son efficacité. L'appréhension est là, consignée, elle n'entrave pas le diagnostic.
Pas de dégâts alors pas d'affrontement, Endeavor est parti de lui-même. Trop tôt pour être rassuré.
Ses doigts couvrent et soutiennent à la fois sa réflexion et le bas de son visage, l'oiseau de proie identifie rapidement la cuisine comme épicentre de la perturbation - une chaise retournée sur le passage, le courrier éparpillé. Là, ça sent le choc émotionnel. L'embarras du choix concernant les causes probables.
Hawks s'accroupit et saisit une lettre échouée au centre du damier carrelé. La compréhension le foudroie immédiatement. Dabi.
Endeavor, dans son état actuel, n'est pas capable de se confronter à ça. Le héros ailé bondit, dégaine son téléphone portable mais la sonnerie de celui d'Endeavor se fait entendre dans la pièce attenante.
Il est parti se jeter dans la gueule du loup seul, volontairement ou non, sans aucune opportunité de back-up. Hawks refuse de laisser son esprit divaguer, il doit mettre tous ces parasites qui mordent les entrailles de côté, chaque seconde est trop précieuse pour être perdue.
Un point de rendez-vous est indiqué au dos de la missive, ça ne s'embarrasse d'aucune subtilité - pas l'une des caractéristiques proéminentes chez ce vilain, au contraire de sa fièvre destructrice. Mais à ce point-là ? Et envoyé à cette adresse ? Si Crématorium prend ce risque c'est qu'il est sûr de lui. Dabi compte être expéditif.
Hawks fuse dans le couloir, portable vissé à l'oreille pour prévenir All-Might, mais il a conscience d'être le seul en capacité d'agir suffisamment vite. Ses ailes se déploient dès qu'il dépasse la sortie de l'immeuble, il gagne les airs à une vitesse vertigineuse.
Endeavor ne résistera pas à ça. Hawks ne lui reproche pas de s'être livré, ça tombe sous le sens - comme un couperet. C'était certain, c'était à lui de mieux l'en dissuader.
Il ne lui faut que quelques minutes pour fendre la distance.
Dabi. Le souvenir est glaçant même s'il n'en dit jamais un mot, même s'il refuse de s'arrêter sur l'information. Il se contente de savoir. Parfois les cauchemars, la douleur fantôme, s'imposent à lui malgré toutes ses résistances et la force de l'habitude. Hawks n'a pas peur mais il sait intimement ce dont l'ennemi est capable. Le rapace peut le voir en ennemi contrairement à Endeavor. Hawks n'a pas de haine à l'encontre de Dabi mais il est pragmatique - il n'y a pas de marchandage possible.
La dernière fois où il l'a combattu rien n'avait été à son avantage. Il serait mort sans l'intervention de Tokoyami. Cette fois rien n'est mieux engagé : Hawks surplombe l'entrepôt, encore une arène close, encore une tierce personne dans l'équation. Et cette fois la personne est celle qui lui importe le plus. Mais il n'a pas le temps de jouer la stratégie.
Hawks s'attache juste à un peu de prudence, pour ne pas devenir un fardeau à secourir. Le feu c'est clairement sa faiblesse. Il peut bien durcir ses ailes, il sait que la température du feu ennemi consumera l'effort. Tout est dans le timing, quelques secondes c'est parfois suffisant.
Le rapace, ailes repliées autour du corps, déboule en torpille et fracasse la baie vitrée dans son sillage. Dans un tournoiement il se repositionne à aussi haute altitude que possible. Il doit garder les hauteurs, son seul avantage. Des plumes écarlates se dispersent en nimbe autour de lui pour étendre son périmètre d'action.
Ses yeux perforent l'obscurité à la recherche d'Endeavor, priorité absolue, son souffle lui est rapporté par les vibrations issues de son souffle. Hagard, paniqué, fracassé. Il le voit et se positionne immédiatement au-dessus de lui, défense prête à se déployer. Endeavor-san, ne l'écoutez pas! Qu'il tonne malgré les épisodes auxquels il n'a pas assisté, mais en considérant l'allure défaite du n°1 et le lien dévastateur qui unit les adversaires, facile de se figurer les attaques psychologiques balancées et leur efficacité.
Hawks doit protéger Endeavor car, sa garde abaissée et sa détresse le prouvent, il ne le fera pas pour lui-même. Il a abdiqué mais vous tuer ne l'aidera pas, ça ne résoudra rien! Il est repassé au vouvoiement, pas par automatisme de situation mais pour éviter de donner de la matière à Dabi. L'ennemi doit en comprendre le moins possible. Il est déjà suffisamment armé.
Mais Endeavor ne bouge pas, il est beaucoup trop sonné. Logique. Tant pis pour la distance. L'aigle s'élance en piquée, les ailes disposées en bouclier latéral, ses bras s'alignent sous les épaules du héros du feu et - bénéficiant de la vitesse et à renfort d'un battement puissant - il l'éloigne de plusieurs mètres avant de le lâcher.
Là, proche de lui sur un interstice de quelques instants, son torse cogne plus distinctement. Il laisse son visage dans la périphérie du sien une seconde ou deux.
Enji est vivant. Enji est au bout de sa vie. Les yeux dorés de l'aigle cherchent les siens un instant à peine, il se l'autorise, avant de se poster devant lui, en égide. Il a vu les nouvelles brûlures qui sillonnent son faciès durement égaré, un uppercut dans son émotionnel qu'il maintient pourtant en laisse, mais ce n'est pas l'heure de panser ces plaies-là. T'as pas idée à quel point je suis soulagé de te voir. Tiens le coup. Murmure t-il par dessus son épaule avant d'aligner sa garde et deux sabres, issus de son plumage, devant lui.
Hé Dabi, ça fait un bail ! Il l'invective d'une voix provocante, cynique et très faussement familière, comme s'ils étaient potes. Alors toi aussi t'es coincé en ville ? T'aurais pas pu sauter sur l'occasion et prendre un nouveau départ, hein ? Il voit bien que le suturé est également dans un sale état - Endeavor n'aurait jamais été capable de l'attaquer frontalement et, pourtant, il faudrait au moins ça pour le plier. Qu'est-ce qui s'est passé bon sang ? La question est pressante mais son air entendu ne laisse rien paraître. Sympa la nouvelle couleur. L'ébène de sa tignasse est partiellement déversée le long de son cou, un détail mais Endeavor doit bloquer dessus. Hawks se souvient de l'image veillée sur le Butsudan, c'est à ça que Toya ressemblait.
Le vilain lâche un ricanement nonchalant, détraqué, dévissé de toute cohérence - plus que d'ordinaire - car sa tranchée est visiblement sifflante. Endeavor a perdu pied ?
Hawks se doute que c'est possible, comme à l'hôpital, son psychisme est encore à stabiliser et une telle incursion de la culpabilité l'aurait déjà détraqué dans leur monde. Alors il doit à la fois protéger Endeavor de Dabi et de son errance. Il va le faire!
T'es revenu d'entre les morts ? Dommage je te préférais cramé. Tu gâches la fête là. Ironise le vilain - superficiellement contrarié, répondant sur le même ton badin - en redressant son corps courbé, il semble facilement composer avec la douleur car elle est purement physique. Il n'attend pas, Hawks le comprend immédiatement à la manière dont luit son regard, Dabi lance une volée de flammes bleues en direction des deux héros.
Le faucon se jette sur Endeavor et ses ailes se replient autour d'eux, à la faveur d'une esquive. Quelques unes sont touchées mais ça reste superficiel - elles se décrochent à temps du plumage carmin et se consument au sol. Enji, on doit partir. Murmure t-il de nouveau en espérant provoquer une réaction. Une main posée dans son dos.

« Je vais tous vous tuer... »
Hawks comprend immédiatement, ses yeux acérés s'élargissent puis se stabilisent dans une résolution ferme. Enji est perdu loin de la cohérence du moment présent, il est neutralisé par la peur et la culpabilité. Il ne peut pas abandonner Toya et il est incapable de se battre contre Dabi. Endeavor ne veut pas non plus risquer la vie du héros ailé. Enji doit se sentir emmuré dans un capharnaüm sans issue. Quoi qu'il se soit passé, Dabi a réussi à l'y cloitrer. Enji ne pourra plus réagir, à part pour donner sa propre vie, il subit un contre-coup trop violent et ne peut plus rien sacrifier d'autre. Il est incapable d'accepter que Dabi ne recherche aucune aide. C'est au rapace d'être intraitable parce qu'il peut l'être.
Hawks ne lui en tient pas rigueur, il savait, il comprend. Dabi est son fils et, objectivement, il n'y a rien d'illogique dans cette paralysie.
Il ne se retourne pas vers Endeavor, malgré les mains égarées qui le retiennent, ses sabres restent en garde et inflexibles. C'est déchirant de l'entendre s'effondrer mais l'aigle ne peut pas aller dans ce sens-là. Il doit mettre ses émotions, aussi virulentes soient-elles, de côté. Il doit le protéger et doute d'être capable de le faire réagir à temps. Dans son état actuel Endeavor ne pourra pas être raisonné facilement alors il doit l'écarter du danger - prendre la décision à sa place et lui montrer de la stabilité. De la lumière au bout du tunnel, aussi.
Personne ne meurt aujourd'hui, Endeavor-san. C'est une promesse! Il tourne le visage vers lui et lui adresse un sourire large, rayonnant d'assurance. Endeavor est coupable d'avoir causé des maux qu'il ne revient pas à Hawks d'excuser, mais il n'est pas et ne deviendra jamais un assassin - contrairement aux accusations proférées par sa conscience et consolidées par Dabi. Le rapace le sait, sa confiance est inébranlable, il s'en porte garant sur l'instant - car Endeavor n'est pas capable de le croire, peut-être dans d'autres lieux.
S'il s'écoutait Hawks prendrait la main et attaquerait mais il redoute que ce geste soit celui de trop, Endeavor pourrait s'interposer et Dabi en profiterait. Il n'a pas suffisamment de puissance pour mettre Crématorium au tapis, le suturé se battrait comme un enragé au mépris de la douleur et des dégâts, si le faucon attaquait il devrait ruser et tuer.
Ce serait l'option à considérer mais Hawks se refuse d'en arriver là - même s'il est prêt à se salir davantage les mains, même s'il ne visualise aucune rédemption pour Dabi et qu'il connait tout de son danger et de ses carnages, même s'il ne remet pas en cause les douleurs de Toya tout en ne voyant que Dabi - ça détruirait Enji qui se verrait en seul coupable. C'est pour ça qu'il lui a fait cette promesse, un garde-fou réciproque, une lumière-guide pour lui aussi.
Il espère sincèrement pouvoir honorer cette promesse. Il ne la trahira qu'en dernier recours, à l'orée de la dernière limite - pas sa propre mort, celle d'Enji. Endeavor a trop à apporter à cette ville. Il serait fracassé mais il y aurait, peut-être, encore une chance.
A cette heure, Eraser doit être en chemin. Comme à chaque fois, ou presque, Hawks ne peut gagner que du temps s'il veut jouer proprement - il blâme ses carences en force de frappe et en humanité. Mais ce n'est pas ça qu'il laisse s'exprimer, son sourire n'est pas retombé et il ricoche avec impertinence contre la gueule mortifère de Crématorium.
Il sait que Dabi sait.
On se le fait ce match retour ? C'est simple de jouer la familiarité, pour les mauvaises raisons, ils se connaissent pour le pire et par le pire. Hawks doit capitaliser là-dessus.
Il s'élance, lames en mains, prétend fuser vers l'adversaire dans un tournoiement de ses ailes - son plumage en profite pour envoyer une nuée écarlate vers Endeavor. Dabi va devoir esquiver l'onde vibratoire qui fuse sur lui, les plumes de Hawks saisissent Enji et le hissent en surplomb de l'affrontement.
Dabi avait anticipé, ses yeux s'écarquillent à l'instar de son sourire malsain, il ne se donne pas la peine d'esquiver de plus de quelques pas, il savait que l'aigle ne le ciblerait pas sérieusement. Il lui adresse un sourire sardonique tout en générant une salve de flammes, lancées dans la trajectoire d'Enji. Hawks a à peine le temps de s'interposer, boulet de canon lancé à vive allure, ses plumes encaissent les projections au bleu incandescent. Il se défausse des plus atteintes pour que le feu ne prenne pas toute sa livrée - le choc le force à se repositionner.
Tu me rejoues le couplet héroïque après ce que t'as fait de Twice? Difficile de savoir si Dabi lui reproche sincèrement cette perte. Mais il veut remuer, Hawks le sait. C'est parce que t'as du public? Qu'il balance en dardant un regard moqueur vers Endeavor, un étage plus haut. T'es vraiment un hypocrite, Keigo Takami. Entendre son nom de naissance est désagréable, mais ce n'est plus quelque chose qui désarme. Hawks sait que l'ennemi possède cette information et d'où elle lui vient.
T'es vache. Hawks le paraphrase avec autant d'inconséquence, vidée d'émotionnel, que ce que Dabi a en réserve. Twice reste un remord moral - qui n'est pas voué à disparaître - mais pas un regret. Tu devrais te concentrer sur moi, sinon je risque de ne pas te rater.
Et Dabi ricane. Faudrait que t'en sois capable. T'en fais pas, t'auras pas à briser ta promesse.
Hawks voit une fureur sauvage s'emparer du regard de Dabi, elle est soudaine, il ne la lui connaissait pas - pas à son encontre, il a mal calculé en estimant que Crématorium le considérerait comme un dégât collatéral sans importance.
Ce coup-ci c'est plus personnel. Il veut le tuer. Il sait tout de la relation qui l'unit à Endeavor. La compréhension s'égraine en moins d'une seconde mais ce n'est pas suffisant.
REGARDE TODOROKI ENJI ! C'EST LE PRIX DE TA FAIBLESSE !
Un pylône de feu s'élève du sol au plafond, vers Hawks qui a à peine le temps de replier ses ailes.