If my fear had a name, it would be Valentino [PV : Valentino]

Assit devant le miroir de ma « loge », je contemple mon visage d’un œil critique. Ce soir, je danse. Je suis dans une sorte de bar miteux où parfois il y a quelques numéros, genre cabaret. J’ai réussi il y a peu à me faire embaucher de temps en temps pour mon show en drag queen. Si au début le patron de l’établissement n’a pas semblé très chaud pour ça, il s’est rendu compte après mon premier spectacle que ça lui avait apporté pas mal d’argent, bien plus qu’avec certains numéros qui tournent depuis plusieurs mois déjà, alors il me permet de revenir de temps en temps. J’avais besoin d’argent en ce moment et je devais avouer que c’était l’activité qui me rémunérait le plus. Mes films porno amateurs sont diffusés gratuitement, et je ne fais pas la pute assez souvent pour pouvoir me payer à manger tous les jours. C’est une combinaison de ces trois choses qui me permet d’avoir un toit au-dessus de ma tête. Ouais, parce que pour mes films, j’ai quand même ouvert une cagnotte. Les gens donnent ce qu’ils veulent, ce qu’ils peuvent, mais je sais qu’en général les gens sont plutôt réticent à donner de l’argent parce qu’ils ont maté un porno. Ils ont honte de mater des pornos. Hey, j’suis pas venu les chercher, c’est eux qui ont décidé d’appuyer sur le bouton. Enfin bref, revenons-en à ce soir. Une dernière petite touche de maquillage et c’est bon. Je me lève du siège, observe ma tenue : jupe courte, bas résille, cuissardes. Impeccable. Alors que je finissais de m’assurer que tout était bien mis, on frappa à la porte, le signal que c’était à mon tour.

Je me rendis donc sur la scène et fis mon show. Quand je danse, j’oublie tout, j’adore danser, cela me permet de m’évader, bien que ma vie ici ne soit pas désagréable. Le Hazbin me manque un peu, je l’avoue. Ouais, ouais, je sais, c’est bizarre, mais j’ai fini par m’y attacher que voulez-vous. Je ne sais pas si je vais revoir ses habitants ici, mais je l’espère intérieurement, même si je me couperais la langue plutôt que de le reconnaître tout haut. Quand je suis sur la scène, je ne vois pas le public dans la salle, à cause de la lumière braquée sur ma tronche, mais je peux entendre les sifflements appréciateurs, signe que l’audience apprécie ce qu’elle voit. Je me donne à fond et, à la fin de mon show, je descend de scène pour aller boire un verre au comptoir. Ryan, le barman, me lance un regard noir, il me fait penser à Husk parfois.

- Un problème, mon chou ?

- Ne m’appelle pas comme ça, je te l’ai déjà dit.

Je roule des yeux et le laisse poursuivre.

- Y a quelqu’un qui t’attend dans ta loge.

- Ah bon ? Qui ça ?

- Qu’est-ce que j’en sais moi, j’suis pas ta secrétaire.

- Dommage, tu serais sexy sur des talons hauts, tu veux essayer les miens ?

Il ne me répond pas, dommage. Il se contente de grogner dans sa barbe inexistante. Cela me fait rire, je me lève et repose mon verre.

- Très bien, je vais aller voir ce bel inconnu….peut-être que je ne rentrerais pas tout seul ce soir finalement.

- Je ne veux pas de détails, merci.

- Oh, aller chéri, ne sois pas jaloux, tu restes mon préféré.

- Vas te faire foutre.

- J'y comptes bien, lui dis-je en lui lançant un baiser avec ma main. C’est si facile de l’énerver et ça m’amuse parce qu’il tombe toujours dans le piège.

Un peu curieux de savoir qui était mon mystérieux visiteur, je me hâtais de rejoindre ma loge et j’y entrais, fermant la porte derrière moi. J’affichais un grand sourire devant l’homme dont je ne voyais encore que le dos.

- Bonsoir, trésor. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

Ce n’était pas rare que certains clients demandent à me parler. La plupart du temps, c’était des clients que j’avais vu plusieurs fois au bar, ils ne m’étaient donc pas inconnus, mais celui-là quand il se retourna, impossible de l’identifier. Pourtant….pourtant c’était étrange, parce qu’une sensation familière s’emparait de moi, une sensation que quelque chose manquait dans l’équation et surtout, à peine l’avais-je vu que mes poils se hérissèrent et mon coeur s’accéléra. Bordel, ce type de me foutait la trouille, mais pourquoi ? C’était comme un réflexe, c’était complètement stupide, je ne pouvais pas avoir de réflexe de défense envers lui, je ne le connaissais même pas...n’est-ce pas ? Enfin, je veux dire...je m’en serais souvenu si je connaissais un type pareil, non ? Je l’avais néanmoins salué, lui demandant ce qu’il voulait.

Ah….merde, ce type avait des pouvoirs, il avait fermé la porte à clé et s’était emparé de la clé sans que je n’ai pu esquisser le moindre geste. Oui, moi aussi j’avais des pouvoirs, mais je ne crois pas que mon pouvoir de sauter très haut ou de parler plusieurs langues pourrait m’aider ici. Que je rentre à la maison ? De quoi il parlait ce con ? Non, le fait qu’il connaisse mon prénom ne m’étonnait pas, ce dernier avait été prononcé plusieurs fois dans la soirée. Il me parlait comme si on se connaissait comme si….oh merde, si ça se trouve j’avais un psychopathe face à moi. Vous savez ce qu’on dit, il ne faut pas les contrarier….ah non, ça c’est les fous. Ouais, bon, Angel, reste calme, tout va bien se passer. La dernière partie de sa phrase me fit froncer les sourcils, je lui appartenais ? Bah c’est la meilleure celle-là. Il me confondait avec quelqu’un d’autre, c’était sûr et certain. Il me suffisait juste de lui faire comprendre gentiment qu’il s’était planté dans les grandes largeurs et c’était bon. Le ton qu’il employait ne me rassurait pas des masses, mais je n’avais pas l’intention de le laisser faire ce qu’il voulait...je ne le connaissais pas moi.

- Okayyy….alors écoute, mon mignon...je ne sais pas ce que tu as picolé ou ce que tu as fumé….mais je n’appartiens à personne moi.

Pourquoi j’avais une sensation de brûlure dans le corps en lui disant ça ? Ouais, bon pas le moment de réfléchir. Je tapotais doucement son épaule comme on fait à quelqu’un quand on veut compatir à ses malheurs.

- Ecoute, tu dois certainement confondre, d’accord...alors je suis certain que tu finiras par trouver celui que tu recherches, mais ce n’est pas moi.

Je me dirigeais vers un des placards de la seule armoire de la pièce.

- Même si je me doute que ce ne sera pas ton premier verre de la soirée...tu veux boire un coup ? J’ai du whisky si tu veux.

Je ne connaissais pas ce type, pourtant j’avais l’étrange sensation que je n’étais pas en train d’agir comme il le fallait, qu’il aurait mieux valu que je me soumette à ce qu’il voulait, et puis j’avais cette étrange sensation au fond de moi, c’était vraiment dérangeant, je ne saurais comment l’expliquer. En tout cas, il avait l’air un brin en colère, alors peut-être qu’un verre le calmerait.

Vous avez déjà eu ce sentiment ? Ce sentiment bizarre que vous couriez tout droit vers la catastrophe, que vous n'alliez pas du tout apprécier les prochaines minutes, sans que vous ne sachiez vraiment pourquoi vous aviez cette impression ? Non, parce que c'était exactement ce qui m'arrivait en ce moment. Même si je lui assurais du contraire, j'avais l'impression que je connaissais ce type. Si c'était le cas, pourquoi n'arrivais-je pas à me rappeler de son nom par exemple ? Il y a une chose qui était certaine, c'est que j'avais l'impression que j'étais clairement dans la merde et que je jouais avec le feu.

Le ton de sa voix contrastait avec ses paroles. Je le fixais, fronçant les sourcils, je cherchais dans mon esprit quand est-ce que j'avais passé la nuit avec lui, quand est-ce que je me serais "donné" à lui au point de lui appartenir complètement. Etant donné ses paroles, je supposais qu'il était un démon et pas un sorcier, mais je n'avais vraiment pas le souvenir de m'être tapé un démon récemment. L'ironie était présente dans sa voix, mais je ne pus m'empêcher de répondre quelques mots.

- Ouais, enfin c'est surtout pour moi que c'est dommage.

Bordel, Angel, tu ne pourrais pas avoir un instinct de conservation un peu plus développé ? Sa voix me fit frissonner de peur. Je secouais négativement la tête. Ma bouche formant le mot "non", sans que je le prononce. Bordel, pourquoi j'avais peur de lui à ce point ? J'ouvris de grands yeux. D'abord parce qu'il me dit s'appeler Valentino, le prénom qui tournait en rond dans ma tête depuis mon arrivée dans ce bled il y a quelques mois, mais aussi et surtout, il venait de dire mon véritable prénom : Anthony. Peu de personne le connaissait. J'avais immédiatement pâli et une terreur pure s'était emparée de moi quand il me montra le contrat. C'était ma signature, il n'y avait aucun doute possible.

- Charlie ? Mais, je……

Avec mon visage entre ses mains, j'avais un peu de mal à parler. Je voyais bien que tout ce qu'il disait était vrai, alors pourquoi je ne m'en rappelais pas ? Pourtant, à l'évocation de Charlie, une scène arriva dans mon esprit. Charlie débarquant sur un studio de tournage où je me trouvais, elle voulait m'aider, me ramener à l'hôtel, mais je m'interposais entre elle et….Valentino…Bordel, je ne me rappelais toujours pas, mais ça commençait à ressembler à quelque chose qui avait du sens. Bon, tout d'abord, il fallait tenter de le calmer, parce que nul doute que mon comportement jusqu'à présent n'a pas dû lui plaire. Je posais doucement une main sur son bras qui tenait mon visage.

- Valentino, je….je suis désolé…je t'assure qu'à mon arrivée ici….je me suis rappelé de tout, sauf de toi et de ce contrat…ce n'est pas une plaisanterie. Tu connais mon vrai prénom, tu m'as montré ce document avec ma signature, alors oui….je pense que je peux dire que je te crois quand tu dis que je t'appartiens, mais….le truc c'est que je n'en ai aucun souvenir…il faut que tu me crois. La seule chose, c'est que j'avais ton prénom qui tournait dans ma tête, mais je ne savais pas du tout à qui il correspondait.

D’accord, d’accord, il avait gagné, j’étais mort de trouille. Pourquoi j’avais aussi peur de lui alors que pour le moment je ne me rappelais pas de lui ? Sans doute m’a-t-il fait tellement de mal que c’est ancré profondément en moi, parce que plus il est proche de moi et plus chaque fibre de mon être hurle « au secours !».  Il me tient toujours le visage, mes yeux sont plongés dans les siens et je hoche positivement la tête. Bordel, mais si ça ne tenait qu’à moi, je m’en rappellerai immédiatement, mais il est au courant que ce n’est pas moi qui décide ? Il me repousse, me faisant tomber, je ne peux retenir un petit couinement. Je lève le regard vers lui.

- Je vais faire tout mon possible pour la retrouver vite..je te le promets.

Je me disais que rester au sol serait peut-être bien, mais d’un autre côté, cela lui faciliterait la tâche s’il voulait me frapper le visage avec son pied. Alors que je débattais avec moi-même pour savoir si j’allais rester assis sur le sol ou non, il m’aida à me relever et me positionna devant le miroir. Les mots qu’il prononça dans mon oreille me firent fermer les yeux douloureusement. Non, non, il n’avait pas le droit de dire ça, je….oh merde, c’était tellement familier cette scène. Ainsi donc, c’était lui ce type qui m’avait fait bosser dans ses films en Enfer, c’était lui le visage de mon « boss », visage que je n’arrivais pas à voir depuis mon arrivée à Nowhere. Et merde. Sa main sur ma nuque semblait tellement lourde. Je n’esquissais même pas un geste pour tenter de me défaire de son emprise, je savais au plus profond de moi que c’était peine perdue. Je lui appartenais, il avait tous les pouvoirs sur moi, et il était vraiment urgent que mes souvenirs reviennent.

Lorsqu’il me menaça en me disant que j’avais intérêt d’avoir les mêmes résultats ici, sous-entendu ramener autant d’argent...tout du moins je supposais que cela voulait dire ça, je relevais vivement les yeux, prêt à protester que j’avais des boulots ici, une certaine indépendance, mais en croisant le regard de Valentino dans la glace, je me ravisais. Non, ce ne serait vraiment pas une bonne idée de le mettre en colère. Vaincu, mes épaules s’affaissèrent et je baissais de nouveau les yeux, murmurant quelques mots.

- Oui, Valentino.

Même ces deux mots me semblaient si familier. Peut-être ne me faudrait-il pas trop longtemps pour me rappeler de lui finalement. J’osais néanmoins lui poser une question.

- Valentino...je me demandais….je sais que maintenant je vais bosser pour toi et tout ça, mais...est-ce que je pourrais quand même venir danser ici de temps en temps ? Tu sais, je me fais vraiment pas mal d’argent quand je viens ici, ça pourrait faire un bon bonus en plus de l’argent que je te rapporterai en travaillant dans ton studio..si tu veux, je te filerai ma paie de ce soir pour que tu vois combien ça pourrait te rapporter.

Quoi ? Je n’étais pas stupide, c’était moi qui allais bosser, mais c’était lui qui verrait la couleur de l’argent. Je me disais qu’en lui avançant le fait qu’il pourrait se faire encore un peu plus d’argent, il me laisserait venir ici de temps en temps, mais quelque part au fond de moi, j’avais l’impression que ce n’était pas le moment idéal pour lui demander ça. Une de ses mains était toujours sur ma nuque et son autre main se positionna sur mon bras. Qu’il se rassure, je n’avais pas l’intention de fuir. J’avais fait la connerie de signer un contrat avec lui il y a longtemps, j’étais pieds et poings liés maintenant. Voyons le positif, j’avais profité de quelques mois de liberté avant qu’il arrive ici.

J’étais peut-être parfois, souvent, « grande gueule », mais je savais m’écraser quand il le fallait et l’aura de Valentino était si étouffante que je n’avais vraiment pas l’intention de le contrarier plus. Je repassais dans ma tête ce que j’avais fait en arrivant dans la loge tout à l’heure. Bon sang, j’espère qu’il ne m’en voudra pas trop. Pour l’instant, il souriait, mais c’était un sourire effrayant, le sourire du chat quand il est face à la souris qu’il s’apprête à dévorer. Je vous laisse imaginer qui est le chat et qui est la souris. J’esquissais l’ombre d’un sourire. Bon sang, c’était vraiment urgent que je retrouve ces fichus souvenirs, que je sache au moins à quoi m’attendre.

Sa main qui se resserra sur mon cou était un indice que je n’avais effectivement pas choisi le bon moment pour lui demander ça. J’émis un petit couinement étouffé, lui lançant un regard apeuré à travers le miroir. Je n’osais pas bouger, retenant même ma respiration en attendant une parole de sa part. Merde, je n’avais jamais été autant suspendu à des lèvres que maintenant. Enfin il s’exprima et je hochais positivement la tête. J’avais plutôt intérêt à ce que mes shows rapportent si je voulais pouvoir continuer à venir ici pour les faire.

- D’accord.

Il finit par enlever ses mains de mon corps et ouvrir la porte. Pensez-vous que j’allais en profiter pour partir en courant ? Non, mais ça ne va pas ? Je tiens à la vie moi. « On rentre à la maison », oh merde, il y tient vraiment apparemment.

- Mais je….un seul regard dans sa direction me fait ravaler les paroles que j’aurais pu sortir. Détournant le regard pour commencer à rassembler mes affaires, je ne prononce qu’un mot, qui sera très certainement un des mots que j’utiliserai le plus. D’accord.

Alors que je regardais encore vers Valentino, de la fumée en forme de main arriva sur mon menton. Bon sang, j’avais l’impression de sentir encore sa main sur moi. Cela eut le mérite de me faire réagir. Je finis de rassembler mes affaires et je revins auprès de Valentino.

- Je vais juste aller chercher ma paie, c’est Ryan, le barman, qui me la donne après chaque show...tu peux venir si tu veux.

Ouais, des fois qu’il souhaite contrôler que je n’évoque pas la situation merdique dans laquelle je me trouvais. Je sais, je sais, je l’avais choisi cette situation, j’avais même signé pour ça. Je m’empressais de rajouter quelques mots.

- Après ça, je te suivrais bien sûr.